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Yves Dandonneau

L’étude de la fixation de gaz carbonique par le phytoplancton qui a fait l’objet de mes recherches visait, au début, la capacité des océans à nourrir des poissons. De là à sa capacité à absorber le gaz carbonique de l’atmosphère, il n’y avait qu’un pas, mais il a été long à franchir.
Je savais, parce que j’avais du l’apprendre à l’école, que selon Arrhénius, une augmentation de la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère pouvait conduire à un réchauffement du climat et à une montée du niveau des océans, et je croyais volontiers que nos émissions de carbone fossile nous y conduisaient.
Mais où et quand ?
Cette question n’était pas la mienne. À Nouméa, j’avais monté une collecte d’observations de la concentration en chlorophylle à la surface de l’océan basée sur la coopération bénévole des officiers de navires de commerce qui faisaient escale au port de Nouméa, et le plus passionnant était de découvrir comment la variabilité climatique liée au phénomène El Niño affectait la production primaire marine dans l’Océan Pacifique.
En 1985, il y a eu en Australie à Willach une conférence internationale sur le rôle du gaz carbonique dans les variations climatiques, sous l’égide de l’OMM. Sur sa route de retour, un chercheur hollandais s’était arrêté à Nouméa et avait passé quelques jours au Centre ORSTOM. Je lui avais demandé si, aux Pays Bas, il habitait au dessous du niveau de la mer : oui. C’est à partir de là que je me suis davantage intéressé au climat.
J’ai alors dévoré les livres «L’homme et le climat» de Jacques Labeyrie et «L’histoire du climat depuis l’an mil». d’Emmanuel Leroy Ladurie.
Une autre rencontre, toujours à ce bout du monde qu’est Nouméa, m’a montré que je pouvais mettre un pied dans ce domaine : sur l’un des navires, qui faisaient partie de mon réseau depuis plusieurs années, j’ai vu apparaître un labo de mesure de la pression partielle de gaz carbonique à la surface de l’océan sur la ligne de Vancouver à Sydney, installé par C. S. Wong, un chercheur canadien. J’ai été tenté de faire cela moi aussi, et nous sommes entrés en relation. Mes données de chlorophylle sur le même trajet maritime l’intéressaient. Il m’a invité à un groupe de travail en Californie sur les mesures de pression partielle de gaz carbonique en mer, dont faisait partie David Keeling, le talentueux créateur de la série de mesures de la teneur en CO2 de Mauna Loa à Hawaï : c’était parti !

Le ronsard
À l’occasion d’un congé en France, j’ai rendu visite à plusieurs chercheurs, dont Dominique Raynaud : tous m’ont encouragé à opérer ce virage. Il n’y a pas eu d’opposition du côté de l’ORSTOM. J’ai proposé au PNEDC (Programme National d’Etude du Climat) d’équiper un navire de commerce avec un système de mesure de la pression partielle de CO2 dans l’eau et dans l’air sur la ligne Le Havre Nouméa via Panama. Le projet a été accepté (seul commentaire : «ne pas m’intéresser à l’Océan Indien !»). Hasard : le bateau que j’ai choisi était celui précédemment équipé par C. S. Wong, qui venait d’être acheté par la Compagnie Générale Maritime, et j’ai pu utiliser la tuyauterie qu’il avait laissée à bord.
Le programme international JGOFS (Joint Global Ocean Fluxes Study) a ensuite été une plateforme très féconde pour une réflexion commune entre océanographes biologistes, géochimistes et physiciens autour du cycle du carbone.
La production primaire marine était au départ de ce cycle, et ce qu’on en savait globalement était rassemblé dans une compilation où les mesures de qualité côtoyaient des mesures d’une qualité exécrable qui sous-estimaient beaucoup la réalité. Beaucoup, et j’en faisais partie, ont cru qu’avec de meilleures mesures, nous allions changer la vision de ce cycle du carbone, avant que les géochimistes nous démontrent que ce ne pouvait pas être le cas. Autre combat, encore perdu par les biologistes : bien que riche en sels nutritifs, le Pacifique équatorial était anormalement pauvre en chlorophylle. Pour expliquer cette anomalie, les biologistes proposaient que l’absence de variations saisonnières bien marquées à l’équateur permettait au zooplancton d’être présent en abondance toute l’année, sans la remise à zéro qu’imposent ailleurs les conditions hivernales. Ainsi, le zooplancton mangerait-il son blé en herbe et se priverait de la grande récolte printanière. Les géochimistes, eux, mettaient plutôt en avant le manque de fer dans ces eaux éloignées des continents. C’est encore eux qui ont gagné. Qu’importe, ces années de travail interdisciplinaire ont été passionnantes. 

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