Yves Fouquart
Ma thèse d'Etat portait sur l'analyse des spectres d'absorption présents dans la lumière solaire réfléchie par Vénus. Le but était d’étudier les caractéristiques de ces nuages. Je ne disposais que des très rares observations disponibles dans la littérature scientifique et ma thèse consistait surtout en la mise au point d'une méthode d'analyse.
Alors que je terminais la rédaction de cette thèse soutenue en 1975, j'ai émis l'idée d’appliquer la même méthode au calcul du transfert du rayonnement solaire dans l'atmosphère terrestre et de réaliser ainsi un code radiatif pour les modèles climatiques ou météorologiques.
C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Pierre Morel qui qui dirigeait alors le Laboratoire de Météorologie Dynamique puis celle de Katia Laval et de Robert Sadourny avec qui j’ai donc participé, très modestement pour ma part, à la réalisation du modèle climatique du LMD devenu aujourd’hui modèle de l’IPSL (Institut Pierre-Simon Laplace).
Je n’étais pourtant que très vaguement conscient du problème du réchauffement climatique et même de l'effet de serre (à l'exception de la mesure de la température de surface de la mer, les activités du Laboratoire d’Optique Atmosphérique à Lille auquel j’appartenais étaient centrées sur la diffusion de la lumière solaire) mais c’est à cette époque qu’est parue la fameuse courbe de Keeling qui montrait l’évolution de la concentration en CO2 à Mauna Loa. Les choses se sont alors fortement accélérées.
C'est à cette époque que l’astrophysicien Daniel Gautier qui faisait partie de mon jury de thèse m'a incité à participer à une réunion de l'IASA (International Institute for Applied Systems Analysis) qui se tenait alors à Vienne et là, je me suis retrouvé plongé dans le bain du réchauffement, je m'y suis même un peu noyé à vrai dire quand des assureurs (déjà en 1975 !) ont jonglé avec les millions de dollars, une unité qui ne m'était pas très familière et qui ne l'est toujours pas puisque le salaire des Profs ne se compte pas dans cette unité par chez nous en tout cas.
J'avais mis le doigt dans l'engrenage, j'ai ensuite dirigé la thèse de Jean Jacques Morcrette sur la mise au point d'un code radiatif infrarouge, mis sur pieds des campagnes d'études des propriétés des nuages participé au PNEDC (Programme National d'Etudes de la Dynamique du Climat) ... puis, j'ai été nommé au Joint Scientific Committee du World Climate Research Program (WCRP) en 1985. J'y suis resté 6 ans et là, bien entendu j'ai été complètement immergé dans la problématique du réchauffement : TOGA, WOCE, GEWEX , etc.., des programmes que j’ai pour l’essentiel découvert à cette occasion.
Dans mon domaine plus spécifique, j’ai co-présidé ce qui fut le premier d’une longue série de programmes d’intercomparaisons pour les modèles climatiques, il s’agissait de tester les codes radiatifs des modèles climatiques sur une série de cas test et d’identifier les sources d’imprécision (ICRCCM : Intercomparaison of Radiation Codes for Climate Models)
En ligne directe avec ma participation au JSC du WCRP (Joint Scientific Committee du World Climate Research Programme), j’ai participé à la rédaction du 3ème rapport du GIEC en rédigeant quelques pages sur le rôle des aérosols.
J’étais Professeur à l’Université de Lille et j’y enseignais la physique, essentiellement en première année, mais mon premier cours sur le réchauffement climatique date des années 80. C’était un cours optionnel, il a eu beaucoup de succès et je me souviens d’amphi bondés, je pense que le sujet intéressait réellement les étudiants de cette époque. Est-ce encore dans leurs priorités 40 ans plus tard ?
J’étais bien sûr aux avants postes mais j’ai vu se développer une réelle prise de conscience de la question climatique, elle se traduit entre autres en ce moment par la déclinaison au niveau régional de tout un ensemble d’actions dont un exemple est la création de Haut Conseils Régionaux pour le Climat comme ce fut le cas initialement en Aquitaine. J’ai d’ailleurs présidé le Collectif d’Expertise Régionale sur le Climat et son Evolution (CERCLE) mis en place par la Région Nord Pas de Calais en 2013, disparu à l’occasion du changement de majorité politique lors des élections régionales de 2015 mais probablement de retour bientôt dans un nouveau cadre. L’évolution de la prise de conscience n’est manifestement pas linéaire mais les progrès accomplis depuis 50 ans sont réels et même impressionnants bien que tout à fait insuffisants. J’ai maintenant l’image d’un train qui se met lentement, très lentement en route pour accélérer progressivement mais le réchauffement, lui aussi accélère et il a de l’avance.