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Le cas de la campagne océanographique internationale Keops2

Yves Dandonneau et Guy Jacques

Sur le site Aviso du Cnes et de CLS, une actualité traite de la modélisation des floraisons de plancton à partir, ce qui est nouveau, de données altimétriques. Un coup d’œil dans le rétroviseur va nous permettre de faire le point à la fois sur :

  • les progrès de nos connaissances ;

  • le fonctionnement de l’écosystème pélagique antarctique ;

  • l’approche satellitaire de la production primaire marine.

Marion DufresnesEn 1977, avec la campagne Antiprod 1 à bord du premier navire Marion Dufresne, Guy Jacques lance le programme français de recherches sur le milieu pélagique dans la partie indienne de l’océan Austral. Avec son collègue Paul Tréguer, chimiste à l’Université de Brest, il montre que l’Antarctique est un « océan de paradoxes » ! De quoi s’agit-il ?

La première curiosité est qu’en été, en dépit de sels nutritifs abondants et d’un éclairement favorable, la production primaire des eaux du large demeure basse. Cette faible production tient au manque d’un élément trace, le fer.

Depuis, certains rêvent d’ensemencer en fer de vastes surfaces océaniques dans l’Antarctique et dans certaines régions équatoriales du Pacifique pour absorber l’excès de COatmosphérique dû aux activités humaines : « Donnez-moi un demi pétrolier rempli de fer et je vous rendrai un âge glaciaire » tonnait John Martin en 1970 dans l’hémicycle du laboratoire de Woods Hole.

Mais deux autres paradoxes caractérisaient aussi l’Antarctique :

  • comment concilier un phytoplancton clairsemé avec l’abondance de ressources vivantes (krill, mammifère et oiseaux marins) ? 

  • comment expliquer la richesse en carapaces siliceuses de diatomées, (l’un des éléments dominants du phytoplancton), dans le sédiment de la région?

Deux autres missions Antiprod (19801984), quatre campagnes Antares (1993199419951999), deux campagnes Keops (20052011) ainsi que de nombreuses missions d’autres nations dans le cadre des programmes internationaux JGOFS puis Proof viendront au bout de ces mystères.

Manque de chance ? Mauvaise intuition ? Faiblesse de l’approche par télédétection ? Impossibilité d’obtenir une campagne plus tôt en saison ? Tout cela explique pourquoi, lors des campagnes Antiprod et Antares, nous n’avons pas trouvé les floraisons planctoniques qui auraient résolu ces paradoxes.

Les satellites équipés d’uncapteurs de couleur del’océanpour estimer la teneur en chlorophylle de la couche superficielle, (dans l’ordre chronologique : CZCS sur Nimbus-7SeaWifs sur OrbView-2Modis sur Terra et Meris sur Envisat-1), utilisent le rapport bleu/vert, des réflectances aux longueurs d’onde du minimum et du maximum d’absorption du phytoplancton. Ces capteurs sont inopérants par ciel nuageux, situation fréquente dans l’Antarctique, et, dans les années 1980, les satellites qui les embarquaient n’étaient pas particulièrement pointés vers les hautes latitudes.

Dans les années 2000, les chercheurs qui lanceront Keops, à force d’analyser des images couleur de la mer de haute qualité,obtenues grâce au satellite SeaWiFS, découvrent l’existence de floraisons au sud-estde Kerguelen, alors que toutes les campagnes précédentes se déroulèrent à l’ouest. Ce panache de Kerguelen avait pourtant été prospectépour la première fois lors de la campagne Antares3  du 26 septembre au 8 novembre 1995.

Avec Keops 1 (2005), preuve est faite qu’une floraison existe dans cette zone, grâce à un apport continu et naturel de fer aux eaux de surface. Avant la mise en évidence par les satellites de telles floraisons, comment aurait-on pu supposer que c'était une remontée d’eau profonde qui déclenchait la croissance du phytoplancton, dans des eaux superficielles pourvues de phosphates et nitrates indispensables? Ce fer provient des eaux profondes qui s’enrichissent en cet élément trace au contact du plateau des Kerguelen. Cette fertilisation naturelle semble beaucoup plus efficace que les fertilisations artificielles effectuées in situ dans l’Antarctique : l'exportation de carbone vers les profondeurs y est deux fois plus importante et, surtout, elle est obtenue avec des quantités de fer bien inférieures. Ce fort taux d’exportation tient à la dominance de diatomées sédimentant rapidement car elles sont dotées de frustules siliceux robustes, ce que confirme le déficit majeur en silicates comparé aux nitrates dans les eaux superficielles : 1 à 2 µMole (µM) pour les silicates à comparer à 23 µM pour les nitrates lors de Keops 1.

La campagne Keops 2 (8 octobre au 30 novembre 2011 à bord du Marion Dufresne) a encore été plus loin car elle s’est appuyée sur des données altimétriques pour prédire l’évolution de la floraison et positionner ainsi, au jour le jour, les stations d’étude. L’avantage majeur de l’altimétrie est d’être opérationnelle quelle que soit la couverture nuageuse.

Mais comment faire de la mesure de la hauteur de la mer un outil pour la biologie ? C’est l’objectif du projet Bionuts : intégrer des modèles biogéochimiques et de fonctionnement d’écosystèmes océaniques à Mercator.

En faisant du phytoplancton ou de la productivité primaire des variables au même titre que la température ou la salinité, ces modèles devraient permettre de prédire des floraisons planctoniques dans n'importe quelle zone de l'océan (Mercator Vert).

Keops 2 a constitué un banc d’essai pour cette approche. Quelques jours avant la campagne, les chercheurs élaborent, à partir d’images de la couleur de l’océan un champ de distribution de la chlorophylle (condition initiale). Ce champ, affecté d’un modèle biogéochimique ou d’un simple taux de croissance du phytoplancton, est transporté en suivant les lignes de courants déduites de l’altimétrie de manière à fournir l’information recherchée pour la campagne :

où se situe la floraison ? Quelle est la forme du « panache » chlorophyllien ?

Sachant que « sans fer, pas de floraison » et que ce fer ne peut venir que du plateau continental, on peut partir d’un champ de chlorophylle uniforme typique des régions dites HNCL, comme l’est cette zone du sud de l’océan Indien.

Ce champ est soumis à la série temporelle des lignes de courants fournies par Aviso (calculées selon la méthode de Francesco d’Ovidio).

Dès que l’eau passe sur le plateau, elle se charge en fer et devient fertile avec un taux de croissance élevé d’où une floraison sur le plateau et en aval de la remontée.

Une des limites de cette approche tient à ce que, les courants modélisés présentent (du fait de la limitation des moyens de calcul) une divergence nulle : ni upwelling ni downwelling ne sont représentés, structures pourtant essentielles dans la dynamique du système pélagique comme le montre, entre autres, l’article de Klein et Lapeyre (2009) indiquant que les structures à sub-mésoéchelle génèrent des vitesses verticales nettes assurant le transfert de sels nutritifs des eaux subsuperficielles vers la surface.

En dépit de cette limitation, comme on le voit sur la figure  ci-dessous, l’accord entre les données dérivées de l’altimétrie et de la couleur de la mer est excellent. On doit également souligner l’efficacité, la rapidité de la chaîne de traitement des données altimétriques, de la transmission des résultats à l’équipe de campagne lui permettant de piloter à sa guise la stratégie de prélèvement.

Il y a une trentaine d’années, pour approcher une telle stratégie, les océanographes réalisaient au préalable, au prix de précieux jours de campagne à la mer, une laborieuse couverture géographique multiparamétrique de surface de manière à choisir les sites d’étude des stations d’étude de processus jour ; toute une époque !
 

(a) (b)

Figures Cnes/Cls - Source Aviso http://www.aviso.oceanobs.com/

Le 15 novembre 2011 à l’est de Kerguelen, l’analyse satellitaire de la couleur de l’océan met en lumière :

(a) une floraison phytoplanctonique avec des tourbillons riches en chlorophylle. La corrélation est bonne avec les données et la topographie dynamique absolue (b) obtenues le même jour par altimétrie satellitaire.

Remerciements à ceux qui nous ont spontanément aidé à améliorer la qualité de cet article : Annick Bricaud, Michel Fiala, Stéphane Blain, directeur du projet Keops, et Paul Tréguer.

Voir les FAQ :

Quel rôle joue le phytoplancton pour notre planète? Le plancton Deus ex machina de la planète? de Guy Jacques - Novembre 2010

Des écosystèmes océaniques anormalement peu productifs.: un paradoxe élucidé? Guy Jacques - mars 2007

La fertilisation des océans ; la solution ou le problème? Guy Jacques - avril 2007

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