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Observations et causes.

Bruno Voituriez 

Sommaire

  1. Les surfaces de référence : ellipsoide et géoide.
    Les variations du champ de pesanteur.
    La topographie dynamique de la surface de l’océan.
      

  2. Les causes des variations du niveau moyen des océans.  

  3. La mesure des variations du niveau de la mer.
    La marégraphie.
    L’altimétrie satellitaire.
      

  4. L’évaluation des causes.
    L’expansion thermique des océans.
    Les «transferts de masse».
    Les calottes polaires.
    Les glaciers de montagne.
    Les eaux continentales.  

  5. Bilan global entre 1993 et 2011.  

  6. Variations spatiales et temporelles  

  7. El Niño, les variations interannuelles et les aux continentales.  

  8. Distribution régionale de l’élévation du niveau de la mer à long terme.  

  9. Conclusion


Compte tenu des concentrations humaines dans les régions côtières et dans les îles, l’élévation probable du niveau de la mer est un véritable défi pour ce siècle en raison du changement climatique que l’on sait maintenant inéluctable même si l’on peut encore espérer en limiter l’ampleur par des politiques mondiales appropriées.

    1. Les surfaces de référence : ellipsoïde et géoïde

      Pour parler du niveau de la mer et de ses variations il faut une référence géométrique fixe : c’est l’ellipsoïde de référence qui est au plus près de la forme de la Terre.
      Par rapport à cette référence absolue le niveau des océans est la somme de deux composantes.

      Les variations du champ de pesanteur

      La surface des océans en l’absence de tout mouvement, ce que naguère on appelait la «surface des eaux tranquilles» pour illustrer l’horizontale est une surface équipotentielle du champ de pesanteur ou géoïde ; c'est-à-dire qu’en en tout point la force de pesanteur lui est perpendiculaire. Comme la Terre n’est pas homogène, la pesanteur à sa surface varie et la surface de l’océan, géoïde, épouse les variations spatiales du champ de pesanteur qui font du «géoïde» une sorte de patatoïde fait de creux et de bosses (figure 1 ci-dessous).

      Ainsi par exemple entre l’océan Indien au sud de l’Inde et le Pacifique ouest du côté de l’Indonésie observe-t-on, par rapport à l’ellipsoïde de référence, une différence de niveau de la surface de l’océan-géoïde proche de 150 mètres.

      La topographie dynamique de la surface de l’océan  

      La deuxième composante est due aux mouvements de l’océan et aux courants qui induisent par rapport à ce géoïde des variations du niveau de la mer : c’est ce que l’on appelle la topographie dynamique de la surface de l’océan dont on déduit les courants marins. Plus la pente de la surface de la mer par rapport au géoïde est élevée et plus le courant est intense. Dans le Gulf Stream par exemple cette pente atteint 1 mètre pour 100 km.
      Si l’on s’intéresse aux variations du niveau moyen des océans c’est l’ellipsoïde géométrique qu’il faut prendre comme référence ; si ce sont les courants et leurs variations (la dynamique) qui nous préoccupent c’est le géoïde la bonne référence.

    2. Les causes des variations du niveau moyen des océans

      Ce qui détermine d’abord le niveau de l’océan c’est évidemment la masse d’eau qu’il contient exactement comme la quantité d’eau dans une casserole. C’est ensuite sa température moyenne qui détermine son degré de dilatation, c’est à dire son volume.
      Les variations du niveau des océans dépendent donc de celles de sa température et des quantités d’eau qu’il échange avec les autres réservoirs d’eau de la planète : les glaciers, les calottes polaires (Groenland, Antarctique) et les eaux continentales (rivières, lacs, nappes phréatiques etc.…).
      L’augmentation planétaire en cours et à venir de la température de la Terre
       ne peut qu’induire une élévation de ce niveau puisqu’elle échauffe l’océan qui absorbe 90%  (Quel est le rôle de l'océan dans le changement climatique anthropique?) du surplus de chaleur introduit dans le système climatique par l’accroissement des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et fait fondre glaciers et calottes polaires.
      D’où la nécessité de la détecter et d’en suivre l’évolution de manière à en évaluer l’ampleur à venir.
      Détecter c'est-à-dire mesurer : il n’y a pas d’autres sources de connaissance.  

    3. La mesure des variations du niveau de la mer

      La marégraphie

      La manifestation la plus visible de variations du niveau de la mer, c’est la marée.
      D’où les marégraphes installés dans les ports qui permettent d’établir les «annuaires des marées» indispensables à la navigation côtière. On peut filtrer et éliminer le signal de la marée pour accéder au niveau moyen de la mer. En le moyennant pour éliminer les variations thermiques saisonnières on peut suivre les variations du niveau de la mer d’une année à l’autre, en un point. C’est à partir de ces mesures marégraphiques à travers le monde que l’on a pu faire une première évaluation de l’élévation du niveau de la mer au cours du 20ème siècle jusqu’à l’avènement des mesures satellitaires en 1992 : environ 18 cm soit en moyenne à peu près 1,8 mm/an (figure 2 ci-dessous).

      La répartition spatiale des marégraphes n’est pas idéale et même s’il y en a dans des îles, la couverture mondiale est très faible. De plus liés à la terre ils en suivent les éventuels mouvements verticaux (rebond post-glaciaire, mouvements tectoniques, volcanisme) qui faussent la mesure.

      L’altimétrie satellitaire.

      La mesure directe depuis l’espace du niveau de la mer permet :
           a. la continuité dans le temps : le satellite revient régulièrement sur sa trace,
           b. la couverture de la totalité de l’océan
      On dispose ainsi en tout temps et en tout lieu de mesures absolues des variations du niveau de l’océan. Le principe en est simple si la réalisation ne l’est pas et si les corrections sont nombreuses pour extraire du signal la précieuse mesure du niveau de la mer (figure 3 ci-dessous)

      Il s’agit d’un radar embarqué sur un satellite qui envoie à la verticale une impulsion dont le temps de trajet aller et retour satellite-océan-satellite dépend de la distance du satellite à la surface de l’océan. Pour peu que l’on connaisse avec précision l’orbite du satellite, on en déduit tout le long de la trace du satellite les variations du niveau de la surface des océans. Les mesures précises (à mieux que 1 cm) ont commencé avec le satellite Topex/Poseidon qui, lancé en août 1992, est resté opérationnel jusqu’en janvier 2006. La suite a été prise par Jason 1 lancé en décembre 2001 et Jason 2 lancé en 2008.
      Les mesures des satellites Topex/PoseidonJason 1 et Jason 2 ont permis de mettre en évidence une augmentation de la vitesse de l’élévation du niveau moyen des océans : elle a été de 3,2 mm/an entre 1993 et 2011(figure 4 ci-dessous).

      Autre résultat remarquable : les observations par satellite ont révélé pour la première fois que le niveau de la mer ne monte pas de manière géographiquement uniforme.

    4. L’évaluation des causes.

      L’expansion thermique des océans.

      Il n’existe malheureusement pas de capteurs satellitaires permettant de sonder les couches internes océaniques et d’en mesurer la température ; les satellites ne donnent accès qu’à la température de surface. Ce sont néanmoins les systèmes satellitaires qui ont permis de s’affranchir des navires et de déployer dans tout l’océan des  systèmes de mesure in situ autonomes : mouillages fixes ou systèmes dérivant localisés par satellite qui transmettent les données qu’ils récoltent par satellite également. Ainsi dans le cadre du programme Argo lancé en 2000 ce sont, depuis 2007, plus de 3000 systèmes dérivants qui sont déployés dans tout l’océan entre 2000 et 3000 mètres de profondeur et qui, tous les dix jours, montent en mesurant la température et la salinité de toute la colonne d’eau jusqu’à la surface où ils sont localisés et transmettent les données recueillies (figure 5 ci-dessous).

      Ils replongent ensuite à leur niveau d’immersion jusqu’à la prochaine excursion vers la surface. Les mesures des variations thermiques de l’océan se font ainsi, espère-t-on, de plus en plus précises. Entre 1955 et 2003 la vitesse de l’élévation moyenne du niveau de la mer due à l’expansion thermique a été évaluée à 0,4 mm/an. Elle a été de 1,1 mm/an entre 1993 et 2011. Soit près du tiers de l’élévation mesurée par altimétrie.

      Les «transferts de masse».

      Les mesures depuis l’espace des variations de la gravité avec le système Grace lancé en mars 2002 apportent une nouvelle évaluation indépendante des transferts de masse d’eau :
           - mesure des variations de la masse océanique,
           - mesures des variations de masse des calottes glaciaires,
           - mesure des variations des eaux continentales.

      Le système (figure 6 ci-dessus) est constitué de deux satellites qui sur une même orbite, à 550 kilomètres d’altitude, se suivent à une distance de 220 kilomètres.
      Ils sont munis d’un instrument qui mesure les variations de la distance qui les sépare à moins de dix micromètres. Lorsque le satellite de tête arrive au-dessus d’une zone où la gravité croît, sa vitesse augmente et donc aussi sa distance au satellite qui le suit. De cette augmentation de distance (accélération) on déduit la variation correspondante du champ de gravité. Les satellites Grace effectuent une couverture globale de la Terre en un mois. C’est la première fois que l’on cartographie ainsi avec précision la valeur du champ de gravité sur tout le globe dans un temps aussi court. La partie constante de ce champ porte les signatures des structures tectoniques telles les dorsales océaniques, monts sous-marin, zones de subduction dont la connaissance se trouve ainsi grandement améliorée. Les variations temporelles sont, elles, le signe de transfert de masses.
      Exemple spectaculaire : Grace a pu mesurer la modification apportée au champ de gravité par le tremblement de Terre d’Indonésie qui provoqua le tsunami du 26 décembre 2004. Et pourtant la variation d’accélération correspondante n’est que de 20 nanomètres (milliardièmes de m/s2) ! 

      Les calottes polaires.

      Ce sont les techniques de télédétection (aéroportées ou satellitaires) qui ont permis depuis une vingtaine d’années d’avoir un nouveau regard sur les variations de masse des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique.
      L’altimétrie satellitaire sur orbite polaire (ERS-1/2Envisat), les altimètres laser aéroportés ou spatiaux (IceSat depuis 2003) permettent un suivi de l’évolution du niveau des calottes polaires et donc de leur volume et de leur masse. Depuis 2003 le système Grace donne accès directement aux variations de leur masse. En outre l’interférométrie appliquée aux radars à ouverture synthétique embarqués sur satellite (ERS1/2…) fournit des mesures de l’écoulement des glaciers et donc de leur décharge dans l’océan pour peu que l’on connaisse l’épaisseur du glacier. On arrive ainsi à estimer le bilan net de masse des calottes polaires.
      Chacune des techniques a ses propres incertitudes : les mesures de Grace par exemple doivent être corrigées du GIA ou Rebond Isostatique Postglaciaire ; à savoir le soulèvement des masses terrestres consécutif à la déglaciation encore à l’œuvre aujourd’hui et qui se traduit par une évolution de la répartition des masses et que l’on doit modéliser. Néanmoins les résultats obtenus s’accordent assez bien et montrent très clairement une accélération de la perte de masse des calottes polaires durant la dernière décennie.
      Accélération qui fait que la contribution de la fonte des calottes polaires à l’élévation du niveau de la mer est de plus en plus importante (figure 7 ci-dessous).

      Accélération qui fait aussi que le GIEC dans son quatrième rapport (2007) prévient que la contribution des calottes polaires aux scénarios d’élévation du niveau de la mer qu’il projette à l’horizon 2100 (entre 18 et 59 cm) pourrait être beaucoup plus importante (jusqu'à 1 mètre) en cas d’accélération de l’écoulement vers la mer des glaciers, comme les observations récentes le montrent.
      Deux processus contribuent à cette accélération :

      • D’abord la «lubrification» du soubassement rocheux du fait de l’infiltration de l’eau fondue en surface en été via les crevasses. C’est surtout semble-t-il valable pour le Groenland.

      • Ensuite la «cassure» de l’extrémité flottante des glaciers sur l’océan (ice shelf) qui favorise leur écoulement. Cassure due à la fragilisation de l’ «ice shelf» au contact d’une eau de mer qui s’échauffe provoquant une fonte du glacier à sa base et la cassure qui libère de la place pour l’écoulement du glacier en amont qui s’accélère.

      Le bilan est le suivant : de 1993 à 2003 la contribution totale des calottes polaires à l’élévation du niveau de la mer était de 0,4 mm/an (à égalité 0,2 pour le Groenland et l’Antarctique). Elle a plus que doublé par la suite : 1,1 mm/an (0,4 pour le Groenland, 0,7 pour l’Antarctique) de 2003 à 2009.
      De 1993 à 2011 la contribution moyenne des deux calottes polaires a été de 0.9 mm/an.
      Il n’est pas certain que cette accélération doive nécessairement se poursuivre comme le suggèrent certaines simulations prévoyant un doublement de la vitesse de l’écoulement des glaciers du Groenland d’ici 2100. D’une part il y a une limite mécanique probable à cette vitesse d’écoulement. D’autre par les quelques 200 glaciers groenlandais qui ont été étudiés sont loin d’être homogènes et différent par leur localisation géographique et les conditions météorologiques et aussi la topographie du fond sur lequel ils s’écoulent.

      Les glaciers de montagne

      Ces glaciers sont répartis à travers le monde et aucun n’est à nul autre vraiment semblable. Aussi est-il difficile de faire un bilan global de la masse de ces glaciers qui représentent 0,2 % du volume des glaces continentales soit un potentiel d’élévation du niveau de l’océan de 50 centimètres. Les estimations du bilan de masse combinent des mesures in situ (accumulation annuelle de neige et pertes par fonte) et des techniques géodésiques (altimétrie et modèles numériques de terrain déduits des satellites d’observation de la Terre comme Landsat et Spot) et elles se font glacier par glacier. On dispose d’informations sur quelque 100 000 glaciers à travers le monde rassemblées au « World Glacier Monitoring Service » WGMS à Zurich.
      Seule une centaine d’entre eux fournissent chaque année des informations permettant de faire leur bilan de masse. Sur cette centaine le WGMS a établi une liste de trente glaciers de référence représentatifs des chaînes de montagne du monde dont on peut faire chaque année le bilan de masse avec l’idée que les autres glaciers de la région dont les observations sont beaucoup plus réduites ont une évolution comparable.
      Et cela depuis 1980. Il en résulte que si la plupart des glaciers perdent régulièrement de la masse cela n’est pas le cas de tous. Quelques uns peuvent avoir tendance à croître du fait de l’augmentation des précipitations hivernales. Ce fut le cas des glaciers scandinaves de 1980 à 1990 et ça l’est encore pour certains glaciers Himalayens du Karakorum. Mais globalement la décroissance est inexorable et s’accélère (figure 8ci-dessous).  

       

      Dans son quatrième rapport le GIEC (IPCC) évaluait à 0,8 mm/an la contribution des glaciers continentaux à l’élévation du niveau de la mer entre 1993 et 2003. Les évaluations les plus récentes la donnent maintenant à 1,2 mm/an entre 2003 et 2009. Soit sur la période 1993-2011 environ 1 mm/an.  

      Les eaux continentales.

      Les eaux continentales (qui ici n’incluent pas les calottes polaires et glaciers) participent au cycle de l’eau planétaire et sont à ce titre actrices de la machine climatique. Elles sont constamment échangées avec l’atmosphère et l’océan (évaporation, transpiration, ruissellement). Comme les autres acteurs du système climatique elles sont donc soumises aux variations climatiques qui peuvent en affecter la quantité et à ce titre peuvent contribuer aux variations du niveau de la mer.
      Les activités humaines affectent également le stockage des eaux continentales dans les sols, réservoirs et aquifères : barrages, pompage de l’eau, irrigation, urbanisation, déforestation, agriculture etc. Elles ont aussi un impact possible sur le niveau de la mer dans un sens ou dans l’autre. On ne dispose pas, pour les dernières décennies, d’observations globales permettant d’estimer les variations des eaux continentales.
      Les modèles climatiques récemment développés permettent de calculer le bilan des échanges d’eau et d’énergie à la surface de la Terre et d’en déduire les variations dans le stockage des eaux continentales en fonction des paramètres atmosphériques près de la surface (température, précipitations, humidité, vent).
      De 1950 à 2000 il ne se dégage aucune tendance climatique à long terme mais de grandes variations interannuelles et décennales.

      Les interventions humaines peuvent avoir des effets contradictoires qu’il est difficile d’évaluer. D’un côté le pompage d’eau souterraine pour les besoins de l’agriculture et de l’industrie et les usages domestiques qui se traduit par une perte d’eau et donc une élévation du niveau de la mer ; de l’autre la construction de nombreux barrages sur les cinquante dernières années qui au contraire retiennent l’eau et a plutôt tendance à faire baisser le niveau de la mer. Des études récentes concluent à un match quasi-nul pour ces deux tendances au cours des décennies passées mais avec des valeurs relativement élevées : + 0,55 à 0,64 pour la hausse contre - 0,55 à la baisse.
      Le satellite Grace mesure les variations temporelles des quantités d’eau à la verticale (eaux de surface, humidité des sols, eaux souterraines) sans discriminer les contributions des réservoirs individuels ni distinguer la part climatique de celle attribuable directement aux activités humaines (figure 9 ci-dessous).

      D'après les résultats de Grace, une étude portant sur la période 2003-2006 concluait à une contribution positive inférieure à 0,2 mm/an à l’élévation du niveau de la mer. Une étude ultérieure portant sur la période 2002-2008 concluait à une contribution négative voisine de - 0,2 mm/an confirmant ainsi que la variabilité climatique interannuelle est le signal dominant (qui est faible en tout état de cause) pour les eaux continentales.
      Trois conclusions s’imposent :
       

      • les eaux continentales ont été de peu de poids dans l’évolution à long terme du niveau de la mer au cours des dernières décennies ;

      • la variabilité climatique aux échelles pluriannuelles et décennales est importante ;

      • les activités humaines induisent à long terme de grands changements dans l’hydrologie continentale même si, rapportés au niveau de la mer les effets pour l’instant s’annulent ce qui ne sera pas forcément le cas à l’avenir.

      On ne peut donc discerner à l’heure actuelle aucune tendance à long terme dans les variations des eaux continentales. Pour l’avenir, la construction de barrages décroissant nettement et le pompage d’eau continuant à un rythme soutenu, on peut s’attendre à une contribution positive au niveau de la mer.

    5. Bilan global entre 1993 et 2011.

      Après évaluation des différentes variations qui peuvent influencer le niveau de la mer, un bilan a été établi pour la période 1993-2011 (figure 10 ci-dessous).

      Bilan 1993-2011 de l’élévation du niveau de la mer : mesure altimétrique du niveau de la mer et évaluation de la contribution des diverses composantes.

      Mesure altimétrique directe :

      3,2 mm/an +/-0.5

      Composante thermique :

      1,1 mm/an

      Glaciers :

      1,0 mm/an

      Calottes polaires :

      0,9 mm/an

      Eaux continentales :

      négligeable

      Total des contributions :

      3 mm/an

      On voit qu’entre la mesure directe altimétrique et la somme de l’évaluation de chacune des composantes l’écart est très faible et reste dans la marge d’incertitude.

    6. Variations spatiales et temporelles
      L’obsession du réchauffement global ne doit pas occulter la variabilité climatique «naturelle» aux échelles temporelles pluriannuelles et décennales. Ne considérer que des valeurs globales moyennes peut faire oublier que l’élévation du niveau de l’océan et les variations de son contenu thermique ne se font pas de manière homogène. Loin de là. Si les mesures altimétriques faites depuis 1992 (Topex/Poseidon) montrent que le niveau de la mer s’est élevé en moyenne de 3,2 mm/an, elles montrent aussi que cette valeur varie d’une région à l’autre (figure 11 ci-dessous).

       


      Différences de niveau de l’océan entre 2011 et 1992 ; mesures satellitaires.

      Ainsi entre 1992 et 2011 on observe une augmentation de plus de 10 mm/an dans l’ouest du Pacifique tropical mais une baisse à peu près équivalente du côté des Aléoutiennes, et sur les côtes américaines du Pacifique. Dans l’Atlantique on note aussi un contraste marqué entre la mer du Labrador (augmentation) au sud du Groenland d’une part et juste au sud dans la région du Gulf Stream (diminution) d’autre part. Il y a pour à peu près la même période (1993-2003) une très grande similitude avec les variations de l’expansion thermique déduite des mesures in situ (figure 12, 1 & 2 ci-dessous) qui est donc manifestement le signal dominant.
      Or sur une période plus longue (1955-2003) (figure 12, 3 ci-dessous) on observe une situation très différente quasiment inverse dans ces deux régions: là où l’expansion thermique était maximale dans le Pacifique intertropical ouest on observe maintenant une diminution significative et dans l’est une élévation au lieu d’une diminution ; de même dans l’Atlantique nord la situation s’inverse-t-elle entre la région du Gulf Stream et celle de la mer du Labrador.

      Cela traduit incontestablement le poids très fort des variabilités climatiques pluriannuelles et du couplage océan/atmosphère qui ont un impact, via les variations de la circulation océanique associée, sur la répartition du contenu thermique des couches superficielles des océans et donc sur celle de l’élévation du niveau de la mer.
      Par exemple : la «NAO» et le Gulf Stream :
      La NAO est une oscillation que l’on caractérise par la différence de pression atmosphérique entre l’anticyclone des Açores et les basses pressions d’Islande. Plus cette différence est élevée (anomalie positive de l’indice NAO) et plus le régime des vents d’ouest est fort aux latitudes tempérées assurant à l’Europe de l’ouest des hivers doux et humides et réciproquement. Si la NAO variait d’année en année de manière aléatoire tout cela n’aurait pas beaucoup d’importance : l’océan n’aurait guère le temps d’enregistrer de manière durable les perturbations d’une année que l’année suivante viendrait effacer. Il ne s’agirait que d’un bruit de fond sans conséquence à moyen et long terme.

      Évolution de l’indice (North Atlantic Oscillation) 1860-2000.
      Différence de pression atmosphérique entre Lisbonne et Reykjavik

      Mais il n’en est pas ainsi, et c’est bien pourquoi on parle d’oscillation : les anomalies ont une certaine durée comme on le voit sur la figure de l’évolution de l’indice de NAO depuis le milieu du XIXe siècle. Notamment une phase négative de 1950 à 1970 puis positive jusqu’en 2000 (figure 13 ci-contre).
      Le transport du Gulf Stream est corrélé, avec un retard de quelques mois, aux variations de la NAO : à indice élevé (vents d’ouest forts) correspond une intensification du Gulf Stream et réciproquement. Il en est évidemment de même des transports de chaleur océanique et donc du contenu thermique océanique de l’Atlantique nord… D’où l’impact probable sur la répartition du contenu thermique océanique et le signal altimétrique. Autre exemple dans le Pacifique : une oscillation analogue PDO témoigne des variations des conditions thermiques océaniques du Pacifique nord sur des périodes de vingt à trente ans dont la signature ressemble beaucoup à l’alternance observée dans le signal altimétrique entre l’est et l’ouest du Pacifique.
      Ces oscillations, d’El Niño à la NAO, à la PDO et d’autres encore se chevauchent et interagissent. Elles induisent des fluctuations de la distribution géographique du contenu thermique de l’océan, des fluctuations climatiques (précipitations, évaporation, ruissellement), des modifications de la circulation océanique qui toutes ont leur signature dans le signal altimétrique et sa répartition géographique sans que l’on puisse encore démêler complètement l’écheveau. 

    7. El Niño, les variations interannuelles et les aux continentales.

      En deçà de la variabilité climatique pluriannuelle évoquée plus haut la courbe d’évolution du niveau moyen des océans de la figure 4 fait apparaître des oscillations de beaucoup plus coutes périodes de quelques mois à un ou deux ans dites interannuelles. Peuvent ainsi apparaître à ces échelles de temps des périodes où le niveau de la mer diminue. Les climato sceptiques ont d’ailleurs cherché à tirer pari de ces épisodes éphémères pour mettre en doute la réalité du changement climatique qui se situe pourtant à une tout autre échelle.
      Les phénomènes El Niño/La Niña (ENSO) sont emblématiques de l’interaction entre l’océan et l’atmosphère et de la variabilité naturelle du climat aux échelles interannuelles. En période normale les eaux chaudes équatoriales poussées par les alizés s’accumulent sur le bord ouest de l’océan Pacifique où elles forment ce que l’on appelle la Warm Pool où la température peut dépasser 30 °C. C’est la région où les échanges océan/atmosphère atteignent leur paroxysme et les pluies y sont abondantes. À l’inverse les eaux sont relativement froides le long de l’équateur et le climat est très sec sur les côtes du Pérou et du Chili. La Niña est le paroxysme de cette situation normale : les alizés à leur maximum accumulent le maximum d’eaux chaudes à l’ouest alors que dans l’est du Pacifique et le long de l’équateur les températures de surface de l’océan sont au plus bas. El Niño correspond à une inversion de cette situation. Les alizés faiblissent au point qu’ils ne sont plus en mesure de retenir les eaux de la Warm Pool qui se répandent le long de l’équateur jusqu’aux côtes de l’équateur et du Pérou amenant précipitations et inondations dans ces régions normalement sèches. Une zone de pluies intenses s’étend tout le long de l’équateur.
      Il y a donc entre les deux situations une différence radicale dans les échanges océan/atmosphère et les régimes de précipitations. Différence qui ne se limite d’ailleurs pas au Pacifique équatorial. Ces variations ont un impact sur les eaux continentales. Le pic que l’on observe en 1997/98 sur la courbe d’évolution du niveau de la mer (figure 4) correspond exactement au fort El Niño que connut l’Océan Pacifique à cette date et coïncide aussi avec une forte diminution du stock d’eaux continentales au profit de l’océan (figure 14 ci-dessous).


      Evolutions parallèles du niveau de la mer dont on a soustrait la tendance en rouge et du stock d’eau continentale changé de signe en vert (exprimé en équivalent mm)

      Ceci démontre que si, sur le long terme, la variation des eaux continentales joue peu sur le niveau de la mer (voir plus haut) elle est prépondérante aux échelles interannuelles. Sur la courbe de la figure 4, à l’inverse d’El Niño, les épisodes Niña (2007/2008 et 2011) qui se traduisent par une diminution sensible du niveau de la mer correspondent à un accroissement des eaux continentales (figure 15 ci-dessous)).


       

    8. Distribution régionale de l’élévation du niveau de la mer à long terme.

      Au-delà de la variabilité pluri annuelle et décennale évoquée précédemment, l’élévation du niveau de la mer ne se fait pas de manière homogène.
      Il y a et il n'y aura des variations régionales importantes pour diverses raisons :
      • D’abord pour des raisons de dynamique océanique qui affectent la composante stérique. Le changement climatique induit, comme son nom l’indique, une modification progressive du climat qui a un impact durable sur la circulation océanique et donc sur la répartition du contenu thermique de l’océan. Ce que les modèles climatiques peuvent prévoir.

      • Ensuite la fonte des calottes polaires et des glaciers et les transferts d’eaux continentales provoquent des modifications du champ de pesanteur donc du géoïde et du niveau (par rapport à l’ellipsoïde de référence) de la surface des océans qui l’épouse. Au sortir de la dernière période glaciaire la fonte des calottes glaciaires nord américaines et européennes a provoqué une montée rapide du niveau des océans (~130 m). Il y correspond un transfert de charges : décharge sur les continents à laquelle répond une surrection des masses continentales et surcharge sur l’océan qui provoque une subsidence des fonds marins. Ces mouvements se propagent sur toute la Terre et sont encore en cours aujourd’hui : surrection ici, subsidence ailleurs qui modifient la géométrie des bassins océaniques et auxquels correspondent aussi des modifications dans la répartition des masses et donc dans celle du champ de pesanteur et par conséquent dans la forme de la «surface-géoïde». C’est ce que l’on appelle le rebond post-glaciaire (GIA) qu’il faut prendre en compte dans le bilan global des composantes qui contribuent aux variations du niveau de la mer et que l’on modélise. A ce rebond post glaciaire correspond une diminution actuelle moyenne du niveau moyen de la mer de 0,3 mm/an qui est prise en compte dans l’évaluation de l’élévation du niveau moyen par rapport à l’ellipsoïde de référence. Cette correction n’est pas homogène et elle provoque des disparités spatiales actuellement faibles par rapport à celles produites par la composante stérique qui domine aux échelles des observations dont on dispose pour la mesure du niveau de la mer. La fonte des glaces et le transfert des eaux continentales dus au changement climatique qui introduisent une nouvelle perturbation du champ de pesanteur contribuent aussi à une spatialisation de l’élévation du niveau de la mer.

      • Enfin, dernier élément, l’attraction des masses continentales sur l’océan à proximité des côtes.
        Plus la masse continentale est importante plus elle «attire» la mer et le niveau de la mer a tendance à être élevé et inversement. La diminution des masses des calottes glaciaires affaiblit cette force d’attraction et tend donc à faire baisser le niveau de la mer à proximité. Phénomène relativement local qui contribue à spatialiser les variations du niveau de la mer en introduisant cette fois une composante négative. Une étude récente s’appuyant sur trois scénarios d’émission de gaz à effet de serre  (SRES) du Giec et rassemblant l’ensemble de ces phénomènes a simulé la répartition spatiale du niveau de la mer à l’horizon 2100. Il en ressort que pour chaque scénario qualitativement la répartition spatiale de l’élévation du niveau de la mer est très similaire. La figure 16 ci-dessous correspond au scénario A2 et à une élévation moyenne de 50cm.  

      Il est à noter que ces simulations s’appuient sur les résultats du 4ème rapport du GIEC qui ne prennent pas en compte l’accélération constatée de la fonte des calottes glaciaires qui pourrait conduire en 2100 à des élévations beaucoup plus importantes de 80 cm à 2 mètres dans les conditions les plus défavorables. Mais on peut penser que la répartition spatiale sera qualitativement analogue.

    9. Conclusions

      La mer, incontestablement et inexorablement, monte… Elle le fait à un rythme variable aux échelles pluriannuelles et décennales qui intègrent les réponses propres des différentes composantes qui y contribuent au réchauffement global d’une part et à toutes les échelles de variation climatique d’autre part…Ce rythme risque de s’accroître compte tenu de l’accélération du mouvement vers la mer des glaciers qui bordent les calottes polaires et dont les processus sont encore mal pris en compte dans les modèles.
      Avec à l’horizon 2100 une perspective d’élévation du niveau moyen des océans qui pourrait atteindre voire dépasser 1 mètre, perspective nettement supérieure à la projection la plus pessimiste du quatrième rapport du Giec (2007) qui était de 59 centimètres.
      Nous disposons des moyens techniques opérationnels d’observation pour en suivre le mouvement, en déterminer et quantifier les différentes contributions, comprendre les mécanismes qui les relient et donc améliorer et alimenter les modèles prévisionnels d’évolution du climat.Il faut assurer leur pérennité.
      À développement durable… système durable d’observation de la planète Terre pour comprendre et prévoir l’évolution de notre biosphère. Ainsi à défaut, le cas échéant, d’avoir pris les mesures nécessaires en temps utile pour s’assurer dans l’avenir un confort climatique, l’Homme aura-t-il au moins la consolation de comprendre le pourquoi des désagréments auxquels il sera exposé.

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