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Jacques Merle, Bruno Voituriez, Yves Dandonneau, Club des Argonautes - Décembre 2014

Rodin - Agir ou ne pas agir ?En une dizaine d’années (autour des années 1990) la question climatique est passée d’un domaine scientifique complexe, où convergent plusieurs disciplines des sciences de l’environnement terrestre, au domaine politique, avec des enjeux économiques, sociaux, culturels, voire philosophiques, de dimension planétaire mais contenant aussi les germes d’affrontements géopolitiques possibles, potentiellement violents, notamment entre les pays développés du Nord et les pays pauvres du Sud.

Mais entre la science et la politique, ou entre la connaissance avec ses incertitudes et l’action avec ses impotences, il y a le public, l’opinion publique, sans l’adhésion de laquelle, en démocratie au moins, l’action politique est impossible.

Cette opinion publique est sous la dépendance de différents flux d’information dominés et orchestrés par les médias qui se positionnent entre la quête scientifique de la connaissance, dont ils s’efforcent de suivre les progrès, et ce public citoyen dont l’opinion est guettée avec attention. Mais entre ces trois entités : scientifique, médiatique et publique, les relations sont complexes et des intérêts catégoriels peuvent être divergents, sous le regard embarrassé du politique qui doit décider et agir.

On a perçu clairement ces difficultés en 2010 au cours de l’offensive de «climato-sceptiques» niant la responsabilité de l’homme dans le changement climatique en cours et tentant de mettre à mal le consensus scientifique de la grande majorité des climatologues représentés par le GIEC. La plupart des médias privilégièrent le coté excessif et passionnel de l’affrontement au détriment d’un débat rationnel soumis à la rigueur à laquelle sont habitués les scientifiques.

Une présentation fondée sur des faits scientifiques aurait pu utilement éclairer un public dont l’opinion fut incontestablement troublée par la remise en cause de la quasi évidence scientifique actuelle : nous vivons un changement climatique causé par l’homme. En France, en 2010, la décision avortée de l’institution d’une «Taxe carbone» sur les produits pétroliers, ou plus récemment, en 2014, une «Écotaxe», sont d’autres exemples des difficultés qu’éprouvent les instances politiques pour prendre des mesures mal comprises des citoyens.

1- De la connaissance à l’action : faire savoir, convaincre, décider

1-1 Retour sur le GIEC et son histoire

Le GIEC ( Voir Chapitre XII) a très tôt dû s’adapter et composer avec la dimension politique de la question climatique, comme on l’a vu précédemment. C’est ce qui explique son évolution au cours de ses vingt premières années d’existence (jusqu’en 2010).

Dès son origine le GIEC, soucieux de ne pas interférer avec les politiques, a dû se recentrer sur l’expertise scientifique dont il a implicitement assuré le leadership en la déclinant en trois volets distincts représentés par 3 groupes de travail :

  • GT I (bases physiques),

  • GT II (impact, vulnérabilité et atténuation)

  • et GT III (adaptation).

C’est principalement le groupe I sur les bases physiques du climat qui, au début au moins, l’a fait connaître et a assuré sa légitimité, les groupes II et III étant plus fréquemment contestés bien que moins connus du public.

Cette contestation s’est manifestée très tôt. C’est ainsi que dès 1989 le GIEC a dû faire face aux revendications des pays du Sud qui refusèrent la vision globale centrée sur le concept d’atténuation impliquant un effort commun mondial pour réduire les émissions de GES. Ils opposèrent à cette atténuation une stratégie d’adaptation, plus favorable à leur situation de «pays en développement», car elle ne les obligeait pas à des mesures susceptibles de freiner leur développement.
En fait tout au long de la décennie 1990, c’est le souci de promouvoir des mesures destinées à l’atténuation qui a prévalu, d’ailleurs déjà inclus dans la CCNUCC, adoptée à Rio en 1992. Cette convention stipulait, dans son article 2, que son objectif ultime était de :

«stabiliser… les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique…».

C’est cet objectif et les modalités de son application qui sont âprement discutés depuis plus de vingt ans dans les réunions des COP  auxquelles le GIEC apporte son expertise. Ce fut notamment le cas lors de la COP 3 qui élabora le protocole de Kyoto en décembre 1997. Et ce fut encore le cas des débats de la COP 15 à Copenhague en 2009 ainsi que les suivantes, COP 16 à Cancun en 2010, et COP 17 à Durban en 2011 pour définir la suite du protocole de Kyoto au-delà de 2012 (voir Chapitre XII ) et préparer la COP 21 qui se tiendra à Paris en novembre-décembre 2015. Elle devrait déboucher sur un nouvel accord international contraignant une grande majorité des nations à limiter leurs émissions en GES avec des objectifs précis.
Cependant pour les pays du Sud, l’enjeu principal reste le développement, et dans l’opposition environnement-développement, l’environnement reste une préoccupation secondaire pour eux. Ils cherchent cependant à tirer partie de la priorité que les pays développés accordent de plus en plus à l’environnement et au climat pour obtenir d’eux des soutiens financiers sensés leur permettre de supporter ces contraintes environnementales ; mais ils refusent des engagements précis et le contrôle tatillon que les donateurs veulent leur imposer. C’est là que se situe actuellement un nœud de tensions très fortes au cœur du débat politique entre le Nord et le Sud. La question climatique a ramené les pays du Sud sur le devant de la scène politique internationale comme cela ne l’avait plus été depuis la décolonisation après la deuxième guerre mondiale.

1 - 2 Priorité à l’atténuation ou à l’adaptation ?

Les pays du Sud privilégient l’adaptation et demandent avec insistance au Nord de leur transférer les moyens technologiques et financiers nécessaires à cette adaptation de leurs économies au changement climatique, insistant sur la responsabilité du Nord dans cette perturbation de l’environnement terrestre causée par sa surconsommation d’énergies fossiles liées au carbone. Ainsi des groupes de pays particuliers servent d’emblèmes pour promouvoir l’adaptation. C’est le cas des petits pays insulaires - 42 pays regroupés dans une organisation très influente aux Nations Unies : «Alliance Of Small Islands States – AOSIS», composée principalement d’atolls de quelques mètres d’altitude menacés de disparition par la montée générale du niveau de l’océan.

Ces nations se déclarent les premières victimes non coupables du changement climatique, et demandent que les moyens de leur adaptation :

  • digues,

  • habitats en dur,

  • protection et gestion de l’eau douce et des déchets,

  • aménagement des sols…

leur soient fournis immédiatement sinon leur disparition de la carte du monde en tant qu’États souverains serait inéluctable avant le milieu du XXIème siècle.

De même plutôt qu’invoquer en priorité le taux de CO2 dans l’atmosphère et le contrôle de ses émissions, des pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil, proposent également d’aborder prioritairement le problème climatique par le biais de l’adaptation.
Curieusement ce sont les États Unis qui, à la suite de l’élection de George W. Bush refusant toujours de ratifier le protocole de Kyoto, apportèrent leur soutien aux pays du Sud au cours de la COP 8 de New Delhi en 2002 privilégiant ainsi l’adaptation et la réduction de la vulnérabilité à la réduction des émissions. Ainsi à partir de la décennie 2000 le thème de l’adaptation est monté en puissance et a été finalement reconnu comme une priorité au même titre que la réduction des émissions. L’Europe, toujours favorable aux objectifs de réduction des émissions, a été contrainte d’accepter que l’adaptation devienne aussi un thème prioritaire. Dès lors, pour le GIEC, les groupes de travail II et III, qui avaient été un peu marginalisés et dont la légitimité même au sein du GIEC avait parfois été contestée, notamment par les États Unis, se sont trouvés renforcés par le soutien des pays du Sud qui en compensation obtinrent d’être présents dans chacun des groupes de travail. Ces instances furent donc systématiquement coprésidées à partir de 2002 par un représentant issu des pays développés et un représentant issu des pays en développement.

1 - 3 Du débat scientifique à l’expertise et au politique

L’expertise scientifique est l’expression de l’état des connaissances d'un domaine scientifique donné et à un moment donné. Elle procède de l’analyse de la littérature scientifique la plus exhaustive possible pour en extraire ce que l’on connaît avec certitude, ou seulement partiellement et ce que l’on ignore encore. Elle est pratiquée par des «experts» qui le sont à un double titre :

  • par leurs compétences scientifiques en leur qualité d’acteurs de la recherche sur le sujet traité

  • et aussi par leur aptitude à analyser et à synthétiser l’ensemble des travaux qui relèvent du sujet à expertiser.

Les experts du GIEC possèdent cette double qualification. Ils sont choisis pour leur excellence et leur notoriété confirmée par leurs pairs, mais également pour leur capacité à synthétiser l’information la plus précise et la plus complète possible sur l’état des connaissances qui émergent de l’ensemble des publications scientifiques disponibles. Une des règles propres aux expertises du GIEC est aussi qu’elles doivent aboutir à un consensus de l’ensemble des experts et des représentants nationaux qui les accompagnent avant d’être soumises aux étapes ultérieures plus proches de l’étage politique.
Cette recherche du consensus est parfois longue et difficile et nécessite un débat scientifique qui peut être vif sur des questions où la communauté scientifique est divisée ou exprime des doutes sur la pertinence de certaines théories ou de certains concepts.

Un exemple en a été donné dans le domaine du climat par les prises de positions d’un météorologue américain, professeur au MIT, Richard Lindzen, très connu et très respecté par ses pairs dans son domaine, qui réfuta longtemps l’affirmation d’une majorité de climatologues déclarant que l’on était presque sûr (à 95%) que les émissions de GES produite par l’activité humaine étaient la cause du réchauffement climatique constaté.

Pour Lindzen la méconnaissance de l’évolution de la teneur en vapeur d’eau de l’atmosphère, principal GES naturel, ne permettait pas d’exclure que d’autres phénomènes encore incompris, impliquant, entre autre, le cycle de l’eau et la formation des nuages, pouvaient être à l’origine de ce réchauffement. Ces désaccords furent débattus en profondeur par les experts du groupe I du GIEC, ce qui fit avancer la connaissance et au final contribua à affiner la teneur de l’expertise. C’est ce que des historiens des sciences appellent : la «pratique réflexive de l’expertise». Autrement dit, l’expertise fait aussi avancer la connaissance à travers un débat scientifique approfondissant les données scientifiques initiales.
On s’éloigne ainsi de l’intuition commune d’une relation graduée entre science à la base, puis expertise et politique. Cette vision d’un ordonnancement linéaire des étapes à franchir, s’appuyant en premier sur un socle solide de connaissances à travers des expertises soigneusement argumentées pour en extraire enfin des propositions d’actions claires offertes aux «décideurs», fait de ce socle scientifique une boîte noire qui ne peut être remise en cause et sur lequel sont construits les étages supérieurs, économiques, sociétaux, politiques, conduisant à des accords internationaux.

Mais réduire ainsi la science à un domaine clos entre les mains d’un petit nombre de spécialistes suscite de multiples réactions de défiance :

  • défiance d’une moitié de l’humanité - les pays du Sud - qui ne possèdent pas les moyens de participer concrètement à cette avancée des connaissances ;

  • défiance aussi des politiques en général qui acceptent mal la «dictature» de la science lorsque leurs modes d’action sont en jeu et qui tentent alors d’imposer la primauté du politique.

C’est ainsi que des instances nouvelles comme le CIN et le SBSTA (présentées antérieurement Chapitre XII) ont été créées pour redonner la main aux politiques.

C’est ce qui a fait dire à l'historienne des sciences Amy Dahan Dalmedico :

«Chaque fois qu’une instance se purifie d’un point de vue scientifique et cherche à mettre en boîte noire certaines questions scientifiques qui pourraient lui sembler tranchées, se créé à ses cotés une autre instance - un comité, un panel technique, un groupe - qui assume plus explicitement les contradictions avec le politique».
 

De ce fait la relation entre les étages scientifiques et politiques dans les institutions internationales, et nationales, se complexifie et l’on assiste à un foisonnement d’instances intermédiaires, évoqué au chapitre précédant, qui ralentissent la prise de décision, obscurcissent, auprès du public, l’image de ces mécanismes internationaux et génèrent un certain pessimisme sur l’issue finale de ces négociations, sans parler des «climato-sceptiques» dont les affirmations négationnistes trouvent là un terreau favorable à la propagation de leur dissidence.

2- Le rôle de la psychologie dans la perception publique du changement climatique

Les sciences de la communication, et particulièrement la psychologie ont fait d’énormes progrès ces dernières décennies. C’est ainsi qu’un nombre croissant d’études de psychologie se sont données pour objet la question climatique et sa perception par le public.

Article BAMSDeux auteurs américains, Ben Newell et Andrew Pitman, psychologues de formation, ont publié, en 2010, une synthèse de ce domaine à l’intention des lecteurs du Bulletin of American Meteorological Society (BAMS) pour les aider à mieux communiquer leurs résultats auprès du public. Il est en effet surprenant, qu’en dépit de l’évidence, admise par la presque totalité des scientifiques, qu’il existe bien un réchauffement climatique causé par les activités humaines, une fraction importante du public, des journalistes et des politiques puissent encore faire état de leur scepticisme sur ce phénomène. Plus étonnant encore, il semble que ce scepticisme s’est accru à mesure que le niveau de certitude scientifique s’est élevé. C’est ainsi que Newell et Pitman relèvent qu’en 2010 aux États Unis, seulement 57% des américains croyaient à la réalité d’un réchauffement climatique en cours, alors qu’ils étaient plus de 70 % à le penser deux ans plus tôt.

Pourquoi et comment en est on arrivé à ce divorce entre les scientifiques et le public dans la perception du problème climatique ? Certes le changement climatique est d’une grande complexité, avec de multiples paramètres et des inconnues encore nombreuses. De plus un tel domaine de la connaissance touche les sociétés humaines au plus profond de leurs préoccupations à court et long terme avec des incidences lourdes sur la vie quotidienne, l’économie, la politique, la géopolitique, ce qui rapproche ces questions du champ émotionnel.

Cependant on peut aussi s’interroger sur la façon dont les scientifiques eux-mêmes tentent de transmettre leur message à ce public. Pour eux qui sont généralement peu ou mal préparés à communiquer au-delà de leur cercle scientifique et de leur domaine de compétence, exposer de façon convaincante au grand public leur savoir sur un sujet aussi étendu et complexe est un exercice difficile. C’est pour pallier ces difficultés que Newell et Pitman ont fait en 2010 une analyse des études récentes qui font appel aux progrès de la psychologie dans la vulgarisation des sciences.

S’étant penchés plus particulièrement sur la perception de la science du climat par le public, ils la rattachent à quatre questions :

  1. Á partir de quels concepts, ou fractions d’informations, sur le réchauffement climatique, le public se forge-t-il une opinion ? (Sampling issue)

  2. Comment la présentation des données du réchauffement climatique influe-t-elle sur la perception que le public en a ? (Framing issue)

  3. Comment la compréhension de l’exposé du problème du réchauffement climatique s’intègre-t-elle dans le «modèle mental» simplifié que chaque personne, non spécialiste, en a ? (Understanding issue)

  4. Comment la dynamique scientifique interne et la recherche d’un consensus peut affecter la formulation du message sur le réchauffement climatique auprès du public ? (Consensus building issue)

2-1 Á quels concept climatique le public se rattache-t-il ?

Les auteurs précités identifient deux concepts qui font débat et auxquels se rattache préférentiellement une partie du public :

  • Temps et climat est-ce- la même chose ?

  • et y a-t-il vraiment un réchauffement du climat ?

Pour le premier point, l’évidente réponse négative des familiers du domaine climatique n’est pas aussi facilement tranchée pour tout le monde, même pour des scientifiques lorsqu’ils sont étrangers au domaine climatique ! A fortiori pour une majorité du public la confusion entre météorologie et climat est fréquente. Le climat est perçu comme une extension dans le temps de la météorologie et sa prévision comme une prévision météorologique à très long terme. D’où l’objection fréquente de sceptiques déclarant que l’on ne peut pas faire sérieusement une prévision climatique à l’échéance de plusieurs décennies voire jusqu’à la fin du siècle alors qu’il est impossible de faire une prévision météorologique au-delà de deux semaines, l’atmosphère étant un système physique chaotique. Pour redresser ces erreurs d’appréciation il est nécessaire de définir précisément ce qu’est le climat et de bien distinguer climat et météorologie.

Le deuxième point relatif à la réalité du réchauffement climatique s’inscrit souvent, dans l’esprit du public, dans le même registre que le précédent. On se réfère mentalement à ses souvenirs personnels : les étés d’autrefois étaient plus chauds que ceux d’aujourd’hui ; l’année dernière il a fait plus froid que d’habitude en hiver, ou encore, depuis dix ans la température semble baisser (ce qui d’ailleurs peut être vrai !). Ainsi, puisqu’on ne le perçoit pas, il n’y a pas de réchauffement du climat ! Cette conclusion erronée peut être corrigée par une représentation de la réalité du réchauffement qui passe par une détermination précise de la température moyenne de la Terre obtenue à partir de stations de mesures inégalement réparties dans l’espace mais traitées par des méthodes statistiques rigoureuses. Cette température moyenne peut osciller dans le temps d’années en années, voire de décennies en décennies sans que la tendance au réchauffement à l’échelle du siècle puisse être contestée.

2-2 L’importance de la présentation des données

C’est ce que les Anglo-saxons désignent par le terme de «Framing» qui décrit la façon de présenter les faits et les données dans l’exposition d’un sujet, d’un résultat, d’une théorie, ici du réchauffement climatique, pour susciter la compréhension et l’adhésion du public.

Plusieurs paramètres psychologiques peuvent entrer en jeu :

  1. L’influence des nombres et des unités utilisées pour exprimer une donnée. Ainsi utiliser l’expression «Il se produit tel ou tel événement tous les 100 ans» sera plus frappant que de dire que cet événement a 1% de chance, ou une probabilité de 0,01 de se produire cette année.
     

  2. La plus ou moins grande charge émotionnelle du sujet traité influence aussi considérablement sa perception. La question climatique est hautement émotionnelle pour la majorité des individus, aussi l’opinion qu’ils peuvent en avoir est fortement influencée par ce contexte émotionnel chaud qui prévaut sur la «froide» expositions des faits et des chiffres. Il faut tenir compte de ce paramètre émotionnel.
     

  3. La dissymétrie de perception entre événements proches ou lointains.  La tendance à accorder beaucoup plus d’importance à l’occurrence d’événements possibles proches qu’à des événements probables, et même presque certains, mais dans un futur lointain, est une donnée de la psychologie. Cette réaction différenciée tient au fait que les événements lointains et les événements proches relèvent de constructions mentales différentes. Un événement prévu dans un futur lointain, comme l’élévation du niveau de la mer d’un mètre dans 50 ans, appartient au domaine de l’abstraction et/ou de manifestations de la nature qui appartiennent à notre environnement «normal» et auxquelles on est soumis. Au contraire un événement proche possible, comme l’inondation de sa maison par le débordement d’une rivière voisine, fait appel à des représentations mentales concrètes faites de détails désagréables. Dans la présentation de prévisions à l’échelle du siècle, il faudra insister sur les détails, tels qu’on les perçoit aujourd’hui, des désagréments auxquels les générations futures seront presque certainement soumises pour mieux sensibiliser la génération actuelle à ces événements lointains.
     

  4. L’impact psychologique très différent des pertes et des gains. Le plaisir de recevoir une somme d’argent est moins ressenti psychologiquement que la peine de perdre la même somme. Cette asymétrie de la réaction psychologique à la perte et au gain conduit à privilégier une présentation des prévisions climatiques en mettant l’accent sur ce que l’on perdra, et les dégâts auxquels on sera exposé si ces prévisions se réalisent en ne prenant pas aujourd’hui les mesures conservatives nécessaires, plutôt qu’insister sur le gain des générations futures, en terme de conditions climatiques favorables, imputables à la sagesse de notre génération. Cet accent mis sur les aspects négatifs des choses a cependant des limites à ne pas dépasser. Des études récentes ont montré que l’accumulation de perspectives désastreuses, comme peut être traité parfois le futur de notre environnement par certains écologistes, peut conduire à une forme de saturation qui se traduit par un désengagement des individus qui se disent : «Á quoi bon !» et prennent leur distance vis-à-vis du problème se laissant porter par des sentiments de fatalisme proche de l’apathie.

2-3 Le rôle du «modèle mental» individuel

Un «modèle mental», est une représentation intérieure personnelle que l’on se fait d’un sujet à travers l’ensemble des informations partielles ou des croyances qu’on en a et qui nous aide à comprendre et à prendre des décisions. Le réchauffement climatique est une question complexe qui rend difficile pour chacun la formulation de modèles mentaux appropriés susceptibles de rendre compte correctement de la réalité quel que soit notre niveau de connaissance (un seuil minimal est cependant nécessaire). Si un modèle mental peut faciliter la compréhension de l’exposé plus détaillé du problème climatique, un modèle mental erroné freinera ou interdira cette compréhension et pourra même aller jusqu’à un refus d’entendre les arguments avancés et à une réaction de dénégation hostile comme certains scientifiques en ont fait l’expérience dans des assemblées publiques.
La difficulté de construire un modèle mental correct tient à une caractéristique psychologique propre au comportement humain qui fait que les individus privilégient une stratégie tendant à confirmer plutôt qu’à infirmer leur hypothèse initiale. Ainsi toute information présentée de façon à appeler une réponse négative a moins de chance d’être acceptée par notre esprit pour s’intégrer à notre vision schématique de la réalité que si elle est présentée dans un sens appelant une réponse positive.

Á titre d’exemple et pour illustrer la réalité de ce comportement psychologique appliqué à la question climatique, des tests ont été réalisés par des psychologues sur des groupes équivalents extraits du public américains. Ces tests ont montré que l’affirmation : «L’homme est responsable du réchauffement climatique» recueillait plus de réponses positives que l’affirmation contraire : «La responsabilité de l’homme sur le réchauffement climatique est un mythe» n’en recueillait de négatives. Ceci explique la propension des climato-sceptiques à présenter leurs ouvrages, et leur propos, sous la forme d’affirmations qui appellent plus facilement une confirmation et une adhésion de la part d’un public mal informé.

2-4 La formulation du consensus scientifique et son acceptation par le public

La science n’est pas consensuelle. La méthode scientifique procède au contraire d’une remise en cause permanente des résultats acquis par les pairs pour avancer dans la connaissance, la solidifier et la débarrasser de ses erreurs, des concepts et des théories un moment inappropriées ou fausses, pour purifier son contenu. La question scientifique du réchauffement climatique, on l’a vu, nécessite un consensus minimal pour rassurer les politiques et leur permettre de prendre des décisions en s’appuyant sur un socle d’évidences scientifiques incontestables.

Un tel consensus peut apparaître antinomique avec la méthode scientifique dans sa quête de la vérité scientifique. On a vu aussi avec quelle rigueur les experts du GIEC procèdent pour atteindre ce consensus tout en étant eux-mêmes parfaitement au fait de cette contradiction entre la science qui avance en débattant et l’expression d’un consensus sur ses résultats, car ils sont impliqués dans le débat scientifique à la fois comme professionnels de la science et comme experts chargés de l’élaboration de ce consensus.
Mais le public est en droit de se poser des questions autour de l’expression de ce consensus. En premier il peut s’interroger sur sa validité. Bien que les experts soient de très haut niveau, ils peuvent avoir une vision partielle et biaisée des sujets qu’ils traitent à travers la littérature scientifique qu’ils ont l’habitude de consulter et qui peut influencer leur expertise. Plus insidieux encore est le risque que l’ensemble du groupe d’experts partage cette vision approchée de la connaissance d’un sujet donné. Le consensus est alors rapidement atteint, mais l’absence de contradicteur laisse dans l’ombre certains points dont la discussion aurait permis avantageusement d’approfondir le sujet traité. C’est pour pallier cette faiblesse possible de l’expertise entre les mains d’un groupe d’experts dédiés (GIEC) qu’au cours de l’élaboration des documents qui en rendent compte, elle est largement ouverte, notamment à tous les scientifiques, y compris ceux professant des opinions contraires, et aux organismes de recherche qui auraient des remarques à faire sur un point scientifique particulier.
Au-delà de ces interrogations de la valeur de l’expertise sur le fond et de la solidité du consensus, le public peut aussi être troublé par la façon dont les médias traitent la question du réchauffement climatique. Il n’y a pas de désaccord fondamental au sein de la communauté scientifique internationale sur les bases scientifiques du réchauffement climatique, mais il est toujours possible de trouver une minorité qui défendra des positions contraires ; c’est la règle du jeu du débat scientifique contradictoire.

Fréquemment l’intérêt des médias pour augmenter leur audience est d’organiser des débats bruyants opposant de façon apparemment équilibrée des camps scientifiques favorables et défavorables à la thèse de l’implication humaine dans le réchauffement climatique en cours. Cette présentation à égalité de «pour» et de «contre» favorise les minoritaires et désoriente le public, qui face à ces disputes de scientifiques, soigneusement entretenues, se dit : «Puisque les scientifiques ne sont pas d’accord, j’en pense ce que je veux et pourquoi ferais-je seulement confiance aux opinions officielles - GIEC…- et à la majorité ?» décrédibilisant ainsi la valeur de l’expertise et l’expression du consensus défendu par le GIEC.

3 - Incertitudes, inquiétudes, désarrois

L’avenir du climat de la Terre est encore très imparfaitement dessiné et les prévisions de son évolution demeurent contenues dans une large fourchette de futurs possibles ; des poches d’incertitudes scientifiques demeurent qui parsèment un corpus de connaissances acquis seulement au cours des dernières décennies, et considéré néanmoins comme solide par une majorité de scientifiques, ceux-là même qui œuvrent au sein du GIEC.

Ces scientifiques nous disent que le système climatique constitué de l’atmosphère, des océans, des calottes polaires, des glaciers continentaux, des banquises, des sols, et des êtres vivants, sont des milieux complexes et fragiles qui interagissent en permanence au travers de processus à la fois mécaniques, physiques, chimiques et biologiques pour définir le climat en un lieu donné. Des phénomènes astronomiques faisant varier le flux énergétique solaire reçu par la Terre au sommet de l’atmosphère sont également en jeu faisant alterner aux échelles géologiques des périodes glaciaires et interglaciaires plus chaudes.

Nous sommes actuellement, depuis près de 10 000 ans, dans un interglaciaire prolongé qui a vu l’épanouissement de l’espèce humaine, et qui est caractérisé par sa stabilité, si ce n’est la perturbation anthropique récente. Cette stabilité, marquée par une composition chimique de l’atmosphère variant peu, nous garantit des conditions climatiques au sol relativement clémentes grâce à un effet de serre naturel produit principalement par la vapeur d’eau et le gaz carbonique ainsi que d’autres Gaz à Effet de Serre (GES) contenus dans cette atmosphère. Mais cette stabilité est remise en cause depuis environ deux siècles par l’activité humaine comme en témoigne l’augmentation des températures au sol et dans l’océan, ainsi que les teneurs en CO2 de l’atmosphère qui sont passées d’une enveloppe naturelle d’environ 180 ppm pour les périodes glaciaires et 300 ppm pour les périodes interglaciaires, à plus de 400 ppm aujourd’hui, teneur atteinte en moins de deux siècles et jamais connue auparavant depuis un million d’années !

3 - 1 Un niveau d’incertitudes encore élevé

Les processus physiques, chimiques et biologiques liant la teneur en GES de l’atmosphère à la température moyenne au sol sont maintenant suffisamment bien connus pour être pris en compte dans des modèles numériques susceptibles de simuler l’évolution du climat sous la contrainte des émissions de GES, et autres polluants industriels, associés à l’activité humaine. Ces modèles peuvent être utilisés en mode «diagnostique» pour réaliser des expériences virtuelles et comprendre ainsi des phénomènes géophysiques hors de portée de l’expérimentation pratique, et en mode «prédictif», on dit aussi «prognostique», pour anticiper le futur.

Les modèles de prévision climatiques montrent tous pour la fin du siècle une augmentation de la température moyenne au sol de plus de 2°C et localement, comme dans l’arctique, jusqu’à près de 10°C ! Il existe cependant beaucoup d’incertitudes concernant ces prévisions.

Elles sont de deux ordres:

  • Incertitudes des niveaux d’émission de GES qui dépendent des politiques énergétiques choisies par les États, des accords internationaux consentis et d’une façon générale de la plus ou moins grande sagesse de l’humanité vis-à-vis de ces modèles de développement en relation avec ses sources d’énergie.

  • Incertitudes également des modèles eux-mêmes, toujours imparfaits dans la prise en compte des processus physico-bio-géo-chimiques des milieux en cause et de leurs interactions extrêmement complexes.

La somme de ces incertitudes qui affectent dans un rapport de 1 à 3 l’amplitude des prévisions d’évolution des principaux paramètres climatiques, température, précipitations, élévation du niveau moyen des océans, à l’échelle de la fin du XXIème siècle, alimentent les polémiques déclenchées par une frange de climato-sceptiques, mais surtout freinent la perception par l’opinion publique et ses représentants politiques de l’urgence climatique.

Cette question des rapports entre la science et sa perception par le public est cruciale car elle conditionne sa prise en charge par les politiques. On a vu au chapitre précédent le poids de la psychologie dans cette relation, mais il existe aussi des ressorts encore plus complexes inhérents à la nature humaine qui ont récemment fait l’objet d’études approfondies par des philosophes qui s’interrogent sur le comportement humain face aux catastrophes.

3-2 L’incapacité de l’action

Les incertitudes et les intérêts corporatistes de quelques groupes de scientifiques qui alimente le climatoscepticisme ne sont pas les seules explications possibles de l’inaction ou de la confusion actuelles qui frappent gouvernements et citoyens face au péril climatique.

Depuis presque 30 ans les scientifiques savent qu’il y a péril et en ont informé les politiques. Les risques sont connus mais on ne fait rien ou presque, ni au niveau national, ni au niveau international, comme en attestent les échecs successifs des conférences internationales (COP) sur le sujet depuis la mise en pratique du premier et seul traité international destiné à encadrer les émissions de  GES anthropiques des pays développés : le «protocole de Kyoto» aux ambitions pourtant limitées et n’impliquant que moins du quart de l’humanité. Ce traité est devenu caduque à la fin de l’année 2012 et il n’a pas été pleinement respecté, mais toutes les discussions pour le prolonger ou le remplacer ont échoué suscitant un certain désarroi de l’opinion publique évoqué plus loin. Pourquoi cette impuissance et ces échecs face à un péril donné comme quasi certain et seulement tempéré par des incertitudes résiduelles sur son ampleur et son calendrier (fin XXIème siècle et après …) ?
Des philosophes se sont penchés sur cette question et ont analysé ce qu’ils considèrent comme un paradoxe qui tient de l’irrationnel.

Jean Pierre Dupuy résume cette pensée en une phrase :

«Ce qui bloque l’action ce n’est pas l’incertitude mais l’impossibilité de croire que le pire va arriver … Même lorsqu’ils sont informés, les peuples et leurs gouvernements ne croient pas ce qu’ils savent».

Pour un catastrophisme éclairé Il faut expliquer cette curieuse contradiction apparente et préciser le sens des mots qui sous-tendent cet argumentaire philosophique. Dupuy nous explique qu’une croyance est un savoir intégré dans une culture, c'est-à-dire dans un amas de croyances préexistantes organisées en un tout cohérent donnant sens à notre existence et à nos actions. La connaissance est une croyance justifiée et considérée comme vraie. Un savoir nouveau peut déranger des croyances antérieures et être rejeté, il ne s’intègre alors plus dans la connaissance.

Ainsi, à titre d’exemple, on sait que le mode de développement actuel épuise les ressources naturelles, nous inonde de déchets et modifie le climat rendant à terme notre planète invivable, mais on a du mal à y croire, en ce sens que nous ne pouvons admettre immédiatement ce savoir qui remet en cause la conception du progrès et du développement perpétuel qui a été notre terreau intellectuel et culturel depuis l’enfance. Ainsi les savoirs acquis de la science climatique n’ont pas encore atteint les profondeurs de la conscience du public, des citoyens et des politiques pour être rangés au niveau d’une croyance et être ainsi totalement intégrés à la connaissance.

Par ailleurs la croyance est indispensable à l’action.

Jean-Pierre Dupuy écrit encore que

«La croyance est définie comme ce qui, avec les désirs, cause l’action. Si je n’agis pas en fonction d’une croyance. c’est  que je n’ai pas cette croyance».

Ainsi l’action est paralysée si on ne croit pas à la catastrophe avant qu’elle ne se soit produite, ce qui explique que nos sociétés et nos politiques se montrent incapables de prendre des mesures fortes face au péril climatique. Bien qu’ils aient connaissance de ce péril, ils ne peuvent y croire tant qu’une catastrophe ne l’aura pas rendu crédible ; cet état de fait nous condamne à une catastrophe inévitable puisque presque rien ne sera fait pour l’éviter tout en la sachant quasi certaine.

On touche ici à un paradoxe fondamental de la question climatique ; il rejoint une autre curieuse contradiction apparaissant également fréquemment dans le fonctionnement de nos sociétés : le principe de précaution que les gouvernements invoquent à tous propos pour se protéger d’éventuelles catastrophes n’a plus de raison d’être si on est incapable en amont de prendre des mesures de prévention. Que pourraient être des mesures de précaution concernant le réchauffement climatique qui ne s’appuieraient pas sur des mesures de prévention préalables pour contrecarrer ou limiter ce réchauffement ?

3-3 Un certain désarroi

Cette situation, récemment analysée par une nouvelle couche de chercheurs et de penseurs des sciences sociales : philosophes, psychologues, sociologues, économistes, conduit à une prise de conscience des difficultés dans lesquelles se trouvent nos sociétés face au pouvoir croissant de l’homme sur la nature, aux dangers nouveaux qu’il suscite, particulièrement apparents dans la quasi certitude d’un changement climatique à venir lourd de conséquences sociales, économiques et politiques.

On a vu (voir Chapitre XI ) que les conférences internationales destinées à trouver des accords et élaborer des traités comme le «protocole de Kyoto» signé dans les années 1990 tendant à limiter les émissions de GES pour atténuer le changement climatique ou à prendre des mesures pour s’adapter à ce changement, instillait un clivage parmi les nations développées, émergentes, ou en voie de développement.

Les uns, principalement les européens avec d’autres pays développés, veulent privilégier les mesures d’atténuation par une politique énergique et contraignante de baisse des émissions, applicable à tous les pays du monde, qu’ils possèdent des économies développées ou pas.

Les autres, les pays en développement, soucieux de préserver leurs capacités de développement sans contraintes environnementales excessives, privilégient au contraire les mesures d’adaptation dont ils demandent le financement aux pays riches.

Cette première ligne de fracture au sein de la communauté internationale, mais il y en eu beaucoup d’autres, a donné lieu à de nombreux et houleux débats entre les représentants de ces pays aux intérêts opposés. On a rapporté partiellement ces débats dans les sous-chapitres rendant compte des réunions annuelles des « Conference Of the Parties – COP » (voir Chapitre XI).
Ces affrontements ont assombri l’atmosphère de ces grands rassemblements associant, parmi des milliers de participants, des personnalités aussi diverses que des représentants politiques nationaux avec leurs fonctionnaires, des scientifiques, des ONG, des associations diverses aux objectifs parfois obscurs, des journalistes, voire… des organisations religieuses….

Les plus «bruyantes» de ces conférences, qui laissèrent parfois un souvenir peu favorable aux participants et aux médias, contribuèrent à diffuser un certain malaise dans l’opinion internationale et suscitèrent une forme de désarroi de cette opinion. Les conférences les plus significatives à cet égard, mais il y en eu d’autres, furent la COP 12 qui se tint à Nairobi en novembre 2006 et la COP 15 qui se tint à Copenhague en décembre 2009 (voir Chapitre XI).

La conférence de Nairobi, aux résultats très … légers, fut marquée par des communiqués de presse très critiques à l’égard de certains congressistes, qualifiés de «touristes climatiques», plus pressés de visiter le pays que de faire avancer les objectifs de la conférence. Des photographies à la une des journaux locaux montraient des centaines de congressistes, aux indemnités de mission confortables pour un pays pauvre, s’égaillant dans les parcs animaliers du Kenya, ayant déserté leurs salles de réunion.

La conférence de Copenhague qui avait suscité beaucoup d’espoirs pour donner enfin une suite au protocole de Kyoto se solda aussi par un grand désappointement et elle frisa le chaos. Elle devait se clôturer par l’intervention de chefs d’États des principaux pays en présence qui étaient sensés signer des accords instituant un nouveau protocole faisant suite à celui de Kyoto. Á la fin normale de la conférence et avant l’arrivée des chefs d’États aucun texte n’avait réussi à rassembler un accord même seulement majoritaire. La confusion était totale, des délégués quittaient en masse les salles de réunions pour prendre leurs avions. L’échec à la face du monde devant les plus hauts dirigeants de la planète allait devenir criant lorsqu’une prolongation de séance avec les participants encore présents permit d’atteindre in extremis un accord a minima sur un texte qui était une simple déclaration d’intention.
On avait sauvé l’essentiel : le rituel des rencontres internationales annuelles pour donner une suite au seul accord existant, le protocole de Kyoto, n’était pas arrêté ni remis en cause. Néanmoins l’échec était patent, on n’avait pas de perspective, ni de calendrier, pour tracer une feuille de route possible conduisant à un nouvel accord, plus contraignant juridiquement, sur les émissions de GES à ne pas dépasser pour maintenir le réchauffement en deçà du seuil de 2°C d’ici la fin du XXIème siècle. Cet échec de la conférence de Copenhague, dont on attendait beaucoup, fut douloureux et eu un retentissement considérable dans les médias et l’opinion publique contribuant à une inquiétude généralisée confinant parfois au désarroi. L’humanité prenait conscience qu’un seuil avait été franchi dans les rapports entre l’homme et la nature et que des modes de développement nouveaux plus respectueux de celle-ci devraient être recherchés rapidement sans attendre qu’une catastrophe climatique ait rendu crédible une détérioration irréversible de notre environnement pour légitimer enfin des actions vigoureuses de prévention.

4- L’avenir de l’humanité est-il en jeu ?

La conquête spatiale et la possibilité d’embrasser d’un seul coup d’œil la rotondité de la planète nous a fait prendre conscience de sa finitude et de sa fragilité, suscitant un certain pessimisme sur la responsabilité de l’homme et l’avenir même de notre espèce.

L'enfermement planétaireUn ancien directeur du CNES et de Météo-France, André Lebeau, était bien placé pour être frappé par ce sentiment et percevoir la condition nouvelle de l’homme, «enfermé planétaire» sur une sphère aux ressources limitées et perdue dans l’espace. André Lebeau tente de prévoir rationnellement, à la lumière des connaissances scientifiques actuelles et au-delà de considérations éthiques, philosophiques ou religieuses, les différentes voies que peut prendre l’évolution de notre espèce face au défi de la «finitude» de son environnement terrestre et de ses ressources. Il passe en revue les issues possibles et conclut de façon assez pessimiste que l’explosion démographique prévue pour la fin du siècle, ajoutée au défi du changement climatique, mettra l’humanité dans une situation très difficile. Il ajoute que nous ne devons pas nous laisser aller au rêve optimiste infondé consistant à penser que «la technologie fournira des solutions». Certes, l’espèce humaine s’est construite sur la création des outils et sur la technologie, mais la technologie conduit maintenant à épuiser les ressources naturelles de la planète nous obligeant à changer de mode de développement pour gérer une pénurie à partager entre une multitude croissante.
Ces considérations sur l’emprise de plus en plus prégnante de l’humain sur la nature conduisent des penseurs à suggérer que l’avenir de l’humanité est en jeu en ce moment même et que nous assistons à un tournant sans précédent de sa relation avec la nature et l’environnement pouvant conduire prochainement, pour les plus pessimistes, à sa disparition. Certains comme le prix Nobel Paul Crutzen voient dans les changements brutaux que l’homme imprime à la Terre depuis environ deux siècles, tels que la modification de la composition chimique de son atmosphère, l’acidification de ses océans ou encore l’extinction massive d’espèces vivantes, les manifestations d’une nouvelle force géophysique, l’homme, susceptible de modifier à jamais la géologie terrestre.

Voyage dans l'anthropocène Nous pensions vivre encore dans l’holocène nous dit Paul Crutzen, cette ère géologique qui a débuté à la fin du dernier épisode glaciaire il y a environ 10 000 ans, et qui est caractérisée par une température stable et clémente propice à la socialisation de l’espèce humaine. Mais nous venons seulement très récemment de prendre conscience que cette espèce très particulière contient en germe des forces susceptibles de modifier les caractéristiques de cet holocène qui a vu son émergence et d’engendrer ainsi une nouvelle ère que Crutzen a appelée l’anthropocène. Ce nouvel étage géologique n’existe pas seulement dans le cerveau inventif du prix Nobel de chimie. Son début et son origine ont été datés très précisément par les experts en histoire des sciences. C’est la construction de la première locomotive à vapeur en 1784 qui marque pour la première fois la capacité d’une espèce vivante, l’homme, d’extraire de l’énergie des entrailles de la Terre, bois, charbon, pétrole pour la transformer en force mécanique se substituant ainsi à la force humaine et animale domestiquée depuis des millénaires. Les géologues en charge de la mise à jour de l’échelle stratigraphique des temps géologiques qui divisent l’histoire de la Terre en ères et en étages, prennent très au sérieux la proposition de Paul Crutzen, relayée maintenant par de nombreux scientifiques des sciences de la Terre. Ils envisagent sérieusement de faire officialiser la création de cette nouvelle ère géologique par l’ «Union Internationale des Sciences Géologiques».
Ainsi la question du réchauffement climatique d’origine humaine, induit par une surconsommation d’énergies non renouvelables enfouie depuis des millions d’années au fond des océans et des lagunes terrestres, pourrait conduire l’humanité à repenser ses modes de développement. Ils ne pourraient plus être fondés sur la consommation à outrance qui conduit à l’accumulation de déchets et de nuisances diverses tout en épuisant les ressources naturelles disponibles, mais, si on est optimiste, reposeraient sur de nouveaux concepts encore à inventer mais dont on perçoit les prémices qui émergent du brouillard des utopies pour entrer dans l’économie réelle. L’anthropocène aurait alors trouvé, ou retrouvé, en l’homme son espèce vivante dominante, comme les dinosaures le furent au Jurassique. Mais aucune autre espèce vivante avant la notre n’a eu la perspective de devenir à la fois dépendante et maîtresse de son propre environnement climatique.

Références :

Amy Dahan Dalmedico dans «Les modèles du futur – 2007 – Éditeur La découverte»

Ben R. Newell and Andew J. Pitman. The psychology of global warming. Improving the fit between the science and the message. BAMS August 2010.

Jean-Pierre Dupuy, philosophe, professeur à l’école polytechnique et à l’Université de Standford, dans : «Climat une planète et des hommes» - édition du Cherche Midi - 2011, et «Pour un catastrophisme éclairé» - édition du Seuil - 2004

André Lebeau est l’auteur de « L’engrenage de la technique, essai sur une menace planétaire – Galimard 2005 » et de «l’enfermement planétaire» – Folio, actuel 2011»

Le glaciologue français Claude Lorius, auteur avec Laurent Carpentier de l’ouvrage « voyage dans l’anthropocène » aux éditions Acts Sud – 2011 - est frappé par la corrélation étroite qu’il a observée entre température et teneur en gaz carbonique (et méthane) de l’atmosphère du dernier million d’années enregistrée dans les carottes de glace prélevées dans la calotte glaciaire de l’Antarctique et l’augmentation rapide actuelle de la teneur en gaz carbonique bien au-delà des valeurs observées au cours des périodes interglaciaires chaudes du passé ; il est lui aussi convaincu que l’humanité est entrée dans une nouvelle ère géologique, l’anthropocène.

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