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Propos recueillis par Yves Dandonneau - Novembre 2016.

Au Club des Argonautes, Michel Gauthier était surtout connu pour ses recherches sur l'énergie thermique des mers. Mais son parcours professionnel a traversé des domaines beaucoup plus variés, de l'espace aux profondeurs marines, où, toujours, il s'est engagé avec rigueur, compétence, modestie, et passion. Sa fille Gaëlle Gauthier-Brown a accepté de nous confier la façon dont sa vie professionnelle était perçue au sein de sa famille, où ses succès et ses doutes n'étaient pas vécus de la même manière que dans les instituts de recherche. Chez lui, en famille, plus que les progrès de ses projets et de son équipe, c'est la place de la science dans la société, et les difficiles rapports entre la politique et le financement de la recherche, qui le préoccupaient.

«Bien qu'issu d’un milieu modeste,» nous dit Gaëlle, «il a excellé dans son parcours scolaire. Il était très doué pour le dessin et aurait pu tout aussi bien faire les Beaux Arts, mais finalement, il a entrepris des études d’ingénieur, en choisissant d’entrer aux Arts et Métiers.


Ce choix, sans doute influencé par :

  • les lectures des romans de Jules Verne qu’il dévorait enfant pendant l’après-guerre,
  • une admiration pour les campagnes de Jean Baptiste Charcot,
  • et aussi, une curiosité du type « Comment-ça-marche ? »

lui a permis d’épanouir sa créativité tout en se sentant utile aux autres.

À 20 ans, il obtient une bourse qui lui permet de se diplômer en thermodynamique des fluides à Chicago. Puis, il accède à une autre formation dans la recherche sur l’atome à Bruxelles. Mais cette voie ne lui plaît pas : au bout de trois ans, il doute de vouloir épanouir sa carrière dans le domaine nucléaire, entre au CNES et travaille alors sur les trajectoires des satellites, en collaboration avec la NASA. Pourtant, en 1969, alors que les Américains marchent sur la lune, il démissionne du CNES pour rejoindre le CNEXO (aujourd’hui IFREMER). En 1969, disait-il, bien qu'on connaisse mieux l’espace que l’océan, le contribuable paie des sommes «astronomiques» pour la conquête spatiale ! C'est ce double constat qui l'a déterminé…

Il a alors vécu sa passion pour les océans, surfant sur les périodes «dorées» des chocs pétroliers, pendant lesquelles, tout-à-coup, les pouvoirs publics encourageaient financièrement la recherche de nouvelles ressources naturelles… Jusqu’à une nouvelle baisse des prix du bien trop polluant Saint Pétrole… Il est devenu un spécialiste des nodules polymétalliques, qu’il a prospectés dans le Pacifique sud, au cours d’expéditions financées et effectuées conjointement avec les États-Unis et le Japon, notamment.
Ces collaborations l’ont amené à connaître les projets de recherche sur l’énergie thermique des mers au cours d'une visite à Hawaï, où un ingénieux système d’irrigation des champs de fraises l'avait séduit : les fraises hawaïennes, particulièrement délicieuses et sucrées, y poussaient dans des champs parcourus par des tuyaux d'eau de mer froide, pompée en profondeur dans l'océan. La vapeur d’eau de l'atmosphère se condensait sur ces tuyaux et irriguait les fruits exposés au soleil. L’exploitation de ce potentiel thermique, un don de la nature dont bénéficient les rivages des océans chauds, lui a paru saine, et prometteuse : il s'est donc lancé dans l'exploration de cette nouvelle voie.

Il a alors parcouru le Pacifique sud, où il s'est créé un réseau d'amitiés professionnelles solides, échangeant toujours avec des chercheurs de nombreux pays, conduisant à plusieurs des projets communs d’envergure. Il a créé une antenne de l’IFREMER à Nouméa afin que la France puisse marquer enfin une présence positive dans cette région où elle était bien mal perçue, après ses essais nucléaires en Polynésie et sa discutable gestion du conflit kanak à Ouvéa. Il a également été engagé comme expert scientifique pour l’Europe, puis dans des projets d’observation des océans et des courants. À l’aube d’internet, cette dernière activité a vite bénéficié des nouvelles possibilités de communication, de centralisation et d’exploitation des données pour évoluer vers ce qui sera l'océanographie opérationnelle : une connaissance de l'océan en temps réel.

Je me souviens, au cours des années précédant sa retraite, de discussions avec mon père sur ses travaux, qui nous amenaient souvent à élargir mes vues. Il partageait avec moi ses questionnements sur la relation complexe et inaboutie entre l’État et la science, en insistant sur la difficulté de communiquer sur la science. C'était alors une faiblesse en France, et pour lui en particulier, même s’il pressentait des promesses chez les chercheurs des nouvelles générations : ceux ci, familiers avec les nouveaux moyens de communication, contraints au pragmatisme par les défaillances de l’État pour relayer les savoirs, étaient plus lucides, et prenaient au sérieux l’enjeu que représente la diffusion des connaissances vers le public. Savoir synthétiser les progrès scientifiques réalisés ou en cours et leur donner la visibilité nécessaire afin d'obtenir le financement des recherches lui semblait essentiel, au soir de sa vie professionnelle. Il regrettait de ne pas avoir été assez performant en ce sens pour faire comprendre les enjeux. Pourtant, j’ai relu souvent ses textes publiés dans des revues d’experts sur les ressources des océans. Je découvrais ainsi un peu mieux les grandes lignes de ses recherches, leur utilité, leur portée.

Son parcours et les questionnements qui l’ont jalonné me semblent importants à partager car ils témoignent de remises en causes cohérentes et lucides, et donc d’une vocation de chercheur inspirée autant qu’inspirante pour d’autres. Sans doute le contexte historique propre à sa génération a-t-il favorisé une sensibilité particulière à ce lien nécessaire avec la société. L’humanisme, l’idéalisme et bien sûr toujours une vraie curiosité, ont été le moteur dans toutes ses entreprises professionnelles et se révèlent avec évidence dans son parcours.

Je souhaite pour ma part que cette conscience humble de soi et du monde habite encore d’autres passionnés et qu’ils soient assez nombreux et éclairés pour nous permettre d’envisager un avenir plus prudent et responsable envers la vie et la Nature.»


Michel Gauthier avait imaginé une fiction en bande dessinée anticipant ce que pourrait être un programme international d'utilisation de l'Énergie Thermique des Mers pour la production d'électricité, la climatisation et même la production de produits industriels en mer, un projet de grande envergure. On trouve dans ce texte, les aspects scientifiques et techniques, les impacts sur l'environnement, l'entraide entre Pays du Nord et Pays du Sud. En lisant ce texte on imagine ce que Michel aurait aimé mener pendant la période où il s'est tant investi dans l'ETM et les frustations qu'il a vécues, bien perceptibles pour ceux qu'ils l'ont bien connu.
La partie dessin de cette fiction devait être faite par des professionnels, mais malheureusement le projet n'a pas abouti.
Yves Dandonneau a repris le texte de Michel et a réalisé lui-même l'illustration et la mise en page.

À lire : La cité de la mer

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