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Une vie face au changement climatique : des excursions de gosse à chercher des fossiles dans les sablières du Stampien de l’Ile de France au Haut Conseil Breton pour le Climat.

Laurent Labeyrie

Être né second fils d’un couple de scientifiques comme mes parents Jacques et Françoise peut être une chance ou un problème. Mon père, quand il ne réfléchissait pas à des questions scientifiques, dirigeait son labo, voyageait par le monde, et grimpait ou explorait les grottes avec ses copains. Ma mère, quand elle ne faisait pas de la recherche dans son équipe du CNRS (elle était une brillante biophysicienne), devait gérer la maison et son mari. Résultat, je ne les voyais presque jamais, y compris pendant les vacances, que je passais à la campagne, le plus souvent chez ma grand-mère à me promener seul dans la forêt. Je m’ennuyais à l’école, avec des résultats médiocres.
Un comportement important que m’ont légué mes parents est de ne pas hésiter à poser des questions, à demander pourquoi et chercher à obtenir des réponses qui me satisfassent. Je n‘ai jamais pu me défaire de cette habitude, à la fréquente lassitude des auditeurs lors des réunions scientifiques.
Cinq personnes ont été particulièrement importantes pour modeler mon futur environnemental et climatique :

  • À 12 ans un copain de lycée de mon frère aîné Antoine (l’astrophysicien et académicien), fils d’un artiste immigré gagnant sa vie en dessinant les silhouettes de touristes à Montmartre, et curieux de tout, Roland Baggiani, m’a fait découvrir les balades géologiques du dimanche autour de Paris au sein de la «société anonyme des géologues amateurs», la SAGA, une association animée par de vieux retraités du Muséum. C’est là que j’ai rencontré Jean Claude Duplessy, encore lycéen, qui y donnait une conférence sur les foraminifères et leur cycle reproductif, la première fois que j’en entendais parler. C’est avec la SAGA que j’ai découvert «de visu» mes premiers massifs coralliens et les fossiles impressionnants que l’on pouvait trouver dans les sablières de la période éocène du Bassin Parisien, déposés il a plus de 40 millions d’années, quand la mer était 70 à 100 mètres plus haute que maintenant (il n’y avait pas de calottes polaires). C’est Roland aussi qui, après mon bac, m’a encouragé à suivre une  «prépabio», classe préparatoire aux concours des écoles agronomiques et normale sup. Il est hélas décédé à la suite d’un mélanome, avant même de commencer une carrière professionnelle. C’est dans cette prépa que j’ai retrouvé Jean-Claude comme répétiteur, au Lycée Saint-Louis.

  • À 12 ans, mon grand-père Emile Labeyrie m’a fait lire les «Voyages extraordinaires» de Jules Verne (et discuter avec lui mes lectures). Quoi de mieux à cet âge (avec les aventures de Tintin) pour vouloir découvrir le monde ?

  • À 14 ans, j’ai rencontré une collègue de mon père, Claude Lalou, sous directrice du laboratoire d’océanographie de Villefranche/Mer. Je sortais, enthousiaste, de la projection du «Monde du silence» de Jacques Yves Coustaud et bien sûr, plein de questions. Elle m’a proposé de «participer» au stage de printemps des étudiants en licence d’océanographie, en me logeant chez elle. J’y ai découvert le travail en labo et en mer, les plongées avec bouteilles, et l’océan dans sa complexité. Mais j’ai dû travailler dur pour que les étudiants m’acceptent parmi eux. Cela a été un de mes grands événements formateurs : j’ai commencé à travailler au lycée, en particulier dès que l’on parlait histoire de la Terre et environnement. Mais il m’a fallu encore 2 ans et une seconde redoublée pour que je puisse être considéré comme un «bon élève». Il m’a fallu attendre 1967, l’université et ma double formation de géologue (ma passion) et de physicien pour entendre parler de Milankovitch et de la théorie astronomique des climats. Claude, quant à elle, est restée ma guide spirituelle pour le restant de sa vie. C’est elle qui a dirigé mes recherches au CNRS.

En 1970, les choses deviennent sérieuses : je commence un stage de DEA (la dernière année du Master actuel) en «paléoclimatologie quantitative» à Gif sur Yvette sous la responsabilité de Jean-Claude (le début de plus de 20 ans de recherche à ses côtés), avec des campagnes de prélèvement en mer et des excursions dans les grottes. Les changements climatiques et leur étude commençaient à passionner une communauté internationale très active. On peut citer le programme CLIMAP de la National Science Foundation aux USA, opérationnel à partir de 1971, qui visait à intégrer le maximum des données géochimiques et paléontologiques permettant de reconstruire globalement le climat du dernier maximum glaciaire (il y a 18 000 ans). Les cartes publiées à partir de 1976 sous la direction de John Imbrie servent toujours de référence aux expériences de modélisation climatique. Je m’immerge dans cet univers comme un poisson dans l’eau.
Mais à l’époque, on ne parlait pas encore d’un réchauffement climatique en cours : le réchauffement global de +0,5°C observé entre 1910 et 1940 ne se poursuivait apparemment pas, et l’histoire climatique était encore profondément marquée par le fort refroidissement de la période XVIème-XIXème siècle (le «petit âge glaciaire»), encore incompris, et dont peut-être on était en train de sortir.
Le rôle des «gaz à effet de serre», dont le CO2, était connu, mais d’autres phénomènes interrogeaient les spécialistes et l’objet d’intenses discussions :

  • la teneur en poussière atmosphérique d’origine volcanique ou humaine avec son rôle d’ombrage, donc son pouvoir refroidissant (la théorie de l’hiver nucléaire était à la mode)

  • le rôle de l’activité solaire (qui avait peut-être contribué, avec les éruptions volcaniques en Islande, au «petit âge glaciaire»

  • les échanges de chaleur entre atmosphère, surface terrestre et les océans, avec les rétroactions liées à l’albedo (le pouvoir réflecteur, en particulier des surfaces glacées et des déserts). Les modélisations globales du climat commençaient à peine.

Cependant, ma discipline scientifique, la paléoclimatologie, était pleinement concernée : nos études reposaient sur l’utilisation de témoins biologiques ou chimiques de climats passés (les «proxys»), dont les conditions de dépôt (en particulier la température de croissance des squelettes minéraux) devaient être calibrées de façon précise, par exemple en effectuant les mesures sur des organismes cultivés en laboratoire ou développés dans des milieux connus. Les relations obtenues, appliquées sur les longues séries prélevées par carottage des sédiments doivent permettre des reconstitutions très précises des relations passées. L’ennui, et cela nous n’avons compris pourquoi que dans les années 1980, c’est que les parties les plus récentes de nos enregistrements (les sommets des carottes) apparaissaient systématiquement plus chaudes que plus profondément dans le sédiment. On a passé des années à reconnaître que ce signal était réel.
Pourtant il n’y avait pas que pour la composition isotopique en oxygène du carbonate des foraminifères ou de la silice des diatomées que l’on avait cet effet, mais aussi pour les associations de faune (foraminifères fossiles) ou flore (pollens). On le retrouvait également pour les fractionnements isotopiques dans la cellulose des arbres, ou dans la neige de l’Antarctique. On avait des explications ad hoc, bien sûr : un «effet vital» pour les fossiles, avec dissolution préférentielle des espèces plus chaudes lors de la fossilisation. Les techniques d’échantillonnage ne facilitaient pas les choses, entre les carottiers ne prélevant que l’interface sédimentaire, sans le perturber mais avec une pénétration limitée à quelques cm, et les carottiers plus lourds, pénétrant en profondeur mais perturbant la surface. Le réchauffement apparent des anneaux de croissance les plus récents des arbres pouvait être interprété par un changement de gestion des forêts, et dans le cas de la glace la transition entre neige du névé plus ou moins mélangée et la glace recristallisée en profondeur ne facilitait pas non plus l’interprétation.
Bref, difficile de replacer précisément l’évolution actuelle, et la calibration associée, dans nos enregistrements paléo…
Pour moi la réalisation que nos données paléoclimatiques mettaient vraiment en évidence un réchauffement en cours a été je crois en 1979 (?) lors de la réunion annuelle de l’American Geophysical Union à San Francisco. Je suis tombé sur un poster, avec une très belle série isotopique sur une stalagmite couvrant les derniers 100 ans, sur laquelle apparaissait très nettement une dérive du rapport 18O/16O interprétable comme un réchauffement au cours du 20ème siècle. Ce résultat confirmait des observations analogues en Nouvelle Zélande, et l’on commençait depuis deux ou trois ans à entendre évoquer dans les rencontres scientifiques internationales une possible reprise du réchauffement d’avant-guerre, et son lien éventuel avec l’augmentation du pCO2 atmosphérique.
Mais je n’ai pas eu accès à l’époque au rapport de synthèse de la conférence de l’IIASA (Carbon Dioxide, Climate and Society, Vienne Autriche, Février 1978), historiquement la première analyse de fond sur l’évolution climatique en cours. André Berger a publié la même année une synthèse en Français dans la revue Ciel et Terre, mais je n’en ai pas eu connaissance non plus. Toutefois André était un habitué de nos réunions de travail, et a invité Jean-Claude Duplessy à participer en 1980 au premier «Advance course on climatology» (NATO, Erice), qu’il dirigeait. L’ensemble des paramètres du climat et de leur évolution y ont été discutés, y compris avec les premières simulations par des modèles globaux. Avec le début des mesures atmosphériques du programme GARP après 1975, et la conférence mondiale sur le Climat en 1979, puis la création du GIEC en 1988, les dés étaient jetés au niveau international. Mais il a fallu attendre 2007 (le rapport du GIEC co-récipiendaire du Prix Nobel de la paix, pour lequel j’étais co-éditeur du chapitre océans) pour que l’homme soit reconnu comme la cause probablement principale du réchauffement climatique, et ce par l’ensemble des scientifiques compétents et des experts et politiques des pays membres de l’ONU.
J’ai eu une incroyable chance de vivre l’ensemble de ma carrière professionnelle en accompagnant cette évolution, d’abord comme chercheur au CNRS (1972), puis, à partir de 1994, comme professeur à l’université Paris-Orsay (et ENS-Rue d’Ulm/Sciences de la Terre et ENSTA). J’ai ainsi participé à la formation de la première génération d’étudiants en France sur le changement climatique. Jean Jouzel était lui aussi chercheur à Gif/Yvette, mais sur le plateau de Saclay au Laboratoire du Génie Isotopique du CEA, quand j’étais dans la vallée, au Centre des Faibles Radioactivités (je me souviens encore de sa soutenance de thèse sur l’analyse isotopique des grêlons et l’étude du cycle de l’eau dans les nuages). Sur son initiative, j’ai pu être muté à l’Université de Versailles Saint Quentin, pour monter un enseignement universitaire intégré autour du climat et ses impacts dans un «domaine multidisciplinaire de masters», en collaboration avec une économiste : les Sciences de l’Environnement, du Territoire et de l’Économie (Master SETE). Là encore, c’était une première en France.
Au total, j’ai participé comme nombre de mes collègues à plus d’une centaine de conférences internationales abordant des sujets climatiques, et à de très nombreux programmes internationaux de recherche, ainsi qu’à plusieurs dizaines de campagnes océanographiques sur tous les océans du globe. Maintenant, en retraite, je suis toujours immergé dans le climat, au sein du club des Argonautes, évidemment, mais aussi comme membre du Haut Conseil Breton pour le Climat que j’ai contribué à initier. Il associe des spécialistes du climat et de l’environnement bretons avec des scientifiques de toutes les autres disciplines, y compris médicales, sociologiques, économiques et politiques : nous nous attachons à développer une prise de conscience de l’ensemble de la population et des acteurs associatifs, économiques et politiques sur les conséquences à venir du changement climatique, et la nécessité de développer de façon urgente des stratégies d’adaptation sur le territoire. Cette initiative rejoint celle montée par Hervé Letreut en Nouvelle Aquitaine avec l’association Acclimaterra. Plusieurs groupes régionaux se montent simultanément sur des modèles voisins, les  «Groupes Régionaux des Experts du Climat», associés dans le réseau  «InterGrec’s».
Mais les problèmes à affronter pour que les territoires suivent les directions proposées par le GIEC, tant pour l’atténuation du réchauffement (l’ambition des « moins de +2°C » de l’accord de Paris) que pour préparer territoires et populations aux changements qui de toute façon sont en route (l’adaptation) demandent des ambitions et une mobilisation considérables, même à l’échelle de notre région bretonne, un des challenges les plus difficiles que j’ai eu à affronter depuis 60 ans !

cnrs paleoclimat
Les participants au colloque CNRS n°219 «Les méthodes quantitatives d’étude des variations du climat au cours du Pleistocène», Juin 1973
On peut y reconnaître en particulier : H. Suess et G. Wollin (USA) ; N. Shackleton (GB ; JC Duplessy, J. et L. Labeyrie, C. Lalou et C. Lorius (France)

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