Katia Laval
Les cyclones tropicaux (appelés aussi ouragans ou typhons) sont des perturbations régionales dont l’extension est de l’ordre de plusieurs centaines de kilomètre. Les vents, violents, tournent autour du centre, appelé l'œil du cyclone. Les mouvements verticaux y sont très développés et les précipitations intenses, de plusieurs centaines de mm par jour, et avec des pics de 50 millimètres par heure. La pression au niveau de la mer est très basse, souvent inférieure à 900 hPa. Ces dépressions météorologiques prennent naissance sur les océans tropicaux ou sub-tropicaux, et s'amplifient en se déplaçant vers l'ouest et vers les latitudes plus élevées.
Ce sont des phénomènes très intenses qui peuvent dévaster des régions, faire de nombreuses victimes et semblent se produire de manière aléatoire. Le typhon Haiyan qui s’est abattu sur les Philippines, en 2013, en est un exemple tragique. Il a été particulièrement destructeur et a provoqué des morts et des blessés par milliers et l'évacuation de centaines de milliers de personnes.
Les vents y sont supérieurs1 à 119 km/h et peuvent atteindre 300 km/h pour les plus violents. Ainsi, lors de rafales observées pendant Haiyan, qualifié par certains de cyclone probablement le plus puissant jamais enregistré, les estimations de vents ont été de 380 km/h. Suivant la violence, on classe les cyclones tropicaux (CT), de la catégorie 1 pour les plus faibles (de 119 km/h à 153 km/h), à la catégorie 3 pour des vents entre 178 et 210 km/h, et à la catégorie 5 pour les plus intenses (au dessus de 251 km/h)
L'année 2017 a été particulièrement dévastatrice2 avec les ouragans Harvey, de catégorie 4, donnant lieu à des précipitations records de 1500 mm, et provoquant des inondations exceptionnelles sur le Texas, puis Irma et Maria tous deux de classe 5, qui se sont abattus sur les Antilles. Au total, six cyclones majeurs (de classe supérieure à 3) se sont succédés, dépassant largement la moyenne de 3 cyclones majeurs dans cette région. En septembre 2019, l'ouragan Dorian a dévasté les Bahamas avec une puissance dépassant celle des cyclones Irma et Maria qui avaient touché ces îles en 2017. Il a, lui aussi, été de force 5, avec des vents moyens qui ont dépassé 295 km/h. Peut-on déduire de cette succession d'événements exceptionnels que l'on assiste à une augmentation du nombre et de l'intensité des CTs ces dernières années?
On a noté que les cyclones se développent lorsque la température de la mer est supérieure à 26°-27°C mais qu'un cisaillement du vent horizontal3 a un effet d'atténuation et même d'inhibition des CTs. Quand les vents sont inférieurs à 119 km/h, les spécialistes nomment ces dépressions des orages tropicaux ou des tempêtes tropicales.
Décrire un CT à l'aide d'un modèle implique de représenter l'œil, cette zone de vent calme, dont l'extension est de quelques dizaines de kilomètres, et le mur du cyclone, surface où les vents sont les plus forts, qui entoure l'œil.
Figure 1: Un cyclone. On distingue l'œil au centre, et les vents tourbillonnant autour, zone blanche recouverte de cumulonimbus.
Leur énergie a pour origine la quantité de chaleur considérable dégagée lors de la condensation de la vapeur d’eau charriée par ces perturbations atmosphériques. Cette grande quantité de vapeur provient essentiellement de l’évaporation qui s'effectue lors du passage du CT sur les eaux chaudes océaniques, mais aussi de l'humidité de l'environnement où se déplace le cyclone.
La dynamique des CTs est réellement complexe et les connaissances sur ces processus ont beaucoup progressé depuis une quinzaine d’années. Les études régulièrement publiées l’attestent, et donnent lieu quelquefois à des débats entre scientifiques, étant donné la difficulté de maîtriser totalement les mécanismes donnant lieu à ces événements au développement explosif.
2- Prévision des cyclones tropicaux
Les dommages considérables que subissent les populations lors du passage d'un CT sont atténués quand on en fait une prévision fiable. C'est pourquoi depuis plus d'une vingtaine d'années, des efforts ont été déployés pour améliorer leur prévision. Les chercheurs ont des outils de plus en plus performants: des modèles statistiques, des modèles régionaux avec une résolution inférieure à la dizaine de kilomètre pour représenter de manière réaliste un CT et étudier théoriquement ses mécanismes d'amplification ou d'atténuation, et des observations par satellites qui fournissent un suivi des CTs apparaissant chaque année sur les différents bassins océaniques. Ces études ont permis une meilleure connaissance de leurs caractéristiques. Comment mesurer l'énergie maximum d'un CT? Combien de CTs sont déclenchés chaque année? Quelles sont les caractéristiques des précipitations, des profils de température dans l'environnement du cyclone?
En 2012, on a pu saluer la précision, sur la région de New York, de la prévision du cyclone Sandy qu’a effectuée le Centre Européen pour les Prévisions Météorologiques à Moyen Terme (CEPMMT). Sa trajectoire a été prévue 6 jours à l’avance et l’erreur a été, 2 jours avant qu'il n'atteigne New York, de quelque 70 kilomètres seulement, ce qui a constitué une amélioration nette par rapport aux prévisions précédentes et a certainement permis d'épargner des vies humaines. Il faut souligner les progrès importants sur la prévision de la trajectoire des ouragans, et Sandy en est un exemple. Vers les années 1970, la prévision à 3 jours de la trajectoire des CTs en Atlantique comportait des erreurs de l'ordre de 700 km; à l'heure actuelle, ces erreurs ont été divisées par 4 et la prévision à 5 jours comporte une erreur voisine de 300 km.
Les spécialistes arrivent à déterminer assez bien leur trajectoire quelques jours en avance, mais anticiper l’activité cyclonique d’une région quelques mois en avance serait très bénéfique pour de nombreux secteurs : la protection des bâtiments et des populations, la gestion des ressources en eau. Ces prédictions saisonnières sont effectuées par le CEPMMT (avec un modèle dont la résolution est de 36 km), cependant elles nécessitent encore des progrès pour être fiables.
Prenons pour exemple l'étude4 qui a porté sur les prévisions qui ont été effectuées sur le Nord de l’Atlantique, quelques mois avant la saison des CTs qui va de juillet à novembre. Généralement, une seule prévision étant peu crédible, on en effectue plusieurs, qui ont pour origine des dates décalées dans le temps, et qui permettent d'être plus confiants sur les résultats. En 2010, ces essais ont été couronnés de succès, comme le montre le schéma de la figure 2. Les différentes prévisions saisonnières effectuées successivement de mars à mai, indiquaient, pour la saison suivante, un nombre probable d'ouragans de 9 à 12, bien supérieur à la valeur moyenne de 6, et ceci a été tout à fait réaliste puisque les ouragans observés ont été au nombre de 11. Ce succès a permis d'espérer que les outils utilisés pour cette détermination étaient plus performants que dans le passé. Malheureusement, l’année 2013 n'a pas permis de confirmer cette avancée. Les différentes prévisions saisonnières avaient conclu que l'année serait presque normale, avec une fréquence de CTs de 6 ou légèrement supérieure; or 2013 fut l’année où on a eu le moins de cyclones depuis que l’on a des observations globales (voir figure 2).
Figure 2: Prédiction et observations (en gris: 12 en 2010 et seulement 2 en 2013) d'une saison cyclonique en Atlantique Nord. L'activité intense de la saison 2010 a été bien prédite, mais en 2013, les études n'ont pas su prévoir la très faible activité des TC. Les points représentent les prédictions par différentes méthodes, avec leur écart type décrit par une barre. Les mois initiaux de chaque jeu de prédiction sont inscrits sur la figure.
3- Les cyclones tropicaux et les modèles climatiques
Généralement, un modèle global de climat (les Modèles de Circulation Générale ou MCG) ne peut véritablement décrire un ouragan car la maille du modèle est de l'ordre de la centaine de kilomètre. Réduire la maille est extrêmement coûteux et par conséquent, les expériences numériques dont la résolution est suffisante sont rares.
Pourtant, pour évaluer la capacité des MCG à représenter les CTs, quelques simulations ont pu être conduites en réduisant la taille de la maille du modèle. C'est le cas au laboratoire de Princeton, le "Geophysical Fluid Dynamics Laboratory" (GFDL)5, où les chercheurs ont fait des simulations climatiques avec un MCG dont la maille a été réduite à 50 km. Ces expériences numériques ont démontré que la physique du modèle était suffisamment performante pour que des CTs apparaissent avec des caractéristiques assez satisfaisantes. Leur développement dans les différents bassins océaniques était présent, avec une évolution maximum de juillet à novembre, conforme à la réalité, ce qui est remarquable. Mais le caractère explosif des cyclones majeurs de catégorie 4 à 5 n'a pas été simulé par ce modèle et seuls, ceux de classe 1 à 3 ont pu être représentés. Malgré cette dernière difficulté, ce résultat rassure car il montre que, seule, une résolution insuffisante empêche les MCG de mieux représenter les cyclones et leur évolution avec le changement climatique.
Malgré leur résolution insuffisante, les MCG ont été utilisés pour approfondir les connaissances sur les CTs. Pour détecter l'apparition et l'intensité des cyclones des modèles, les scientifiques ont développé des algorithmes simples basés sur des seuils de quantités locales telles que le tourbillon de vent (cette quantité mesure la rotation du vent qui s'amplifie lors du développement d'un cyclone), la pression, et la température de la haute troposphère, ou d'autres indices définis ci dessous au paragraphe 5. Ces études ont permis de confirmer le lien entre l'existence d'une année El Nino (la Nina) et l'affaiblissement (le renforcement) de l'activité cyclonique en Atlantique6. Ces relations ont été constatées sur les observations portant sur la période allant de 1981 à 2009. Plus la maille des modèles est fine et la résolution précise et plus performante est la représentation des CTs.
L'influence du changement climatique (CC), résultant de l'émission anthropique des gaz à effet de serre (GES) sur l'activité cyclonique a été véritablement étudiée après les années 2000, même si quelques publications avaient tenté auparavant d'explorer le sujet. On a pu noter des désaccords sur les conclusions des nombreuses publications. En utilisant l'ensemble des MCG ayant participé au 4ième rapport du GIEC, des scientifiques ont montré que, en Atlantique, et sur l'Est du Pacifique, le cisaillement de vent7 augmentait avec le CC, ce qui inhibe l'intensification des cyclones; d'autres analyses, publiées bien après 2005, ont conclu que le nombre de cyclones8 diminuait dans cette région alors que des publications en 2005 annonçaient une augmentation du nombre et de l'intensité des CTs. Le débat entre scientifiques s'est instauré, certains utilisant des modèles qui obtiennent une augmentation de l'intensité ou du nombre de cyclones, alors que d'autres trouvent l'inverse. Nous revenons plus précisément sur ces résultats dans les prochains paragraphes.
4- Comment déterminer l’évolution des cyclones tropicaux
Comment évoluent, sous l'effet du changement climatique, la fréquence et l'intensité des cyclones tropicaux, ou encore la région où ils sont produits? La réponse à cette question présente des difficultés. Elle est encore débattue par les scientifiques, qui pourtant sont bien conscients de son importance majeure pour la société, eu égard aux désastres engendrés par ces situations météorologiques.
Les Observations
Les études sur l'évolution des CTs passés présentent deux difficultés. Tout d'abord la qualité des observations, en particulier avant leur détection par les satellites et d'autre part la longueur insuffisante des données du passé auxquelles on a accès. Définir un signal statistique fiable sur des événements rares (encore plus si l'on s'intéresse aux cyclones majeurs (de catégorie supérieure à 3) nécessiterait d'avoir des séries plus longues que celles dont on dispose.
Les CTs sont assez rares, dans les différents bassins océaniques, malgré l'impression ressentie par le public. Ainsi, en Atlantique, où on a des enregistrements les plus complets, les études n'ont pas toujours été en accord. Sur le nord de l'Atlantique (figure 2) le nombre d'ouragans est en moyenne de 6 par an, avec des écarts type de l'ordre de 3. Néanmoins, certaines années, leur nombre peut être bien supérieur, ce qui peut faire penser à une tendance sur le long terme. Ainsi, on en a observé plus de 10 en 1995, en 2005 et en 2010. L'année 2005 a comporté 15 CTs particulièrement violents, dont l'ouragan Katrina, en Nouvelle Orléans, qui a fait plus de 1300 morts et 100 milliards de dégâts. De nombreuses publications ont alors affirmé que l'on assistait à une augmentation globale du nombre de CTs en Atlantique, ou de l'intensité des cyclones majeurs, ou de leur capacité de destruction9. La question suivante a été alors posée: une telle évolution peut elle être attribuée au changement climatique lié aux émissions des gaz à effet de serre? Ces conclusions ont été réfutées par la suite, quand on a étudié des enregistrements plus longs10. Après 2005, le nombre de cyclones a nettement décru en Atlantique et certains en ont cherché la cause. Une hypothèse a été que les variations d'aérosols de la région ont eu une influence sur l'activité des CTs, mais cette explication n'a pas convaincu tous les chercheurs. L'activité cyclonique très forte en 2017, bien qu'inférieure à celle de 200511, a relancé les recherches sur les causes de cette intensification et certains l'ont reliée à la modification des températures de surface
en Atlantique12. Sur le Pacifique, des études ont montré que le nombre de cyclones décroissait. Des chercheurs ont émis l'hypothèse que l'augmentation du nombre de CTs en Atlantique, certaines années, pouvait être compensée par une décroissance sur l'océan Pacifique13.
Les dernières études14 montrent que, sur l'ensemble de la planète, le nombre total annuel de perturbations tropicales (CTs et tempêtes) est de l'ordre de 87, avec une variabilité interannuelle importante: on en a compté 69 en 2010, et 108 en 1996. Parmi ces perturbations, 48 en moyenne correspondent aux cyclones de classe 1 ou plus. De même que pour l'Atlantique, les données globales reconstituées n'ont pu démontrer une tendance à l'augmentation ou à la réduction du nombre total d'ouragans, même si la variation décennale, avec des minimums de 29 (comme en 1977, ou en 2008-2009), apparaissant sur la Figure 3, a pu induire des interrogations, voire même l'hypothèse d'une décroissance de leur nombre total, lors de l'analyse de séries moins longues.
Figure 3: Fréquence (nombre de cyclones par an) des cyclones tropicaux (en rouge) et de l'ensemble des orages et des cyclones tropicaux (en noir) sur la planète. Chaque point correspond à une moyenne glissante sur 12 mois. Knutson et al15, 2019.
Les études théoriques
- Les indices
Les Modèles MCG n'ont pas la résolution suffisante pour représenter les cyclones, sauf lors de quelques expériences spécifiques déjà soulignées. C'est pourquoi les physiciens ont défini à partir des propriétés de l'environnement, des indices liés à la violence des cyclones, et qui, eux, peuvent être déterminés par les MCG. Ils ont, par exemple, défini un indice qui correspond à la limite supérieure de l’intensité du cyclone16 en tenant compte de l’état de l’environnement, et l'ont nommé « intensité potentielle » du cyclone. Cette intensité potentielle (IP) est une estimation théorique du maximum d'intensité qu'un cyclone tropical peut atteindre dans un environnement aux caractéristiques thermodynamiques données. D'autres indices ont été définis pour mieux déterminer le pouvoir destructeur d'un cyclone, tout au long de son existence17.
La relation entre la température de surface de l’océan et l’activité cyclonique est connue depuis longtemps. On a déjà noté que les cyclones tropicaux ne se développent que si la température de la mer est supérieure à 26-27°C. Cette condition a été souvent évoquée dans les médias, en particulier lorsqu'on prédit l'évolution de l'activité cyclonique provoquée par le réchauffement climatique. En effet, si les températures océaniques sont plus fréquemment supérieures à ce seuil, cette condition se trouve plus souvent réalisée. Cependant, la température supérieure à 26-27°C, seule, ne suffit pas à engendrer un cyclone: c'est une condition nécessaire mais non suffisante.
En fait, cet indice IP est lié à l’instabilité de l’atmosphère, ce qui implique non seulement la température de surface mais le profil de température, mesuré depuis la surface jusqu'au haut de la troposphère (vers 12 km). C'est la raison pour laquelle il n'est pas évident qu'une température de surface plus chaude renforce l'intensité des cyclones. Les études conduites à l'aide des données des Centre de Prévision l'ont démontré, comme expliqué dans le paragraphe suivant.
- Les réanalyses
Pour calculer cet indice et son évolution ces dernières décennies, il était nécessaire d’avoir des données continues du profil de température et d’humidité sur les bassins océaniques. Ces quantités peuvent être fournies par les réanalyses des centres de prévision18, celui des USA (NCEP/NCAR) et le Centre Européen à Reading (CEPMMT). Ces centres de prévision emmagasinent chaque jour toutes les observations, satellitaires et in situ, les passent à travers des filtres qui utilisent des Modèles de Circulation Générale (MCG) pour obtenir des analyses que l’on distribue à la communauté scientifique. Ces opérations permettent chaque jour d’avoir une analyse de l’état de l'atmosphère et de l'océan la plus réaliste, compatible avec les données et les lois auxquelles est soumis le système climatique. Les réanalyses consistent à refaire ces opérations, à postériori, sur de longues périodes antérieures, avec les algorithmes les plus récents, ce qui permet d'obtenir des séries homogènes de l'état de l'atmosphère sur plusieurs années.
La première évaluation de cette "intensité potentielle" a été réalisée avec les ré analyses du NCEP/NCAR, aux USA. Cette étude a montré une augmentation de l’« intensité potentielle » au cours des dernières décennies. Cela a permis d’annoncer dans les médias et le public que les cyclones tropicaux étaient plus intenses au cours de ces derniers 30 ans. Cependant, d'autres études, moins médiatisées, ont questionné la fiabilité de ces résultats. Par exemple, ils ont souligné que l'intensité potentielle de certaines zones pouvait être réduite si les températures de la haute troposphère étaient mal évaluées19. De plus, certains scientifiques ont émis l'hypothèse que le réchauffement non local, mais relatif par rapport à celui de l'ensemble du bassin, influence l'énergie des cyclones.
Une étude similaire a ensuite été effectuée en utilisant les réanalyses du CEPMMT20 pour décrire l'environnement, et n’a pas montré de croissance de cette intensité potentielle, mais au contraire un profil quasiment plat, avec des variations décennales (Figure 4). Ce résultat, contrasté, s'expliquait par le fait que les valeurs de température de la haute troposphère obtenues par les deux jeux des deux centres de prévision étaient différentes. Pourquoi et comment crédibiliser une de ces deux études par rapport à l'autre?
Figure 4: Évolution de l'intensité potentielle annuelle moyenne des orages et cyclones tropicaux, et leur tendance à long terme. Les données utilisées sont MERRA (rose), ERA interim (bleu) (2 versions du CEPMMT) et NCEP en rouge. La tendance sur les données du CEPMMT n'est pas significative.
Les auteurs ont fait bien mieux que de constater cette différence entre les 2 jeux de données. Grâce aux progrès des suivis de cyclones tropicaux par satellites21, ils ont calculé l'indice pour chacun des cyclones observés, en suivant sa trace plutôt que de faire une étude sur les paramètres climatiques obtenus par les centres de prévision sur toute la région environnante. Et ils ont vérifié que les mesures, chaque année, de la température au sommet du cyclone observé était en accord avec les réanalyses ERA-interim du CEPMMT et était en désaccord avec ces réanalyses NCEP/NCAR. Les températures de la troposphère analysées par le CEPMMT sont donc plus réalistes que celles du NCEP pour ces deux jeux de réanalyses: l'intensité potentielle n'a pas varié significativement.
- Résultats des MCG
Les chercheurs ont utilisé les indices déjà décrits pour détecter des modifications des cyclones tropicaux que leurs modèles représentaient, quand ils prescrivaient une augmentation des gaz à effet de serre. Un certain nombre de publications, vers les années 2000, ont conclu à une augmentation de l'intensité des cyclones, et cela a eu une résonance importante dans les médias.
Depuis, des développements significatifs ont permis de progresser de manière importante dans la connaissance et la représentation de ces cyclones. Tout d'abord, on a pu augmenter la résolution de certains MCG, ce qui a eu un impact considérable sur la confiance que l'on pouvait avoir sur leurs résultats. De plus, des techniques sophistiquées ont été introduites pour résoudre les échelles adaptées aux cyclones par des méthodes de désagrégation: elles consistent à associer aux MCG, des modèles régionaux, de résolution bien plus fine, de 50 km ou de 18 km22 pour mieux définir la dynamique du cyclone; certaines études ont même associé, en descendant à une échelle encore plus fine, un modèle de cyclone, à 9 km de résolution pour représenter les ouragans les plus intenses. Ces analyses ont donné lieu à un ensemble de résultats qui ont paru bien plus convaincants que les simples résultats brut obtenus par les GCM, de résolution de l'ordre de la centaine de kilomètre.
Les exercices effectués dans le cadre du GIEC, en particulier pour le rapport AR5, publié en 2013, ont permis d'étudier cette évolution (leur intensité, leur nombre, leur trajectoire) en tenant compte de l'ensemble des MCG qui participaient au GIEC, ce qui implique une plus grande confiance accordée aux résultats.
Il faut noter que ces évaluations comportent deux hypothèses: d'une part, que le changement du climat régional des zones tropicales est calculé de manière réaliste par les modèles et que, d'autre part, les indices qui sont utilisés soient des indices valables dans un climat plus chaud. Notons au passage une difficulté: les CTs de classes 4 et 5, plus difficiles à représenter, sont ceux qui importent le plus car, s'ils représentent 6% d'occurrence de ces événements, ils sont responsables de 50% des dommages économiques.
S'appuyant sur ces méthodes, un grand nombre d'études ont été publiées. Elles déterminent l'évolution des cyclones en Atlantique, sur le Pacifique, ou les autres bassins; certains se sont intéressés au nombre de cyclones, d'autres à l'évolution de leur intensité. Certains ont publié des résultats pour la proportion de cyclones les plus violents (classe 4 et 5). Ces résultats présentent des accords partiels mais encore des désaccords, ce qui démontre simplement la complexité du sujet, qui n'est toujours pas maîtrisé.
- Conclusions des spécialistes
Étant données la complexité et la diversité des résultats, et, en même temps, l'importance de ces études vis à vis de la société, onze spécialistes internationaux du domaine, dont la compétence est reconnue, ont publié un article en commun23, en décembre 2019, pour faire le point des connaissances et décrire leurs certitudes, incertitudes, questionnements sur l'évolution des cyclones face au changement climatique. Ils se sont placés dans l'hypothèse d'une augmentation du réchauffement global de 2°C et ont analysé plus de 130 publications sur le sujet. Leurs conclusions sont les suivantes:
- Les études scientifiques ne permettent pas d'affirmer que le nombre de CTs augmente, même si un chercheur sur les onze en est convaincu.
- Il est possible que la proportion des CTs les plus intenses (les classes 4 et 5) augmente, au détriment des ouragans moins intenses. Les auteurs soulignent que ceci n'implique pas que le nombre total de cyclones de classe 4 et 5 augmente, mais que leur pourcentage par rapport au nombre total augmenterait dans l'hypothèse où le nombre de CTs serait réduit globalement.
- Ils accordent une confiance moyenne ou peu de confiance aux modèles qui montrent une diminution du nombre de cyclones, même si la plupart des expériences numériques l'obtiennent. Leur argument est que cette variation n'est pas observée à l'heure actuelle. La question "pourquoi les modèles simulent en général (mais pas tous) une diminution de la fréquence des cyclones" n'a pas encore reçu de réponse tout à fait satisfaisante malgré les recherches qui ont proposé des mécanismes possibles.
- On a observé, ces dernières années, un ralentissement du déplacement des cyclones sur leur trajectoire. Ceci a pour effet d'intensifier les dommages subis en un endroit donné et peut expliquer une partie de l'augmentation des dommages sur les zones habitées, comme cela a été constaté pour le cyclone Dorian, en 2019. Le consensus pour cette affirmation n'est pas total, cependant. Notons, de plus, que cet effet doit être distingué du fait que des évolutions socio-économiques ont provoqué une augmentation des coûts des dommages, constaté par les compagnies d'assurance.
- Certaines publications ont émis l'hypothèse d'un déplacement vers le Nord de la région d'apparition des cyclones, et pouvant toucher Hawaï, quand cette translation a lieu sur le Pacifique. Cependant, suivant les auteurs, les zones concernées sont un peu différentes, et le consensus n'est pas établi. Bien que la latitude du maximum d'intensité des perturbations sur l'ouest du Pacifique se soit décalée depuis les années 1940, vers le Nord, cette proposition n'est pas considérée comme robuste par l'ensemble des spécialistes.
- Il y a cependant un résultat qui est énoncé avec plus de conviction par ces chercheurs: le taux de précipitation augmentera avec le réchauffement climatique, car cet effet est basé sur une théorie thermodynamique solide, et les simulations des modèles sont en accord avec cette modification. Le fait de ne pas l'avoir détecté sur les observations tempère cette conclusion, mais elle reste affirmée par un certain nombre de ces spécialistes.
Quand on lit attentivement chacune de leurs remarques, on est frappé par leur prudence et les marges d'incertitude qu'ils veulent porter à la connaissance des autres spécialistes climatologues. Il serait important que les médias nous aident à rapporter vers le public cette attitude rigoureuse et nuancée.
Conclusions
Les études que nous avons décrites montrent, à l'évidence, que tout n'a pas été dit sur le futur des cyclones et que certaines contradictions entre chercheurs demeurent. Il est possible que de plus longues observations soient nécessaires pour démontrer ou confirmer certains résultats, comme l'évolution de l'intensité des cyclones avec le changement climatique en cours. Leur déplacement en latitude, le ralentissement du déplacement du cyclone sur sa trajectoire, ou la proportion de cyclones majeurs (car ceux de faible intensité diminuent en fréquence) donnant lieu à des dommages plus importants localement, tous ces facteurs induisent une inquiétude compréhensible.
Il est indéniable que si la résolution des modèles globaux pouvait atteindre 10 kilomètres, voire même moins, la représentation de la convection et des cyclones en serait nettement améliorée, et partant, leur évolution provoquée par le changement climatique sur de longues simulations, évaluée avec plus de fiabilité. Deux éminents spécialistes du climat24 ont proposé que la communauté internationale des scientifiques milite pour obtenir des ordinateurs dont la puissance serait multipliée par 1 000 000, de telle sorte qu'on puisse faire des expériences numériques avec des MCG de 1 kilomètre de résolution. Ce type de développement apporterait un outil plus performant et des réponses plus fiables pour comprendre, en particulier, l'évolution de ces événements extrêmes si dévastateurs.
1 Cette échelle (de Saffir-Simpson) étant définie en miles par heure, les valeurs limites de chaque classe ne correspondent pas à des chiffres ronds
2 http://www.meteofrance.fr/actualites/61768048-saison-cyclonique-2017-l-omm-fait-le-bilan-pour-l-atlantique
3 Le cisaillement est la variation de la vitesse du vent entre les hautes altitudes et les basses altitudes. Conventionnellement, on le calcule en prenant la différence du vent entre les niveaux 200 hPa et 850 hPa
4 Vecchi, G. A. and G. Villarini. Next Season's Hurricane, Science 343, 2014
5 Zhao M., I. Held, S-J Lin, and G. A. Vecchi. Simulations of global hurricane climatology, interannual variability, and response to global warming using a 50-km resolution GCM. Journal of Climate, 2009
6 Depuis quelques années, on a différentié deux modes El Nino, un mode à l'est (EP), et l'autre au centre (CP) de l'océan Pacifique. Le mode EP est l'El Nino conventionnel avec des anomalies chaudes de la surface sur l'est du Pacifique tropical alors que le mode CP, noté Modoki, est un mode où les anomalies les plus chaudes sont situées au centre du Pacifique. Le lien entre les CP El Nino et les ouragans est moins bien établi que celui avec les années EP El Nino. Voir Wang et al, J. Climate, 2014
7 Vecchi G. A. et B. J. Soden, Increased tropical Atlantic wind shear in model projections of global warming., Geophys. Research Letters, 34, 2007
8 Zhao M. et al, An analysis of the effect of global warming on the intensity of Atlantic hurricanes using a GCM with statistical refinement, J. Climate, 23, 2010 ou encore Knutson et al, Dynamical downscaling projections of twenty-first century Atlantic hurricane activity, Journal of Climate, 2013
9 Webster P. J., et al, Changes in tropical cyclone, number, duration, and intensity in warming environment, Science, 309, 2005. Ou Emanuel K., Increasing destructiveness of tropical cyclone over the past 30 years, Nature, 436, 2005
10 Chan, J. C. L., Comments on "Changes in tropical cyclone, duration, and intensity in warming environment, Science, 311, 2006
11 En 2005, la saison cyclonique reste exceptionnelle en Atlantique nord, avec 14 ouragans dont 7 majeurs
12 Murakami H. et al, Dominant effect of relative tropical warming on major hurricane occurrence, Science, 2018
13Wang C and S.K. Lee, Co-variability of tropical cyclones in the north Atlantic and the eastern North Pacific, Geophysical Research Letters, 36, 2009
14 Maue, Recent historically low global tropical cyclone activity, Geophysical Research letters, 38, 2011
15 Knutson et al, Tropical cyclones and climate change assessment; Detection and attribution, Bulletin of American Meteorological Society, Octobre 2019
16 Emanuel K., Thermodynamic control of hurricane intensity, Nature, 401, 1999. Cet indice définit le carré du maximum de la vitesse du cyclone.
17 Deux autres indices rendent mieux compte des dommages que le cyclone peut engendrer sur son passage. L'un mesure le cube de la vitesse du vent tout au long de la vie du cyclone (Emanuel (2005), et l'autre mesure l'énergie accumulée par le cyclone (Bell et al, 2000)
18 Voir la Faq sur le site du "Club des Argonautes": http://www.clubdesargonautes.org/faq/modèles-numériques-météo-climat.php
19 Vecchi G. A. et al, Impact of atmospheric temperature trends on tropical cyclone activity. Journal of Climate, 2013
20 Kossin J. P., Validating atmospheric reanalysis data using tropical cyclones as thermometers. Bulletin of American Meteorological Society, 2014
21 Ils ont utilisé une technique basée sur le signal infrarouge mesuré par satellite et qualifiée de "Advanced Dvorak Infrared Technique améliorée"
22 L'imbrication d'un modèle régional dans un MCG est la méthode classique qu'utilisent les centres de prévision météorologique pour fournir aux citoyens des prévisions du temps précises au niveau régional. La NOAA utilise systématiquement un modèle régional, de 18 km de résolution, imbriqué dans un GCM pour la prévision des cyclones. Le Centre Européen CPMMT fait tous les jours une prévision probabiliste à 15 jours d'échéance de l'activité cyclonique avec une résolution de 18 km
23 Voir Note 15
24 Palmer T. and B. Stevens, The scientific challenge of understanding and estimating climate change, PNAS, 2019