Michel Lefèbvre
Les problèmes d’énergie suscitent des débats, la zone polaire arctique est au centre d’un autre débat !
C'est une zone test pour découvrir les climats anciens et comprendre les mécanismes des changements de ces climat ! C'est aussi une zone qui évolue très rapidement.
L'ampleur du réchauffement actuel a pour conséquence l'ouverture de routes maritimes jusque là impraticables tel le passage du Nord-ouest qui contourne l'Alaska, franchi entre 1903 et 1906 par Amudsen, héros Norvégien qui s'est laissé dérivé sur son navire le Gjoa, et le passage du Nord-est franchi pour la première fois par le Suédois Nordenskjold en 1880 et pour la deuxième fois par Amundsen en 1918. Les quelques traversées des 80 années suivantes ont confirmé la difficulté d'emprunter cette route permettant de relier directement l'Europe à l'Asie en longeant la Sibérie, de façon normale.
Comme en mer du Nord, le plateau continental possède des gisements de pétrole tandis que l’extraordinaire poussée printanière de la flore laisse espérer des pêches miraculeuses, si elles ne sont pas polluées par une radioactivité débridée.
Tant et si bien que la question du partage de ces régions entre ces pays riverains constitue un véritable enjeu géopolitique. Voir Science et Avenir de février 2006.
C'est le moment de relire un des romans peu connus de Jules Verne "Sans dessus dessous"
En voici le résumé.
Nous sommes en 1865. La calotte polaire Arctique est peu explorée et totalement vierge au dessus du parallèle 83° nord. En droit, elle appartient aux pays riverains mais aussi aux Pays ayant été partie prenante dans l'exploration dont la France,
Les États-Unis, le Royaume Uni, Les Pays-Bas, La Suède-Norvège, le Danemark et la Russie.
Les États-Unis font remarquer qu’en droit nul n’est censé rester dans l’indivision. Ils proposent pour en sortir d'organiser une "Vente aux enchères publique de ce territoire" pour assurer que l’opération se fasse dans la régularité et la transparence il est précisé que la vente aura lieu sous le contrôle d’un notaire de Baltimore.
Les États-Unis lancent un appel aux nations pour expliquer le sens de leur démarche.
L'enchère se prépare. Du côté américain tout est clair, la North Polar Practical Association représentera leurs intérêts.
Personne n’est vraiment choqué que l’association soit soutenue en coulisse par le gouvernement américain.
Du côté européen les choses sont confuses ; les pays riverains discutent l’idée de faire une proposition en commun : les négociations sont menées de façon lamentable. L’enjeu n’est pas clair; chacun des pays veut tirer un bénéfice au niveau national. La France déclare vouloir ne s’intéresser qu’à la recherche. Quant à l’Italie, n'ayant aucun droit à intervenir, elle n'intervint pas quel qu'invraisemblable que cela puisse paraître !
Quelqu’un ayant fait remarquer que la Convention de Berlin interdisait une exploitation commerciale dans de nouveaux Territoires, les juristes américains font remarquer que cette convention ne s’applique qu'aux territoires habités.
Jules Verne commente : et tant pis pour les Samoyèdes et autres Esquimaux; avec quoi auraient-t-ils pu payer?
On ne les consulta même pas.
L’échéance de la vente approche et la fièvre monte; d’autant que l’acte de vente comporte un paragraphe intriguant : il est dit que le territoire restera la propriété de l’acheteur quelque soit les avatars astronomiques ou météorologiques qu'il subirait.
Les rumeurs vont bon train : choc avec un astéroïde ou une comète ? Le mathématicien français Adhemar a montré dans son livre "la révolution des mers", que la glaciation des pôles et leurs variations étaient dus aux irrégularités du mouvement de la TERRE autour du soleil.
L’enchère a lieu; le résultat connu d’avance est sans surprise. Les américains l’emportent facilement.
Mais que vont-ils faire de ce territoire ? Les actionnaires de la North Polar Practical Association se pressent en foule à la première réunion convoquée par le Président Barbicane celui là même qui avait fait le voyage Terre Lune.
La surprise est totale : l’objectif décrit est tout simplement de résoudre le problème de l’énergie pour la Terre. En effet les ressources en charbon vont devenir insuffisantes; dans 200 ans disent les pessimistes, dans 500 ans au dire des plus optimistes.
Or les études des géologues semblent montrer que cette calotte polaire est particulièrement riche en charbon. La foule applaudit. Les délégués européens sont "abasourdis".
Mais soudain un actionnaire pose une question : comment allez vous pouvoir exploiter une région inexplorée où nul n’a jamais été ?
La réponse de Barbicane est superbe "C'est très simple ce n’est pas nous qui irons au pôle, c’est le pôle qui viendra à nous" !
Comment ? Il suffit de redresser l’axe de rotation de la Terre et de le rendre perpendiculaire à l’écliptique, l’axe traversant l’Alaska.
Comment redresser l'axe? A l’aide d’une charge explosive de Grande puissance mise à feu à la bonne époque sur un point situé sur l’Équateur en Afrique.
Mais, comment exploiter une zone glacée ? Le simple fait de mettre l'axe à 63° fera fondre la glace.
De plus, cela permet d'avoir une planète sans saison comme Jupiter, pas de changement majeur de climat , la gestion de la planète devient plus facile, chacun peut aller dans la zone en température qui lui convient puis y rester.
Le moment de surprise passé on regarde de plus près ce qu’entraîne cette opération et c’est le jeune polytechnicien Français Alcide Pierdeux, qui ayant suivi l'affaire depuis le début, joue un rôle majeur dans l’opposition au projet qui ne cesse de grandir : "les effets seraient catastrophiques, de nombreux pays se retrouvant sous la mer".
Les États-Unis sont sommés de renoncer à l’opération mais celle-ci est entre les mains d’une société privée et l’explosion a lieu.
Heureusement Jules Verne sait comment se tirer de ce genre de situation. Matson, le mathématicien qui a fait les calculs s’est trompé d’un facteur mille en entrant la valeur du rayon de la TERRE.
Tout est bien qui finit bien !
Nota bene : MAC DONALD, un chercheur américain, dans son livre de référence "the rotation of the Earth”, mentionne qu'il a refait les calculs et valide les résultats de Jules VERNE; il met cependant en garde sur la tentation que pourrait avoir l'homme d'utiliser des charges plus importantes.
Sans Dessus Dessous est un roman plein d’humour, mais on y retrouve de nombreux sujets d'actualité tels que :
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la crise de l’énergie
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l'impérialisme de la solution américaine
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l’exception française pour se consacrer à la science qu’on retrouvera dans le traité de l’Antarctique
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La faiblesse de la coopération européenne
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la toute puissance de l'argent : le titre anglais du roman : "To purchase the pole"
On retrouve aussi les prémices d’un essai pour contrôler le climat de la Terre. Dans son vibrant discours sur l'exploration des planètes, Michel Ardan met en avant comme première priorité le redressement de l’axe de rotation de la Terre, supprimant ainsi les saisons et facilitant la gestion de la planète qui ne serait plus... la planète "aux rhumes et aux coryzas" !
Référence :
Jules Verne, "Sans dessus dessous".
Images, crédit : Zvi Har’El’s Jules Verne Collection - Sans dessus dessous (Chapitre I-IV)