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Jacques Merle

Première Rencontre entre la Terre et l’eau

L’étude de notre environnement terrestre est devenue une priorité de la recherche depuis près d’un demi-siècle avec la prise de conscience de la fragilité des conditions climatiques dans lesquelles nous vivons. Ma carrière scientifique s’est déroulé en équilibre entre la Terre et l’océan; comment est née cette rencontre, quelles idées et quels projets l’ont sous-tendue, quelles en furent les étapes, les moments cruciaux et comment ce travail s’est inscrit dans l’évolution d’une discipline scientifique mal connue en France, qui chercha refuge jusqu’au sein d’un institut de recherche dédié au développement, l’ORSTOM-IRD?
Ce domaine de recherche maintenant nommé : «océanographie physique» est à la croisée de l’étude de l’état physique de l’océan, incluant sa dynamique et avec sa relation avec l’atmosphère et le climat. J’ai déjà en partie décrit l’évolution de cette discipline dans des ouvrages récents de vulgarisation : Océan et climat publié à l’IRD en 2006, L'océan gouverne-t-il le climat? publié chez Vuibert en 2009.
J'ai participé aussi, avec mes deux collègues de l’IRD, Bruno Voituriez et Yves Dandonneau à un ouvrage de synthèse intitulé : Le changement climatique, histoire et enjeux, publié sur le site internet du club des Argonautes. Ce travail est une contribution à l’histoire de la prise de conscience récente de la question climatique dans toutes ses dimensions, scientifiques mais aussi socio-économiques et politiques.
Comment et pourquoi le péril climatique s’est-t-il manifesté seulement tardivement et presque indépendamment des spécialistes des sciences de l'environnement ?
Pourquoi il s’est progressivement diffusé parmi les médias, les citoyens, et les politiques pour devenir, peut-être, une question de dimension planétaire susceptible de bouleverser les équilibres géopolitiques des décennies voire des siècles futurs ?

En passant par L’hydrologie continentale

Au début des années 1960, les événements, ou la guerre, d'Algérie étaient bien engagés. Après ma première année de licence en géologie à la faculté des sciences de Clermont-Ferrand, j’ai candidaté à un stage d’été en Algérie, organisé par une instance officielle à la fois gouvernementale et militaire appelée «Commission Armée-Jeunesse», destinée à sensibiliser les jeunes étudiants au problème algérien tout en leur demandant de fournir un service dans le domaine de leurs études. Je suis parti en Algérie en juillet 1959 pour deux mois et fus affecté au «Service de l’Hydraulique» à Birmandreïs dans la banlieue d’Alger. C’était un organisme en charge de la recherche, la gestion et la distribution de la ressource en eau aux populations locales. Les géologues avaient évidemment leur place dans cette recherche de l’eau souterraine. Je m’improvisai donc hydrogéologue. On me confia des études de terrain géologiques et hydrogéologiques, préalables à des projets d’implantation de forages pour alimenter en eau certains villages isolés.
Cette expérience de terrain en Algérie, dans une période troublée par des attentats fréquents et des opérations militaires, dans une atmosphère tendue entre plusieurs communautés humaines : fonctionnaires métropolitains et militaires français, «Pieds noirs», algériens de souche, fut un moment fort de mon existence et me marqua profondément. Je parcourais le bled pour mes études de terrain dans des zones sensibles, encadré par des militaires et j’eus à partager ma vie quotidienne pendant des semaines avec les habitants de ce pays. Je ne m’étendrai pas sur cette dimension de ma vie personnelle et m’en tiendrai à sa composante professionnelle qui se matérialisa par les premiers rapports de nature scientifique, ou au moins technique, que je réalisais ; c’étaient des études de l’environnement géologique préalables à l’implantation de projets de captages d’eaux souterraines.
Je renouvelais cette expérience algérienne à la fin de ma deuxième année de licence dans le même organisme, le «Service de l’Hydraulique» et revenu en métropole à l’automne de l’année 1960, muni de mon diplôme de licence et de mes premiers travaux de terrain, je m’enquis d’une formation de spécialisation en hydrogéologie. Je la trouvai à l’université de Montpellier qui proposait un enseignement de troisième cycle avec un DEA (Diplôme d’Étude Approfondie) en hydrogéologie. Mon travail en Algérie me procura un avantage certain pour candidater à ce DEA et je fus admis parmi une dizaine d’autres étudiants issus de plusieurs universités françaises et étrangères. J’allais donc normalement devenir un géologue spécialisé en hydrogéologie et consacrer ma carrière à l’étude et à la recherche de ce précieux liquide terrestre. À cette époque je n’imaginais pas une seconde qu’une inflexion brutale de mon parcours universitaire allait me faire basculer vers l’étude d’une autre forme de liquide terrestre, totalement différente, salée, mais occupant plus de 70% de la surface de la Terre, le grand réservoir liquide de la planète : l’océan.

Sans oublier la Géologie et la Séismique marine

L’enseignement dispensé dans le DEA survolait les techniques de détection géophysique des aquifères continentaux par des méthodes séismiques comme on le faisait pour le pétrole. Il se trouva que l’un des professeurs du DEA était un spécialiste de ce qui était déjà appelé à l’époque la «séismique marine» consistant à émettre et enregistrer des ondes sonores traversant l’océan liquide et son plancher sédimentaire pour déterminer, après leur réflexion ou leur réfraction dans les sédiments du fond, la structure, l’épaisseur, la densité, l’inclinaison des couches géologiques sous-marines. Ce professeur avait besoin d’un assistant. Mes compétences en mathématiques, attestées par un certificat de licence de TMP (Techniques Mathématiques de la Physique), certes modestes mais inhabituelles parmi mes collègues géologues, me favorisèrent et j’obtins un poste d’assistant vacataire. Dans le prolongement du DEA, j’ai ainsi bénéficié d’un contrat temporaire du CNRS pour faire de la géophysique marine, discipline scientifique naissante en France mais qui allait devenir très médiatique quelques années plus tard aux États-Unis et en France, notamment avec les travaux de Xavier Le Pichon, et Claude Allègre. Je m’éloignais ainsi de l’hydrogéologie. Mais au titre de cette nouvelle orientation marine, j’embarquais sur des navires, en Bretagne, en Manche et en Méditerranée, notamment sur la Calypso, le célèbre navire de recherche du Commandant Cousteau. Ma participation à plusieurs campagnes de séismique marine sur la Calypso ponctua cette période. Insensiblement je devenais un océanographe, fier de naviguer avec le Commandant et sa célèbre équipe de plongeurs. Mes premières publications scientifiques, en commun avec le professeur de géophysique marine de Montpellier, témoignent de mes travaux de géophysicien marin débutant de cette époque.

Et l’intermède militaire

Mais le service militaire me rappela à mes devoirs de jeune citoyen et mit fin, provisoirement, à cette première incursion dans le monde marin. Je fus incorporé dans l’arme du Génie en mai 1963 et, après une formation de 9 mois à Angers, nommé aspirant puis sous-lieutenant, affecté en Algérie à ma demande, mu par le souvenir de mes stages d’hydrogéologie trois ans plus tôt. Inutile de parler de ce temps passé sous les drapeaux sinon pour dire que pendant 18 mois je fus totalement coupé du monde scientifique où j’avais commencé de m’insérer. Le Génie était une arme très éloignée de l’océanographie et de la Marine et je n’eus aucune nouvelle de l’évolution de mes premiers domaines de recherche marins. Je peux seulement rapporter ici que j’avais écrit au Commandant Cousteau pour lui demander de m’appuyer pour une affectation dans la Marine. Il me fit répondre par son second, le Commandant Alinat, que cela dépassait son pouvoir compte tenu de ses relations plutôt difficiles avec la marine nationale, ce qui était de notoriété publique dans le milieu marin mais très surprenant pour moi qui ne voulait voir en Cousteau que «Le commandant» ! Je m’étais trompé de porte, va pour le Génie !

La construction de la recherche océanographique en France

Au cours de mon service militaire j’avais perdu le contact avec le laboratoire de géophysique marine de Montpellier où j’avais fait mes premiers pas d’océanographe et au retour du service militaire j'ai cherché à reprendre contact avec le milieu océanographique et les personnes qui tentaient de promouvoir et d’organiser une recherche océanographique encore balbutiante en France. Le gouvernement avait mis en place la DGRST (Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique) prémisse d'un ministère de la recherche que beaucoup d'universitaires et d’acteurs du monde économique appelaient de leurs vœux. On était en 1964 et plusieurs personnalités, dont le Commandant Cousteau et un spécialiste de géologie marine très connu à l’époque, le professeur Jacques Bourcart, s’employaient à faire émerger une communauté de chercheurs océanographes en France. Pour se faire La DGRST créa le COMEXO (COMité pour l'EXploitation des Océans) qui, deux ans plus tard, allait devenir le CNEXO (Centre National pour l’EXploitation des Océans). Pour susciter des vocations d’océanographes, le COMEXO distribuait des contrats de formation pour les jeunes diplômés désireux de se préparer à une carrière de chercheur dans le domaine de l’océanographie. C'était l'époque de la prééminence de la géologie et de la géophysique dans les sciences de la Terre. Certains de ces jeunes diplômés, comme Xavier Le Pichon, cherchèrent et trouvèrent plutôt leur salut aux États-Unis où ils contribuèrent à l'éclosion de théories d’avant-garde pour expliquer la répartition des continents et des océans à la surface du globe. Ces découvertes, ou redécouvertes de la dérive des continents et de la tectonique des plaques propulsèrent au premier plan médiatique la géophysique marine. Cette nouvelle discipline scientifique prolongeait auprès du public l’attrait pour l’océan qu’avaient suscité les merveilleuses images sous-marines de Cousteau.
J’ai donc pris contact avec la DGRST et j’ai obtenu du COMEXO un contrat de recherche pour m’initier à la géophysique marine au-delà de l’embryon du groupe montpelliérain. Mes travaux passés de séismique marine me prédisposaient à poursuivre dans la voie de l’acoustique sous-marine et je fus affecté en octobre 1964 au BEO (Bureau d’Études Océanographiques) dépendant du Service Hydrographique de la Marine à Toulon pour étudier la propagation des sons dans les sédiments marins dans le but de mettre au point des systèmes de communication entre les sous-marins. C’était un domaine de recherche nouveau très pointu, étroitement encadré et protégé par le secret militaire comme l’était l’acoustique du milieu océanique liquide déjà très développé chez les sous-mariniers. Mais, si les propriétés acoustiques de l’eau de mer ne variaient qu’en fonction de paramètres physiques bien définis et connus comme la température et la salinité, il n’en était pas de même pour les sédiments tapissant le fond des océans dont la diversité physique, minéralogique et géologique faisait de cette recherche un domaine encore vierge. L’objectif était de trouver des relations à la fois expérimentales mais aussi théoriques entre les propriétés physiques des sédiments: Composition minéralogique, répartition granulométrique, densité, porosité et leur comportement acoustique : Vitesse de propagation par fréquences, intensité, atténuation….etc. C’était un domaine qui mariait la physique et l’acoustique à la géologie, incluant la sédimentologie et la géophysique marine. J’ai obtenu des résultats qui ont été communiqués aux ingénieurs du Service Hydrographique de la Marine mais qui, protégés par le secret militaire, ne furent pas publiés dans des journaux scientifiques civils.
En octobre 1965, après cette année passée au BEO à Toulon dans l’environnement de la Marine Nationale et de son Service Hydrographique, il me fut proposé par les responsables militaires de ces services d’intégrer leur établissement en étant candidat à un poste d’ingénieur civil hydrographe. Je crois que c’est la perspective d’avoir à porter un uniforme, fut-il prestigieux et chargé d’histoire comme celui des officiers de marine, qui me fit refuser ce prolongement militaire à ma carrière scientifique débutante dans le milieu marin. J’étais attaché à la mer certes mais pas au point d’adopter le statut militaire dont j’avais pu connaitre les servitudes, pas toujours glorieuses, dans un passé récent sous l’uniforme en Algérie.

L’ORSTOM enfin, sans la MARINE

Mais la deuxième raison, la plus déterminante, qui me fit refuser cette orientation militaire, fut une affiche en gros caractères entrevue dans un couloir du BEO à Toulon et aussi à l’Université de Montpellier. Son titre : «l’ORSTOM recrute ….» suivi d’une liste impressionnante, à la Prévert, de spécialités scientifiques allant de la géophysique à des domaines aussi étranges pour moi que l’ethnobotanique, en passant par la géologie et l’hydrogéologie, l’hydrologie continentale, la géographie, la pédologie, l’agronomie, la génétique, la démographie, la sociologie, l’ethnologie, la musicologie, l’entomologie, la santé et…. l’océanographie qui évidement retint particulièrement mon attention. Les science de la mer était déclinée en trois sous-rubriques : géologie et géophysique marine, biologie marine et halieutique, océanographie physique. Je décidais de me renseigner sur les postes offerts en géophysique marine, mon domaine, et j’écrivis dans ce sens sur le champ à l’administration de cet établissement, déclinant mes diplômes et mes activités passées. Je demandais si ma candidature à un poste en géophysique marine pouvait être prise en considération. Je reçu, par retour du courrier, une réponse négative en ce qui concernait les postes en géophysique marine, déjà pourvus ; mais, ajoutait la responsable du recrutement : «il existe encore un poste vacant en océanographie physique et compte tenu de votre cursus universitaire et votre connaissance du milieu marin, vous remplissez les conditions nécessaires d’admission à un poste de chercheur et je vous engage à remplir immédiatement le questionnaire et les documents de candidature joints». J’étais pris entre la nécessité de répondre rapidement à une offre intéressante à plus d’un titre, mais dans un domaine scientifique un peu différent de celui que j’avais connu jusqu’ici. La perspective d’un travail en mer et outre-mer avec à la clé la découverte de mondes lointains tout en bénéficiant du statut de fonctionnaire concrétisait un des rêves impossibles de mon enfance de paysan auvergnat. Mais, à l’inverse, je devais abandonner ce qui était déjà devenu mon domaine scientifique de prédilection, les solidités de la géologie et de la géophysique marine auxquelles je commençai à m’attacher, pour plonger dans un domaine beaucoup plus insaisissable, le milieu fluide océanique, et me bâtir une nouvelle culture dans une discipline presque totalement inconnue pour moi. Néanmoins après deux jours de réflexion je répondis positivement et rapidement comme demandé. J’étais candidat à un poste d’océanographe physicien à l’ORSTOM.
On me fit bientôt savoir que ma candidature était acceptée mais que je devais rencontrer préalablement celui qui était considéré comme le « pape » de l’océanographie physique de l’époque en France, le professeur Henri Lacombe, du «Muséum National d’Histoire Naturelle». Celui-ci me déclara également apte à survivre aux charmes des mers du Sud. Néanmoins il fallut préalablement suivre l’année de cours du DEA d’océanographie de l’Université Paris VI sous la direction du professeur Ivanoff qui s’acheva fin Octobre 1965.
Trois jours après la fin de cette échéance j’embarquais pour un séjour de trois ans à Nouméa pour encadrer des pécheurs de thons français qui n’existaient pas. Mais, toujours chercheurs avec mes collègues de Nouméa, nous reportâmes notre intérêt pour la science en étudiant les courants, contre-courants et sous- courants de l’océan Pacifique équatorial encore inconnus à cette époque, mais déjà soupçonnés d’avoir des relations coupables avec le climat de l’ensemble du Pacifique à travers des manifestations thermiques étranges qui ennuyaient beaucoup les pêcheurs Péruviens et surtout les Japonais.
Telle a été ma première rencontre avec une grande question scientifique impliquant le climat appelée ultérieurement «El Niño».

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