Commentaires sur les résultats présentés dans le 4ème rapport du GIEC (2007).
Jacques Merle
Deux propriétés de l'océan sont essentielles dans le changement climatique d'origine anthropique actuel :
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Sa capacité d'absorber une fraction importante de la chaleur résultant de l'effet de serre additionnel induit par les émissions de gaz à effet de serre (principalement le gaz carbonique) d'origine humaine.
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Sa capacité d'absorber une partie de ce gaz carbonique additionnel injecté dans l'atmosphère.
Absorption de la chaleur par l'océan
Les milieux terrestres ne sont plus en équilibre radiatif du fait de l’impact des activités humaines :
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injection continue de Gaz à Effet de Serre (GES) et d’aérosols dans l'atmosphère,
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utilisation des surfaces terrestres qui modifient l’albedo etc…. .
Le forçage radiatif résultant de la somme des termes positifs (ou des apports radiatifs principalement par les GES et l'Ozone stratosphérique), et des termes négatifs (absorption radiative par les aérosols et leurs effets sur la couverture nuageuse et l'albedo, utilisation des terres), est appelé le "forçage". Il est de 1,6 W/m2 sur l'ensemble de la surface de la Terre.
Ces 1,6 W/m2 supplémentaires servent à accroître le contenu thermique de l'atmosphère donc sa température moyenne (accroissement mesuré de 0,8 °C depuis le début du XXème siècle). Cet accroissement de température de l'atmosphère est l'effet le plus visible du changement climatique et le plus sensible pour l'humanité.
Mais une fraction importante de ces 1,6 W/m2 est également absorbée par la fonte des glaciers polaires, des glaciers continentaux et des glaces de mer, ainsi que par les continents et les océans. L'accroissement du contenu thermique de l'océan au cours du siècle passé peut être estimée avec une assez bonne précision à l'aide des mesures de températures réalisées régulièrement dans l'océan, au moins dans ses couches supérieures (0 - 3 000 m). L'estimation de la chaleur absorbée par la fonte des glaciers est également assez précise. Il n'en est cependant pas de même pour le changement du contenu thermique des continents (sols, couvert végétal) encore mal connu mais considéré comme non majoritaire.
Ainsi les chiffres, fournis par le 4ème rapport du GIEC pour la période 1961 - 2003, montrent sans contestation possible que c'est l'océan qui de très loin a réabsorbé le plus de chaleur :
Accroissement du contenu thermique de la planète entre 1961 et 2003. Les unités sont en 1022Joules.
Océan | 14,10 |
Glacier | 0,45 |
Atmosphère | 0,50 |
Continents | 0,75 |
Total | 15,8 |
L'océan a donc réabsorbé près de 90 % du réchauffement induit par le forçage radiatif dû aux GES anthropiques.
Sans l'océan, le réchauffement que nous subissons serait plus rapide, sans que la valeur
finale de la température d'équilibre ne soit en rien changée
Par ailleurs ce réchauffement océanique induit des effets secondaires qui pourraient être très importants voire catastrophiques et que l'on connaît encore mal.
Parmi ceux-ci, il y a évidemment l'élévation du niveau des mers qui est actuellement de 3.3 mm/an.
Le réchauffement de l'océan modifie aussi sa dynamique et les transports de chaleur et de sel en son sein perturbant ainsi localement les échanges énergétiques avec l'atmosphère à sa surface. La circulation thermohaline profonde peut être aussi perturbée et affecter le climat à une échelle globale en diminuant significativement les transports de chaleur vers le nord par l’océan dans l’Atlantique. Le GIEC estime très probable un ralentissement de 25% de cette circulation au cours du 21ème siècle, insuffisant cependant pour induire un refroidissement dans les régions de l’Atlantique nord.
La vie océanique peut aussi être très profondément perturbée par ces changements. Elle est en effet très dépendante de l’état physique de l’océan et de sa dynamique qui conditionnent la disponibilité des éléments nutritifs dans les couches productives superficielles. Ces perturbations biologiques entrent aussi dans des boucles d'interactions affectant le climat lui-même à travers le cycle du carbone qui intervient dans la capacité de l’océan d’absorber le CO2.
Absorption du gaz carbonique par l'océan
Le GIEC nous dit que le contenu en carbone total de l'océan s'est accru de 118 Giga tonne de C entre 1750 et 1994. Cet accroissement représentait encore 42 % du CO2 émis par l'homme au début de l'ère industrielle (moyenne entre 1750 et 1994). Depuis une vingtaine d'années on constate une diminution notable de cette capacité de l'océan de réabsorber le CO2 anthropique (entre 1980 et 2005 ce taux d'absorption est tombé à 37 %). Ceci semble indiquer que l'océan approche de sa limite de saturation; néanmoins le rapport du GIEC indique que ces estimations sont encore très incertaines et ne permettent pas de tirer des conclusions définitives. Quelles que soient les inconnues qui demeurent concernant cette capacité de l'océan de réguler une partie du CO2 anthropique, cette absorption a des effets secondaires, qui pourraient être graves à long terme notamment sur la vie marine. L'un de ces effets secondaires parmi les plus remarqués, évoqué récemment dans la littérature scientifique et la grande presse, est l'acidification de l'océan qui réduit sa capacité de former des carbonates et donc entraînerait une perturbation de sa fonction de dépositoire ultime du carbone au fond des océans et perturberait ainsi durablement le cycle du carbone La construction des récifs coralliens pourrait être aussi gravement affectée.
Plaidoyer pour l'étude et l'observation permanente de l'océan
Comme on le voit l'océan joue un rôle majeur dans le climat; et son changement à long terme, qui se déroule sous nos yeux, marquera profondément et pour longtemps cette enveloppe fluide essentielle de la Terre qui en retour affectera l'évolution futur du climat. En effet, comparée à l'atmosphère, l'océan présente deux caractéristiques qui lui confère un rôle essentiel dans le climat :
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Sa capacité thermique est énorme, plus de 1 000 fois celle de l'atmosphère; ainsi il stocke et transforme en chaleur l'essentiel du flux radiatif solaire.
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Il est affecté d'une dynamique beaucoup plus lente que l'atmosphère; il est donc susceptible de mémoriser plus longtemps, à des échelles de temps compatibles avec la variabilité climatique, les perturbations (ou anomalies) qui l'affectent.
Mais cet océan est encore mal connu. Ses interactions avec l'atmosphère et le climat sont très complexes. On vient de voir que de nombreuses inconnues demeurent concernant son implication dans le changement climatique anthropique. Réduire ces inconnues et ces incertitudes est indispensable pour prévoir avec plus de sécurité cette évolution future du climat. Observations et mesures sont les sources irremplaçables de nos connaissances. Il faut donc mettre en place un système pérenne d'observation de grande ampleur, coordonné internationalement. en une Veille Mondiale des Océans et Climat, comme il existe une Veille Météorologique Mondiale pour l’atmosphère.
Mis à jour novembre 2007