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Quel rôle joue-t-elle dans la circulation thermohaline?

Bruno Voituriez

De tous les mouvements de l’océan, la marée est celui qui est le plus immédiatement perceptible. 

Les courants qu’elle engendre à la côte sont beaucoup plus intensesque les courants au large de ce que l’on appelle la circulation générale océanique.

La vitesse du Gulf Stream ne dépasse pas trois nœuds alors que, par exemple, à la pointe du Cotentin dans le Raz Blanchard, bien connu des marins, le courant de marée peut, avec les coefficients les plus forts, atteindre douze noeuds. 

Curieusement, la force des marées n’est généralement pas prise en compte lorsque l’on évoque les moteurs de la circulation océanique que l’on limite à la force d’entraînement du vent et aux échanges thermodynamiques (échanges de chaleur, évaporation/précipitations) entre océan et atmosphère qui induisent des variations de densité génératrices des circulations dites thermohalines, et notamment ce qu’il est convenu d’appeler le «Tapis Roulant», dont on redoute que changement climatique aidant, il ne s’interrompe comme il le fit en période glaciaire. Il y a de bonnes raisons à cela. 

Au large, à grande profondeur, le passage de l’onde de marée n’est guère sensible. La dénivellation qui lui correspond est de l’ordre de quelques centimètres bien loin du marnage de quatorze mètres que l’on peut observer en baie du Mont Saint Michel. Les courants qu’elle génère sont aussi très faibles et alternatifs : ils n’ont pratiquement aucun impact sur la circulation générale.

La dissipation de l’énergie des marées

La circulation thermohaline : le «Tapis Roulant»

L’Énergie manquante : la dissipation de l’énergie des marées en plein océan.

L’observation de la dissipation de l’énergie des marées : l’altimétrie

La dissipation de l’énergie des marées

La marée est le résultat de l’attraction qu’exercent sur le fluide océanique la lune et le soleil. 

C’est une onde de masse (qui concerne toute la colonne d’eau) qui se propage avec une vitesse dépendant de la profondeur : 200 m/s sur des fonds de 4000 mètres et seulement 20m/s avec 40 mètres de profondeur. Du fait des continents qui lui font obstacle et de la force de Coriolis la propagation des ondes de marée à travers l’océan se fait de manière complexe comme l’illustre la figure 1 qui montre comment l’onde luni-solaire M2 qui domine, se déploie autour de points dits «amphidromiques» où l’amplitude de la marée est nulle. 

Figure 1 : Propagation de l’onde semi-diurne M2. 
Les couleurs représentent les phases : les régions d’une même couleur voient passer l’onde à la même heure (lignes cotidales). On voit par exemple qu’autour du point amphidromique (point où l’amplitude est nulle) situé dans l’Atlantique nord, l’onde se propage en tournant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Les lignes blanches sont des lignes d’iso amplitude en cm. Source : Ifremer .

En arrivant sur les obstacles que constituent talus et plateaux continentaux l’énergie contenue dans la masse d’eau va se transformer en énergie cinétique (les courants de marée que l’on utilise dans les usines marémotrices comme celle de la Rance) et en mélanges turbulents.

C’est la «dissipation» de l’énergie des marées. L’analogie peut-être faite avec la dissipation de l’énergie de la houle. Produite par le vent elle ne concerne que les premières dizaines de mètres de la surface , et se propage en ondulant régulièrement au large jusqu’à ce que frottant sur des petits fonds elle se cambre et déferle pour le plus grand plaisir des surfeurs. Comparaison aussi avec les tsunamis : un séisme qui se traduit par un effondrement local du fond de l’océan produit une onde de masse océanique analogue à l’onde de marée qui se propage avec des vitesses comparables et avec des amplitudes analogues au large jusqu’à ce que, arrivant à la côte, son énergie se dissipe avec les effets dévastateurs que l’on sait. On pourrait presque dire que la marée est un tsunami périodique dont la prévisibilité permet de s’y adapter. 

On a longtemps pensé que la quasi-totalité de la dissipation de l’énergie des marées se faisait ainsi sur les talus et plateaux continentaux et qu’elle était négligeable en plein océan. C’était une erreur et l’on sait maintenant que 25 à 30% de la dissipation a lieu en plein océan et qu’elle est un moteur essentiel de la circulation thermohaline.

La circulation thermohaline : le «Tapis Roulant»

Oublions un temps la marée et revenons aux autres moteurs de la circulation océanique : le vent et les échanges thermodynamiques qui permettent de bien rendre compte de l’amorce du fameux «tapis roulant» figure 2 : la plongée en mer du Groenland d’eaux de surface denses jusqu’ à la profondeur de leur équilibre hydrostatique vers 3000 mètres de profondeur. 

Selon ce schéma très simplifié, ces eaux dites «Eaux Profondes Nord Atlantique» vont en profondeur se répandre dans tout l’océan puis remonter en surface où les courants de surface fermeront la boucle. 

Figure 2 : Représentation schématique de la circulation thermohaline.

Si au départ le parcours de ces eaux profondes est assez bien canalisé sur le bord ouest de l’Atlantique, il n’en est pas de même ensuite et leur progression et leur remontée se font de manière beaucoup plus diffuse. 

Ceci est le résultat de l’entraînement par le vent des courants océaniques qui via le Gulf Stream, puis de la Dérive Nord Atlantique, transportent des eaux chaudes et salées des régions tropicales jusqu’au confins de l’Arctique. 

Les échanges thermodynamiques font qu’elles se refroidissent, donc se densifient au long de leur parcours. Leur salinité élevée leur assure un surcroît de densité qui se renforcera encore lorsque la formation de la banquise (faite d’eau douce) augmentera encore la salinité. Plus lourdes que les eaux sous-jacentes, elles plongent alors : c’est le point de départ du tapis roulant. 

Il est à noter qu’avec une circulation océanique générée par le vent pourtant analogue, l’Océan Pacifique Nord n’est pas le siège de formation d’eaux profondes. C’est le résultat du bilan des échanges thermodynamiques entre océan et atmosphère (évaporation/précipitations) qui fait que l’Océan Atlantique tropical est nettement plus salé que le Pacifique auquel il manque la pincée de sel nécessaire pour accroître la densité des eaux que les courants transportent vers le Nord. Avec cette conséquence importante qui fait que climatiquement on attache une telle importance à ce phénomène : la quantité de chaleur transportée vers le nord par les courants océaniques est beaucoup plus importante dans l’Atlantique que dans le Pacifique.

L’Énergie manquante : la dissipation de l’énergie des marées en plein océan.

Les Eaux Profondes Nord Atlantique se répandent donc dans l’océan. Mais pour qu’il y ait «Tapis Roulant» et que la circulation perdure, il faut qu’elles remontent à la surface. Il faut de l’énergie pour ce faire. Il n’y a pas à ces profondeurs de vent ou d’échanges avec l’atmosphère pour la fournir. Certes le vent en surface contribue à cette remontée (théorie d’Ekman) dans les upwellings côtiers ou les divergences du large telle la divergence équatoriale ou la divergence antarctique. Mais ce n’est là que le processus ultime de remontée : les eaux ne proviennent alors que de quelques dizaines ou centaines de mètres de profondeur. Pour que le tapis roulant fonctionne il faut une source d’énergie permettant de faire remonter les eaux profondes jusqu’à des profondeurs où le vent peut prendre le relais : c’est la dissipation de l’énergie des marées au large. 

L’océan a un fond. Dans leur propagation les ondes de marée perdent de l’énergie par frottement sur le fond. Énergie transformée en mélange turbulent qui fait que les couches les plus profondes donc les plus denses se mélangent avec les couches d’eaux plus légères qui les surmontent ce qui revient à faire remonter progressivement par mélange les eaux de fond.

Les fonds océaniques ne sont pas plats, ils sont parcourus de chaînes montagneuses (les dorsales médio-océaniques) et parsemés de monts sous marins qui peuvent surplomber les plaines abyssales de deux à trois mille mètres . 

Figure 3 : Topographie des fonds océaniques déduite de l’analyse du niveau de la mer fourni par altimétrie satellitaire. La surface des océans est en première approximation une représentation du géoïde (surface équipotentielle de la pesanteur). La Terre n’est pas homogène et la répartition des masses terrestres se traduit par des déformations du géoïde et donc par des variations avec des creux et des bosses de la surface de la mer par rapport à une surface mathématique de référence très régulière telle un ellipsoïde qui la représente globalement au mieux. A l’inverse, de ces variations on peut inférer la répartition des masses et identifier les variations du relief sous marin. NOAA National Geophysical Data Center

Autant d’obstacles formidables sur lesquels viennent buter les ondes de marée qui vont y dissiper une partie importante de leur énergie, et induire des mélanges turbulents qui feront que progressivement et de manière diffuse en différents endroits de l’océan, les eaux profondes se rapprocheront de la surface où le vent les réintégrera dans la circulation océanique de surface pour un nouveau voyage !

L’observation de la dissipation de l’énergie des marées : l’altimétrie

Le colloque de Williamstown organisé en 1969 à l’instigation de la NASA pour réfléchir aux projets spatiaux en vue d’une meilleure compréhension de la Planète Terre fut l’occasion d’une extraordinaire convergence entre astronomes et océanographes autour d’une question commune : qu’en est-il de la dissipation de l’énergie des marées ? 

D’un côté les astronomes déduisaient la dissipation des marées (onde M2) de l’éloignement de la Lune (3.8 cm/an), de son ralentissement et du ralentissement de la rotation de la Terre et l’évaluaient à 2.9x10*12 W ; de l’autre, les océanographes qui ne connaissaient que la dissipation sur les pentes et talus continentaux et l’estimaient entre 1.4 et 1.7x10*12 W, soit à peu près la moitié. 

D’où le problème de "l’énergie manquante" dont avaient besoin à la fois les astronomes mais aussi les océanographes pour boucler le bilan énergétique de la circulation thermohaline. 

Dés 1966 W.Munk avait posé le problème de la dissipation de l’énergie des marées au large, mais l’on n’avait guère alors les moyens de la mettre en évidence et de l’évaluer. Selon C.Wunsch en 1990 le problème de savoir comment et où se dissipait l’énergie des marées était l’un des quatre points clés importants et difficiles que l’océanographie physique avait à résoudre au cours du prochain siècle. 

En 1996 lors d’une réunion du Scientific Working Team de Topex/Poseidon, Ch.Le Provost apporta une contribution décisive en faisant la première évaluation à partir d’un modèle hydrodynamique des marées( Le Provost et Lyard 1997).

La confirmation expérimentale est venue une fois de plus de l’espace et de la mesure du niveau de la mer par le satellite altimétrique Topex/poseidon lancé en 1992.
Dans un milieu stratifié, comme l'océan, (la densité varie en fonction de la profondeur), la dissipation de l'énergie (qui est en fait une transformation d'énergie), se fait au sein du fluide par l’intermédiaire d'ondes dites "ondes internes" qui, faisant varier lors de leur passage la structure verticale de densité, ont une influence sur l'élévation du niveau de la mer. Par exemple des ondes internes se propageant au niveau de la thermocline induisent une surélévation en surface quand la thermocline s'enfonce au passage de l'onde et réciproquement. Le signal est très faible : à une crête (ou un creux) de 10 m de l’onde interne correspond un creux (ou une crête) de 1 cm en surface. Néanmoins c'est ce signal que le satellite Topex/Poseidon a réussi à détecter permettant de cartographier et quantifier la dissipation de l'énergie de l'onde M2 composante semi- diurne de l’onde de marée qui représente 70% du signal total de la marée (Egbert et Ray 2000).
Retombée inattendue mais spectaculaire qui atteste de la précision des mesures altimétriques et milite en faveur du maintien de mesures opérationnelles altimétriques de haute précision dans l’avenir. 

Figure 4 : Dissipation de l’énergie de l’onde de marée M2 déduite de l’altimétrie. 

Voir bibliographie n°4, article de Egbert et Ray

On retrouve sur cette figure les grands traits de la topographie des océans de la figure 3 . 

On sait donc maintenant où et comment se dissipe l’énergie des marées qui assure, enfin, à la circulation thermohaline un bilan énergétique équilibré et rassure les astronomes. 

Cela ne garantit pas l’éternité à la circulation thermohaline : les aléas du changement climatique peuvent faire que le tapis roulant entre en sommeil voire s’interrompe sans que la marée qui se moque bien du changement climatique y puisse quelque chose.


Bibliographie :

  1. Munk, W.H., Abyssal Recipes, Deep Sea Res., 13, 707-730, 1966

  1. Wunsch, C., Comment on R.N.Stewart’s “ Physical Oceanography to the end of the 20th century”, in Quo Vadimus: Geophysics for the Next Generation , Geophys. Monogr; Ser., vol.60 , p 69, AGU, Washington D.C. 1990.

  1. Le Provost, C. and F.Lyard, Energetics of the Barotopic Ocean Tides: an estimate of bottom friction dissipation from a hydrodynamic model, Orogr.Oceanogr, 40, 37-52, 1997.

  1. Egbert G.D., and Ray R.D., Significant Tidal Dissipation in the Deep Ocean inferred from satellite altimeter data, Nature, 405, 775-778, 2000.

 

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