Le Club des Argonautes
Pierre Morel (1933-2024)
Né en 1933, Pierre Morel est entré à l'École Normale Supérieure en 1952. Après avoir passé l'agrégation de Physique, il est parti aux États-Unis, où il a occupé le poste de représentant à New-York de l'attaché scientifique à l'ambassade de France à Washington. Il y a aussi préparé une thèse avec le physicien américain Philip W. Anderson (Prix Nobel de Physique en 1977) sur des problèmes de transitions quantiques dans l'hélium liquide.
Revenu en France, il a changé d'orientation et a rejoint la Direction scientifique et technique du CNES nouvellement créé. Cela l'a amené à prendre la responsabilité scientifique du projet Éole, destiné à étudier la circulation de l'atmosphère à l'aide de ballons plafonnant localisés par satellite (une technique totalement nouvelle à l'époque). Il a aussi été à cette époque le Directeur-Ajoint du Service d’Aéronomie du CNRS.
Pierre Morel a pris pleine conscience de ce que deux développements majeurs, l'observation satellitaire d'une part et le calcul électronique de l'autre, allaient totalement transformer la science de la météorologie et de l'atmosphère. Il n’était certes pas le seul à avoir pris conscience de ce fait important, mais il a décidé d’en tirer plein profit et de se consacrer au développement d'une ambitieuse activité de recherche exploitant au mieux ces nouveaux moyens.
Cela l'a conduit à créer en 1968 au sein du CNRS le Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD), résultant de la fusion du groupe constitué par lui-même au Service d’Aéronomie autour du projet Éole, et du Laboratoire de Physique de la Basse Atmosphère, dirigé par Paul Queney. En 1970, une partie du LMD s'est installée à l'École Normale Supérieure (ENS) grâce à l'appui d'Yves Rocard, qui y dirigeait alors le Laboratoire de Physique. Cette partie s'est principalement consacrée à la modélisation numérique de l'atmosphère terrestre et s'est progressivement élargie vers l'étude du climat, puis des atmosphères planétaires. Une autre partie, installée quelques années plus tard à l'École Polytechnique à Palaiseau, se consacrait aux expériences par ballons ainsi qu’à la préparation et à l'exploitation de missions spatiales.
Après la réussite du projet Éole, mené à bien en 1971-72, le Laboratoire de Météorologie Dynamique s’est au cours des années rapidement et considérablement développé. Le Laboratoire a progressivement élargi les thèmes de ses recherches et établi de multiples collaborations. La création en 1991 de l’Institut Pierre-Simon Laplace, fédération de laboratoires de la région parisienne travaillant sur les multiples aspects des sciences de l’environnement, lui a permis d’élargir encore ses collaborations et ses contributions aux thèmes les plus divers.
Mais, au-delà du laboratoire qu’il avait créé, Pierre Morel a pris dès l’origine des responsabilités d'organisation et de gestion scientifiques, en France et au niveau international. Il avait dès 1968 proposé au CNES le développement de ce qui est devenu la série des satellites Météosat, mise en œuvre par l’Agence Spatiale Européenne. Il s’est activement engagé dans la préparation du projet international Global Atmospheric Research Program (GARP) de coordination d’un ensemble de campagnes d'observation (GARP Atlantic Tropical Experiment, Alpine Experiment). Cela lui a ouvert de nombreux contacts à l’étranger qu’il a su entretenir pour assurer une forte contribution française aux projets internationaux. Il a ainsi acquis, au-delà de la France, une large reconnaissance personnelle. Il a aussi acquis une vision claire de nombreuses questions à venir, par exemple des conséquences climatiques à attendre de l'émission anthropique des gaz à effet de serre, dont il parlait dès le début des années 1970.
Après avoir mis le LMD sur des rails solides (mais tout en conservant ensuite avec lui des contacts réguliers), Pierre Morel a pris en 1975 la direction des Programmes du CNES. L’étape suivante fut pour lui, de 1982 à 1994, l'Organisation Météorologique Mondiale à Genève, où il anima le Programme mondial de recherches sur le climat, coordinateur de nombreux projets coopératifs tels que GEWEX (sur le cycle global de l’eau) ou CLIVAR (sur la variabilité climatique).
Puis, redoutant en France une retraite précoce, Pierre Morel rejoignit la NASA à Washington comme Visitor Senior Scientist, où il fut de 1995 à 2000 conseiller de l'administrateur délégué pour les Sciences de la Terre.
En plus de ces multiples activités, Pierre Morel a toujours réservé une part à l’enseignement. Il a enseigné à la Faculté des Sciences, à Paris, puis à Université Paris 6, quand la Faculté s'est scindée entre Paris 6 et Paris 7. Il avait la responsabilité d'une section de DEUG et dirigeait, avec talent, une équipe d'enseignants. Il était un enseignant brillant et avait écrit, avec son collègue Julien Bok, de l'École Normale Supérieure, le livre Bok et Morel, qui était un appui remarquable pour l'enseignement de Mécanique au niveau du DEUG.
Ce qui frappait avant tout chez Pierre Morel était sa très large vision scientifique, qui le
conduisait à lancer des projets ambitieux qu’il proposait souvent à de jeunes chercheurs. (Il ne faut jamais s’excuser de l’étendue de ses vues, disait-il). Sa personnalité forte et volontaire lui permettait de convaincre et d’entraîner les autres ainsi que d’assurer une place de premier plan à son laboratoire. De par sa nature combative et un humour parfois grinçant (surtout vis-à-vis de lui-même), il n’évitait pas les débats ni la controverse et ne craignait pas les conflits. Les rapports que Pierre Morel entretenait avec les autres n’étaient donc pas toujours paisibles.
Pierre Morel a joué un rôle déterminant dans le développement des sciences atmosphériques, en France d’abord, mais aussi à l'étranger. Il a laissé son empreinte sur d’innombrables projets, et a aussi exercé une forte influence, et laissé une forte impression, sur nombre de ceux qui ont été en contact avec lui d'une façon ou d'une autre.