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Jean-Paul Guinard  - Juillet 2005 († 29 avril 2017) - Mise à jour partielle par José Gonella en juin 2017 , puis à son invitation, compléments apportés en octobre 2017 par Michel Olagnon. (ancien d’Ifremer et collègue de Jean Paul Guinard, auteur de «Anatomie curieuse des vagues scélérates»

Avez-vous déjà entendu parler de vagues géantes ou "scélérates"?

Depuis Dumont d'Urville et même avant, les récits de vagues géantes ont eu cours chez les marins (à tel point que certains ont fini par croire à leur existence), puis chez les chercheurs océanographes ou hydrodynamiciens qui, à partir de mesures physiques, ont progressivement pris conscience d'un phénomène troublant :

  • faisant douter de la théorie classique de l'hydrodynamique,

  • inexpliqué par la théorie classique de l'hydrodynamique, 

  • ignoré par les essais en bassin, 

  • survenant très rarement  donc ignoré "statistiquement", rejeté en compagnie des valeurs aberrantes et autres erreurs de mesure.

mais aux conséquences très graves. 

Les chercheurs, sans doute pour confirmer le fait que les vagues géantes existent bien dans la nature, leur ont même donné un nom : "Freak waves" ou "Rogue Waves" en anglais, ou en français "Vagues scélérates".

Trois colloques scientifiques organisés par le groupe Océano-Météo d'Ifremer ont réuni les principaux chercheurs internationaux s'intéressant au phénomène. Ils se sont tenus à Brest respectivement en 2000, 2004 et 2008. Leur but était de tenter de dissiper les "mystères" qui planaient sur le phénomène et, si possible, de parvenir à un consensus sur les conditions qui le faisaient naître. Des émissions de télévision traitant du sujet ont été diffusées à partir de 2002 notamment sur la BCC, et reprises sur certaines chaînes françaises. Aujourd'hui, sans que l'on puisse parler d'un consensus absolu, les scientifiques sont parvenus à une position commune reconnaissant l'existence de ces vagues et proposant des mécanismes validés pour leur formation.

Des récits de marins

Les récits de marins ayant dû affronter une ou plusieurs vagues énormes sont maintenant assez nombreux. Surprenantes par leur amplitude et par leur forme (en général, un "mur d'eau" précédé d'un important creux), ces vagues apparaissent au milieu d'une mer, certes démontée, mais habituellement évaluée – à tort ! – comme encore « maniable » sans risque majeur pour le comportement du navire. 

Les auteurs de ces récits se félicitent d'avoir survécu et donc de pouvoir raconter le phénomène... !. 

Parmi ces récits, nous avons fait le choix suivant:

Les paquebots de la Cunard

Les récits des commandants des :

  • Queen Mary en 1942 transportant 15 000 soldats, 

  • Queen Elisabeth en 1943 (vitres défoncées à 27 m au-dessus du pont), 

  • Queen Elisabeth II en 1996, 

laissent peu de doutes sur l'existence de vagues énormes dans l'Atlantique Nord. Les vagues ne ciblent pas spécifiquement la Cunard, et les autres compagnies de navigation ne sont évidemment pas épargnées. Ainsi, le paquebot de croisière Louis Majesty fut-il frappé par trois vagues énormes qui firent deux morts et de nombreux blessés le 3 mars 2010 en Méditerranée, ou le ferry Pont-Aven dut-il faire demi-tour le week-end de Pentecôte 2006 après sa rencontre nocturne à l'entrée de la Manche avec une vague de 20 à 30 mètres qui inonda de nombreuses cabines.

La Jeanne d'Arc et "les Trois Glorieuses"

Ceux qui les ont subies se souviennent certainement des trois vagues exceptionnelles (on les a appelées "les Trois Glorieuses") que l'ancienne Jeanne rencontra au matin du 4 Février 1963 dans le Pacifique : par des creux de 7-8 mètres, les officiers de quart de la Jeanne, privée d'une hélice par la fatigue de la ligne d'arbre, ont décelé juste à temps trois vagues exceptionnelles très rapprochées de 15 à 20 mètres de hauteur et commandé une manœuvre.

Le navire a réussi à les franchir sans chavirer, au prix de coups de gîte de 35 degrés environ. 
Nous disposons (la mémoire des témoins étant sujette à caution, c'est ce que nous enseignent les historiens) de deux documents sur cet évènement, établis par le Capitaine de Frégate Frédéric Moreau, Commandant en Second : un Communiqué à destination de l'équipage et un Rapport dont nous extrayons les encadrés ci-dessous. 

L'extrait du communiqué traduit l'esprit dans lequel les marins d'alors doivent recevoir le message de la mer (surtout les midships), celui du rapport fournit aux chercheurs une description précise du phénomène.

Le témoignage de T.W. Cameron.

Typique de plusieurs témoignages est celui de T.W. Cameron, alors qu'il naviguait comme second sur un minéralier de 156 000 tonnes. Remarquant que la route était tracée, du Portugal au Golfe de Gascogne, au voisinage de la ligne de sonde des cent brasses, il fit part à son commandant des avertissements qu'il avait lui-même reçus quelques années plus tôt de son second lieutenant espagnol : "Dans ces parages, les vagues dangereuses sont particulièrement fréquentes, mon père et mon grand-père m'en ont souvent averti". Ayant estimé qu'on ne pouvait se fier au folklore colporté par des lieutenants en second, le navire se trouva quelques nuits plus tard à tailler sa route au nord-ouest de l'Espagne dans les eaux en question, par vent de force 6-7 et recevant occasionnellement quelques paquets de mer : des conditions tout à fait tenables qui n'inquiétaient en rien l'équipage.

Le ciel était peu nuageux, et la lune pleine dans l'ouest, à une élévation angulaire calculée ultérieurement de 17deg.42min. A 5 heures 20, la lune se voila et il fit soudain sombre comme dans un four. T.W. Cameron se tourna vers bâbord pour voir quelle sorte de nuage pouvait bien masquer aussi totalement la lune. À sa stupéfaction horrifiée, ce n'était pas un nuage, mais une vague immense arrivant par le travers. Elle s'étendait loin au nord et au sud, sans déferlement ni traînée d'écume d'aucune sorte. 

Elle avait un front quasi-vertical, et à moins d'une centaine de mètres du navire, elle commença à déferler. Heureusement, un coup de gîte atténua l'impact. Aucune voie d'eau ne se déclara, mais certains dégâts n'en furent pas moins significatifs : le pont du château avant était descendu de 8 centimètres, et les membrures qui le soutenaient, des fers de 35 centimètres, étaient fissurées de part en part. Les projecteurs boulonnés sur la passerelle, à 15 mètres au-dessus de la flottaison, avaient été emportés avec leurs supports. Malgré leurs lourds capots de laiton, les verres des compas et des répéteurs de gyro du poste de vigie, à 21 mètres de la flottaison, étaient fêlés. 

Le "Bremen"

Cette description est semblable à celle de l'équipage du paquebot allemand Bremen, qui naviguait dans l'Atlantique Sud. Sa machine s'arrêta sous le choc ; heureusement, l'équipage réussit, après des heures d'efforts, à remettre en route. L'équipage insiste sur l'importance du creux précédant la vague. 

Des naufrages soudains, survenus à des unités réputées sûres

Des enquêtes ont conclu à l'implication probable de vagues scélérates au milieu d'une tempête dans la disparition soudaine de gros navires. Nous n'en citerons que quelques-unes comme :

  • l'enquête sur le naufrage du minéralier MV Derbyshire en 1980, le navire de plus fort tonnage que le Royaume -Uni ait jamais perdu,

  • le naufrage corps et biens du cargo allemand München, grand navire considéré comme particulièrement sûr, 

  • les accidents de mer survenus à de nombreux supports flottants de production offshore, FoinhavenSchiehallion

  • la perte de la plate-forme semi-submersible Ocean Ranger avec 84 vies. 

On peut aussi citer :

Le 27 Janvier 2005, les 700 étudiants embarqués à bord du paquebot de 180 m, l'Explorer, pour le programme universitaire "Semester at Sea" de l'Université de Pittsburgh (USA) ont observé de près, après une semaine de tempête, une énorme vague qui est venue briser les vitres de la passerelle et mettre hors service trois des quatre moteurs. Le navire a pu rejoindre Honolulu pour une semaine de réparations, avant de reprendre sa route vers Shanghai.
Le 14 Février 2005, en Méditerranée, par mer de force 8, une vague s'abattit sur la verrière de passerelles du Grand Voyager, un paquebot accomplissant une croisière de Tunis à Barcelone, avec à son bord 477 passagers et un équipage de 313 personnes. 

Les petits navires aussi

Moins impressionnants pour les néophytes à la recherche de records absolus, les témoignages abondent également en ce qui concerne les petits navires, dont on pourrait imaginer qu'ils «bouchonneraient» sans chavirer, s'élevant et redescendant simplement sur les vagues précédentes, mais qui rencontrent parfois des vagues scélérates à leur échelle, aussi surprenantes que dévastatrices. Le grand public est plus enclin à remettre en doute le récit d'une poignée de survivants d'une coque de noix ou d'un petit bateau de pêche, pourtant bien au fait des conditions marines, que celui de plusieurs centaines de passagers au pied pas toujours très marin. On citera deux exemples remarquables, à même de convaincre les plus sceptiques de l'existence de vagues énormes inattendues :

Sir Ernest Shackleton, un gaillard dont l'héroïsme dans l'expédition antarctique de l'Endurance qu'il commandait est universellement reconnu, en rencontra une à bord du canot James Caird lors de la traversée de l'île de l'Éléphant vers la Géorgie du Sud à la recherche de secours. « Je lançai aux autres, raconte-t-il, que le ciel s'éclaircissait, puis je me rendis compte que ce que j'avais vu n'était pas une déchirure dans les nuages, mais la crête blanche d'une énorme vague. En vingt-six ans d'expérience de l'océan sous toutes ses humeurs, je n'en avais jamais rencontré d'aussi gigantesque.»

Shackleton

Les 22 hommes laissés sur l'île de l'Éléphant saluent le départ de Shackleton parti chercher du secours.

Trois jours plus tard, ayant abordé à la côte sud déserte de l'île, Shackleton réveilla ses compagnons en criant : «Attention les gars, accrochez-vous ! Elle déferle sur nous !». Il confondait la falaise noire couronnée de neige avec la vague qu'ils avaient éprouvée quelques jours plus tôt…

Malgré son nom à consonance française, la Mignonette était un yacht britannique de 16 m, en convoyage de Southampton à Sydney par un équipage de 4 personnes pour le compte de son acheteur John Henry Want, futur Procureur Général de la Nouvelle-Galles du Sud, de mai à juillet 1884. Le soir du 5 juillet, à environ 1500 milles dans le nord-ouest du Cap, les conditions de mer n'étant en rien inquiétantes, le capitaine Dudley fit mettre à la cape afin que l'équipage puisse profiter d'une bonne nuit de sommeil et envoya le mousse Richard Parker préparer le thé. En fait, à peine la manœuvre terminée, une vague démesurée surgit, frappa le yacht et arracha le pavois sous le vent. Les 4 hommes n'eurent que le temps de sauter dans le canot et d'y jeter deux boites de conserve, sans autre nourriture ni eau douce ; 5 minutes plus tard la "Mignonette" avait coulé... Les aspects juridiques – trois des naufragés cédèrent au cannibalisme, et recueillis par un navire furent l'objet à leur débarquement d'un procès qui reste aujourd'hui encore un cas universellement étudié – et les similitudes extraordinaires avec le récit d'Edgar Allan Poe publié 50 ans plus tôt "Les Aventures d'Arthur Gordon Pym" – dans lequel 4 survivants d'un naufrage tiraient au sort, au dix-huitième jour, un certain Richard Parker pour le manger – ont quelque peu occulté l'événement sans lequel rien ne se serait produit : une vague scélérate !"

Des mesures

Définition 

Comment caractériser et définir la "vague scélérate"? 

Par sa hauteur exceptionnelle bien sûr, mais aussi par sa cambrure, laquelle est plus encore un gage de sévérité... et à condition qu'on dispose d'instruments permettant de mesurer ces paramètres, ce qui est rarement le cas à bord des navires  : on se contente alors de mesurer les dégâts induits, mais cela dépend aussi de l'attitude prise par le navire - corps flottant - au moment de l'arrivée de cette vague. La présence de capteurs enregistreurs sur des plates-formes insensibles aux mouvements de la mer en surface a permis, depuis quelques années, de mesurer les contours mêmes de la vague.

Pour les marins, on peut définir la vague scélérate comme étant celle qui est totalement démesurée par rapport aux autres dans les conditions de mer qui règnent lorsqu'elle survient. Plus quantitativement, elle se caractérise par une hauteur "crête-creux" supérieure à deux fois la "hauteur significative" de l'état de mer, ou encore par l'élévation atteinte par la crête au-dessus du niveau moyen supérieure de 1,1 à 1,25 fois la hauteur "crête-creux". 

Sans permettre la mesure individuelle vague par vague, les radars altimétriques ont la capacité de fourrnir la "hauteur significative" de l’état de mer et d’évaluer ainsi la hauteur maximale la plus probable de la zone survolée. À noter que si l'on augmente la durée considérée ou la taille de la zone où l'on recherche des maximas, toutes choses égales par ailleurs, le maximum le plus probable augmente lui-aussi.

NB : les "vagues scélérates" sont des vagues de pleine mer (loin des côtes) dues à l’effet du vent, avec souvent des courants contraires. De ce point de vue, elles sont à distinguer d’autres vagues qui ne deviennent géantes qu’à l’approche des côtes, tels que :

  • Les tsunamis (ou raz de marée) qui sont des groupes d’ondes solitaires (solitons) engendrés dans l’océan par les secousses telluriques (séismes). Au large, ces solitons ne présentent aucun danger pour la navigation.
  • Les mascarets liés à l’onde de la marée montante dans certains estuaires ou embouchures de grands fleuves ; ils sont souvent dangereux pour la navigation, mais prédictibles comme la marée.

La "vague du Nouvel An" 1995

Des mesures de hauteur d'eau ont été faites sur la plate-forme Draupner E en Mer du Nord, au moyen d'un dispositif à écho laser (distancemètre) "regardant vers le bas", enregistrant la hauteur d'eau sous le capteur, chaque heure pendant 20 minutes. 

Au cours d'une tempête telle qu'on en rencontre tous les cinq ou six ans, où les hauteurs crête-creux significatives étaient mesurées entre 10 et 12 mètres (cf. encadré), vers 15h20 le 1er Janvier 1995, une vague s'éleva inopinément à plus de 18 mètres au-dessus du niveau moyen et endommagea du matériel entreposé sur un pont provisoire.
L'ingénieur chargé des questions océano-météorologiques à Statoil, qui avait été consulté quelques jours auparavant sur la possibilité de stocker ce matériel à ce niveau, avait évalué à 3000 ans la période de retour associée à un tel phénomène, et ses calculs laissaient penser que s'il se produisait jamais, ce serait avec des hauteurs crête-creux significatives de 16-18 mètres au moins.

Il était dès lors évident que les méthodes et les règles de l'Art utilisées pour cette estimation étaient en défaut, et qu'il fallait chercher autre chose. La communauté scientifique internationale s'attela à cette tâche.

Les plates-formes pétrolières

Les données provenant d'observations sur les plates-formes pétrolières, telles celles de Draupner, ont l'avantage d'être quantifiées, car mesurées par des capteurs ou mises en évidence par des dommages observés à une élévation précise.

Dès les années 80, avant la vague de Draupner, plusieurs mesures avaient ainsi été enregistrées de vagues anormales par rapport à leurs voisines, mais des doutes pouvaient subsister sur la fiabilité des capteurs, sur l'absence d'artefacts liés à la montée de l'eau le long des piles ou aux embruns, et sur la présence de ces vagues extrêmes dans la succession somme toute régulière des trains de houle de tempête. Depuis 1995, quelques dizaines d'observations supplémentaires ont été faites par ce moyen dans le monde, et d'autres vagues remarquables, comme celle dite de l'Andrea (crête à 15 m pour une hauteur significative crête-creux de 9.2 m à Ekofisk), sont venues rejoindre celle de Draupner dans la liste des scélérates remarquables.

Depuis 1995, une dizaine d'observations concernant des vagues extrêmes, ont été faites par ce moyen dans le monde.

L'observation satellitaire

Les chercheurs ont également exploité les mesures faites par des satellites équipés de «radars imageurs» susceptibles de reconnaître les vagues individuelles, tels les premiers SAR (Synthetic Aperture Radar) des satellites ERS-2 et Envisat de l'Agence Spatiale Européenne.

Enregistrement vagues scélérates

Dans le cadre du projet MAXWAV de l’Union Européenne, l’exploitation de 30 000 images SAR recueillies en 3 semaines en février-mars 2001 au cours desquelles deux paquebots, le Bremen et le Caledonian Star ont été fortement endommagés par des vagues géantes dans l’Atlantique-Sud, a dénombré 10 vagues de 25 m et plus. Ainsi ces 3 semaines d'observation SAR-ERS2 ont confirmé que ces vagues géantes sont bien plus fréquentes que celles prévues par la théorie linaire, mais les difficultés inhérentes au principe de mesure n'ont pas permis de conclure quant à un éventuel dépassement de la théorie non-linéaire classique.

Ces radars imageurs n’étant pas exploitables en temps réels, c’est la hauteur significative des vagues, extraite du signal des radars altimétriques qui est diffusé aux services météorologiques. Bien que la mission première des satellites altimétriques soit de définir la topographie de la surface marine par la mesure du temps aller-retour du signal radar (satellite-surface de la mer), la forme de l’écho de retour permet d’évaluer la hauteur significative des vagues sur la zone "éclairé" en une seconde par le faisceau radar, soit environ 30 km2. De cette hauteur significative, la hauteur maximale de la zone est définie par une loi de probabilité spécifique.

À titre d'exemple, lors de la tempête Quirin en Bretagne, des vagues géantes ont été mesurées par l'altimètre radar du satellite Jason 2 (opéré par le CNES, EUMETSAT, la NASA et la NOAA). La valeur de 20,1 m enregistrée le 14 février 2011 est la plus forte des "hauteurs significatives" mesurées par un altimètre depuis le début de ce type de mesures. Les statistiques des hauteurs de vagues suggèrent que la plus haute vague de Quirin mesurait probablement plus de 36 m de haut.

Pourquoi ces vagues inattendues ? 

Où le phénomène se produit-il? Est-il possible d'établir une carte de sa localisation? Quand se produit-il? Est-il possible d'évaluer sa fréquence? Comment se produit-il? Quelles en sont les conséquences?

Ces questions se ramènent actuellement aux deux suivantes, qui sont posées à la communauté des chercheurs et des ingénieurs: 

Les vagues scélérates sont-elles simplement

  • les extrêmes normaux de l'ensemble des vagues "communes", auquel cas ce serait simplement une tendance de l'observateur à s'endormir dans une tranquillité oublieuse de l'intensité des extrêmes qu'il faudrait accuser, 

  • ou bien des représentants d'une population de vagues différente, exogène, qui aurait des mécanismes spécifiques de génération et/ou de propagation? 

Au bout de deux décennies, on a abouti à la conclusion remarquable … qu'on ne peut pas conclure théoriquement, les deux hypothèses sont possibles et ni l'une ni l'autre ne peut être absolument écartée. Néanmoins, le consensus s'oriente aujourd'hui par commodité en faveur des extrêmes normaux, qui suffisent à expliquer les statistiques observées dans la nature et offrent donc une grande utilité pratique.

Quelle que soit leur cause, peut-on relier leur occurrence à certains signes précurseurs ?

Modélisations hydrodynamiques

Plusieurs laboratoires tentent de reconstituer, en bassin ou sur ordinateur et dans le respect des lois de l'hydrodynamique, des événements similaires à ceux qui ont pu être observés dans la nature. Ils utilisent pour la plupart des équations qui modélisent le phénomène dit de "focalisation non-linéaire". Il s'agit de l'adaptation à l'hydrodynamique de l'équation de Schrödinger bien connue en mécanique quantique, anciennement dénommée mécanique ondulatoire. Ces équations représentent les interactions entre systèmes de vagues qui se rejoignent, soit en provenance de directions différentes, soit en raison de leurs célérités différentes lorsqu'elles viennent de la même direction.

Si ces équations sont scientifiquement justes et validées par des essais concordants en bassin et dans des fibres optiques, on n'a pas encore pu vérifier que leurs conditions d'application se rassemblaient spontanément dans la nature. Ce serait de toute façon extrêmement rare. Au stade actuel, l'hypothèse de l'acceptabilité de l'approximation au second ordre des termes non-linéaires qui s'ajoutent au modèle de superposition linéaire des ondes élémentaires qu'on utilise depuis plus de 30 ans, ne peut être écartée, pas plus que d'autres nouveaux développements théoriques.

Modélisations statistiques

Indépendamment de ces travaux, on recherche sur les mesures disponibles des corrélations entre l'apparition de vagues exceptionnelles et des caractéristiques à différentes échelles de temps de l'état de mer ou de la tempête. Malheureusement, les hypothèses émises de "running fetch" (tempête dont le maximum se déplace en synchronisation avec le champ de vagues généré), ou de combinaison entre les systèmes créés avant et après le passage du front froid n'ont à ce jour pu être validées (ni éliminées).
Néanmoins, certains traits se dégagent des conditions de mer susceptibles de contenir une vague scélérate : 

  • trains de vagues en provenance d'une seule direction (sans garantie d'ailleurs que la vague scélérate ne se propage pas à un certain angle de cette direction), 

  • vent particulièrement violent dans les heures qui précèdent (ou mer particulièrement peu levée par rapport à la force du vent), 

  • vagues fortement cambrées, conditions de mer proches du paroxysme.

Au total, il semble que si, pour un navigateur, la probabilité de rencontrer une "vague scélérate" dans l'année est extrêmement faible, il reste que l'"espérance mathématique" de rencontrer le phénomène plusieurs fois par an, est notable pour l'ensemble de la flotte mondiale, d'autant que celle-ci continue à croître en nombre et en taille des navires. 

Perspectives de prévision et d'alerte

On sait que certaines régions océaniques sont des zones à risque pour les vagues scélérates : certains affirment qu'il en existerait 19 dans le monde: c'est le cas particulièrement lorsqu'un courant s'oppose au vent. Néanmoins, il ne faut absolument pas en déduire que les autres régions seraient épargnées !

Par exemple, on a pu identifier de nombreux cas de vagues scélérates dans le courant des Aiguilles, au large de l'Afrique du Sud. Dans ce cas, le commandant de navire doit faire route pour éviter le courant quand il apprend par la météo que les conditions ne sont pas favorables. 

Les accidents et naufrages, fréquents autrefois, ont presque complètement disparu depuis qu'il y a une dizaine d'années, le service météorologique d'Afrique du Sud a mis en place un système qui alerte les navigateurs lorsque les conditions défavorables sont réunies.

Mais d'autres zones sont cataloguées "à risque" : le Golfe de Gascogne, la Mer du Nord, la Mer Baltique... pour lesquels des services d'alerte auraient peut-être une utilité considérable. De tels services sont mis en œuvre par certains opérateurs pétroliers pour leurs plates-formes de mer du Nord, ils font intervenir des analystes météorologues mis en alerte 24 heures sur 24 dès que les conditions prévues dépassent un certain seuil.

Les Météos Nationales expérimentent depuis peu des indicateurs liés aux causes théoriques potentielles, pour identifier des tempêtes et des moments où des vagues scélérates peuvent se produire. Les vagues scélérates étant heureusement rares, et comme de plus, personne ne souhaite s'y exposer pour le plaisir de confirmer la théorie, la validation de ces indicateurs est une tâche ardue.
Toutefois, on a beau sortir des statistiques ces cas de vagues "expliquées", il reste un grand nombre de cas pour lesquels on ne peut trouver d'autre raison que de s'être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, ce qui n'est guère satisfaisant pour la tranquillité d'esprit du marin. 

Conclusion

Il reste un long chemin à parcourir avant que l'on puisse détecter avec fiabilité un accroissement du risque de vague anormalement haute ou cambrée, et qu'on puisse prôner, sauf en des endroits particuliers du globe, un dispositif de prévision opérationnelle des conditions d'occurrence de vagues extrêmes. Mais on a progressé dans la compréhension des causes du phénomène. 
Il convient de rappeler aux navigateurs qu'il n'y a pas de borne théorique au rapport entre la vague maximale et la moyenne de celles qui la précèdent. Car si la vague scélérate est inattendue, n'est ce pas avant tout parce que nous nous endormons dans une fausse sécurité en ne jugeant du risque que sur la seule hauteur moyenne des vagues ? 

Remerciements (de J.P Guinard, 2005)

Merci à Michel Olagnon, Chef de la Cellule Océano-Météo à Ifremer/Brest, qui m'a communiqué la plus grande part de la documentation utilisée dans ce papier et a bien voulu le relire et le corriger.
Et aussi à Jean Labrousse qui m'a incité à rédiger le présent document.

Pour en savoir plus :

Anatomie curieuse des vagues scélérates. Michel Olagnon et Janette Kerr. Édition Quæ 2015.

Ifremer.fr vagues_scelerates

Wikipedia les vagues scélérates

Comprendre les vagues scélérates grâce à l'hélium superfluide Futura Sciences Juillet 2008

Le mystère des vagues scélérates éclairci par la lumière ? Futura Sciences Décembre 2007

Proceedings du séminaire "Rogues waves 2004 : des 20, 21 et octobre 2004 édité par Michel Olagnon et Marc Prevosto

Ship-sinking monster waves revealed by ESA satellites - 2004

Les vagues géantes de la tempête Quirin mesurées par Jason-2 CNES

Videos à voir :

Emission ARTE 2009 : Le mystère des vagues scélérates

Partie 1

Partie 2

Partie 3

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