Jacques Merle, Bruno Voituriez, Yves Dandonneau, Club des Argonautes - Mars 2013
Introduction
La Terre est notre irremplaçable habitat : on y vit et l’on en vit grâce au climat tempéré dont elle bénéficie. Elle n’est peut-être pas unique dans l’univers, mais elle est certainement rare.
La comparaison avec les planètes telluriques voisines mais climatiquement si différentes est éloquente : à la surface de Venus la température moyenne est de 480°C, sur celle de Mars elle est de -63°C.
Entre les deux, l’éden terrestre avec une température moyenne de 15°C où la vie et l’homme peuvent s’épanouir jusqu’à ce que, peut-être, quelque météorite ou un activisme volcanique forcené ne provoque une de ces extinctions qui ponctuent l’évolution du monde vivant et lui ouvre de nouveaux horizons évolutifs. A moins que l’homme lui-même, sans attendre une telle échéance, ne se mette lui-même en grande difficulté en provoquant un changement climatique auquel il aurait du mal à s’adapter. Là est maintenant la question.
Jusqu’à il n’y a guère, le climat n’était pas un problème pour l’homme, c’était une donnée que l’on pouvait caractériser en un lieu par le cycle répétitif rassurant des saisons, signature des mouvements de la Terre autour du soleil.
La «climatologie» était une tentative de mise en ordre de l’«indiscipline» atmosphérique dont on fait l’expérience chaque jour avec les caprices météorologiques.
Ordonnancement spatial : par bande de latitude (d’où le mot climat, venu du mot inclinaison en grec, celle des rayons du soleil qui varie en fonction de la latitude) qui permit par exemple de définir de grandes entités climatiques : climat équatorial, tropical, tempéré, polaire….
Ordonnancement temporel ensuite grâce aux «moyennes» qui fixent des normes rassurantes permettant de définir de manière statistique des climats en dépit du chaos météorologique, ce qui implicitement, comme toute norme, suppose la stabilité.
Un climat est ainsi la moyenne du temps qu’il fait en une région déterminée pendant une période donnée assez longue, généralement 30 ans.
On peut ainsi définir le climat global de la Terre par la température moyenne à sa surface (environ 15°C).
Jusqu’au milieu du XXème siècle, cette science du climat était en fait une géographie de l’atmosphère qui décrivait comment elle est organisée dans l’espace et saisonnièrement dans le temps, sans se soucier de sa variabilité, de sa dynamique. On disposait alors d’atlas précis des entités climatiques à la surface de la terre avec leurs caractéristiques : températures, humidité, précipitations, nébulosité etc.….. Ainsi chacun savait où il habitait et la cause était entendue : l’ordre régnait dans la maison climatique même si les caprices météorologiques à court terme y mettaient de l’animation.
Deux problèmes vont déstabiliser cette perception du climat dans la deuxième moitié du XXème siècle en posant la question de son évolution et de sa prévision.
C’est d’abord, à relativement court terme, la démographie qui soulève le problème des ressources alimentaires que l’accroissement de la demande rend plus dépendantes des fluctuations climatiques et accroît la concurrence économique dans un climat de guerre froide où la prime ira au meilleur prévisionniste.
C’est ensuite la mise en évidence par les scientifiques de la perturbation dite anthropique du système climatique qui se traduit par un réchauffement global rapide de la Terre que l’homme a intérêt à prévoir pour l’anticiper. Ce que l’on appelle le «changement climatique».
Malheureusement la dynamique est au milieu du 20ème siècle un objet scientifique non encore identifié.
Pourquoi cette carence ?
C’est d’abord évidemment parce que les climats de la Terre bien connus, classifiés et réputés stables ne posaient jusque là aucun problème.
Mais c’est aussi parce que le premier souci de la science est de mettre de l’ordre dans les connaissances et les observations : se soucier d’abord de ce qui est pérenne ou qui se répète avant de prêter attention aux dérangeantes perturbations que, souvent, dans un premier temps on négligera. C’est pourtant dans ces perturbations que se niche la dynamique d’un système. En ce qui concerne la Terre cela s’est traduit par un compartimentage disciplinaire assez strict qui avait sa logique et a eu sa fécondité :
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la Terre solide aux géologues,
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l’atmosphère aux météorologues,
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l’océan aux océanographes,
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le monde vivant aux biologistes…..
Chacune de ces grandes disciplines s’est subdivisé en sous-disciplines qui ont créé autant de compartiments. Faute d’un point de vue extérieur global, c’était l’étude de la terre «en morceaux» qui s’imposait : un véritable puzzle.
Or pour comprendre la dynamique du climat, c’est la Terre dans son ensemble et les interactions entre les compartiments qui la composent qu’il faut considérer ; il faut donc rassembler les morceaux. D’où l’obligation pour répondre au problème climatique de faire converger ces disciplines sur ce nouvel objet scientifique «la dynamique du climat».
La logique disciplinaire et la compétition que la programmation scientifique instituait de fait entre les disciplines y faisaient obstacle. Il fallut la prise en compte sociale et politique du problème climatique pour que nationalement et internationalement la science s’organise pour répondre à ce défi.
C’est donc un entrecroisement, une interaction constante entre les logiques scientifiques d’une part et les préoccupations sociales et politiques d’autre part qui ont rendu possible cette émergence de la problématique climatique. Une première dans l’histoire des sciences.
Cette période représente au sens propre un tournant historique pour l’humanité, véritable mutation des rapports de l’homme avec la nature et la planète Terre qui la porte. Elle n’est plus le réservoir immuable de ressources illimitées à la disposition de l’espèce humaine. Espèce humaine qui, se découvrant élément constitutif parmi d’autres du système Terre, doit apprendre à le cogérer pour y vivre dans les meilleurs conditions possibles.
Édition Web : Madeleine Zaharia