Guy Jacques
Au moment où des scientifiques s’interrogent sur l’éventuel rôle de puits des végétaux terrestres (Le Journal du CNRS, avril 2007 : CO2 : dans quel camp sont les plantes ?»), la bio-ingénierie entre en scène avec un projet qui permettrait d’utiliser un carburant dont l’élaboration soustrairait à l’atmosphère autant de CO2 que sa combustion en relâcherait et qui éviterait la crise liée à l’épuisement des réserves fossiles.
La fabrication de biodiesel à partir de graines de colza et de bioéthanol à partir de déchets de papier et de bois, de maïs, de betteraves et de petit-lait (un groupe laitier allemand vient d’investir 20 millions d’euros dans cette filière), est déjà une réalité. Mais ces techniques présentent un faible rendement. Ainsi, les États-Unis consacreront-ils en 2008 le tiers de leur récolte céréalière à la production d’éthanol, au grand dam des pays pauvres importateurs de ces céréales à des fins alimentaires.
L’avenir n’appartiendrait-il pas aux algues microscopiques ? Dans la biosphère, aucune communauté n’est aussi productive que le phytoplancton. Pourtant, si l’on pesait la totalité du phytoplancton on obtiendrait une biomasse infime de 1 Pg de carbone alors que celle des végétaux terrestres est estimée 650 Pg ! Or, la production primaire océanique atteint 50 Pg de carbone par an, à peine moins que la production des végétaux terrestres qui avoisine 65 Pg de carbone. Le taux de renouvellement de la biomasse marine est donc de l’ordre d’une semaine,….sachant que dans les aires de remontée et en culture, on peut dépasser un doublement quotidien de la biomasse. On comprend pourquoi l’écologiste catalan Ramon Margalef a choisi d’étudier le phytoplancton, n’ayant pas la patience d’attendre une centaine d’années le renouvellement d’une forêt !
L’emploi de microalgues ne date pas d’aujourd’hui puisque les Mayas et les Aztèques utilisaient des cyanobactéries, les spirulines, comme complément alimentaire : le tecuitlatl, très riche en protéines. C’est évidemment vers des espèces riches en triglycérides que s’orientent les industriels qui, en Israël (Algatechnologies LTD, Kibutz Ketura), en Espagne (Bio Fuel Systems, Alicante), et aux Etats-Unis (GreenFuel Technologies Corporation, Cambridge, Massachusetts), se lancent dans l’élaboration de «biofioul». En sélectionnant les espèces et en carençant le milieu de culture (en silicium pour les diatomées, en azote pour les algues vertes), il est déjà possible d’atteindre 60 % de lipides, une teneur de 80 % n’étant pas à exclure par modification génétique.
Pour répondre aux besoins du transport en France, soit 50 millions de tonnes équivalent pétrole, il faudrait cultiver du colza sur une superficie correspondant à 104 % de notre territoire, 118 % pour du tournesol. Comme il n’est pas souhaitable de détourner totalement ces oléagineux de leurs destination alimentaire, l’avenir semble bien appartenir aux algues microscopiques cultivées dans des bioréacteurs où tout peut être contrôlé. Des systèmes expérimentaux fonctionnent déjà (figure 1) et le passage à des surfaces importantes peut s’envisager. Ces systèmes sont placés à côté d’usines thermiques rejetant du CO2 et du NOx, gaz absorbés par les algues. En effet, à de telles concentrations d’algues, le CO2 devient un élément qui limite la production et celui présent dans l’air ne suffit plus. En termes d’échanges de CO2, le bilan reste neutre car tout le carbone assimilé sous forme de matière organique retourne dans l’atmosphère lors de l’utilisation du biocarburant.
La culture de microalgues produit, chaque année, trente fois plus d’huile à l’hectare que les oléagineux terrestres (maïs et carthame : 200 litres, colza et palmier à huile, 1 200 litres). Une superficie de 40 000 km2 dans le désert du Sonora, site d’exploitation envisagé, fournirait tout le pétrole dont les États-Unis ont besoin à un prix qui devrait être compétitif vers 2010, le renchérissement du prix des énergies fossiles paraissant inéluctable.
Figure 1 - Cultures de microalgues.
Comparé à des cultures terrestres intensives, la multiplication du phytoplancton ne nécessite pas de pesticides et les «engrais» (phosphates et nitrates) sont totalement utilisés.
Plusieurs filières d’élaboration du carburant sont envisageables à partir des lipides du phytoplancton. Une simple extraction par pressage des algues permettrait d’obtenir à faible coût 70 % de l’huile, l’utilisation de solvants organiques conduisant, à des prix plus élevés, à une extraction totale. Comme pour le colza ou le tournesol, l’huile végétale peut être utilisée directement dans certains moteurs diesel mais les triglycérides peuvent également être transformés en monoglycérides méthyliques alimentant des moteurs à compression.
L’élaboration de carburant à partir de microalgues constitue une fin «morale» à une très longue histoire. Le pétrole que nous épuisons et dont la consommation est à l’origine de l’accentuation de l’effet de serre a pour origine l’accumulation dans les sédiments marins…de phytoplancton. Le pétrole est la seule roche issue de la matière organique de ces êtres microscopiques, les autres roches biogènes provenant des «squelettes» carbonatés (craie) ou siliceux (diatomites, radiolarites). En fabriquant du biofioul à partir de phytoplancton l’homme ne fera qu’accélérer de matière prodigieuse l’histoire, ramenant le temps qui sépare l’algue vivante du carburant à quelques jours au lieu de quelques millions d’années. L’avantage est qu’il n’y aura plus de décalage entre l’absorption photosynthétique de CO2 par photosynthèse et son émission dans l’atmosphère par combustion : le bilan de CO2 sera totalement neutre.
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