Convergences et divergences avec l'IPCC (GIEC)
Michel Petit
Avant-propos
L’IPBES (Intergovernmental science-policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, traduit en français par Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) a été formellement mis en place, lors d’une assemblée plénière ad-hoc qui s’est tenue à Panama du 16 au 21 avril 2012, sous l’égide du PNUE.
Sa première assemblée plénière se tiendra du 21 au 26 janvier 2013 en Allemagne à Bonn où la réunion de Panama a décidé que son secrétariat serait installé.
Cette assemblée a pour objet :
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de décider de la manière dont l’IPBES sera rattaché au système des Nations Unies,
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de préciser ses procédures de fonctionnement et de choisir les membres de son bureau.
La similitude du sigle IPBES avec celui de l’IPCC n’est pas due au hasard et il est utile de faire une comparaison entre les deux organismes.
Introduction
L’IPCC fait le point des connaissances :
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sur la science du climat,
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sur les conséquences du changement climatique et les mesures d’adaptation possibles à ce changement
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et enfin sur les possibilités d’en maîtriser l’amplitude.
Ses rapports font autorité sur le plan international, en dépit des campagnes de dénigrement exploitant deux erreurs de détail reconnues et corrigées sans que cela ait entraîné la moindre modification des conclusions générales.
Il était donc naturel d’envisager de créer un organisme analogue pour la biodiversité, pour lequel un sigle voisin a été choisi : IPBES.
Toutefois, dans le nom développé "Intergovernmenal Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystems Services", on notera le remplacement de «Panel» par «Science-Policy Platform» qui amène à se poser la question des convergences et des divergences entre les deux structures.
Dans l’ensemble de ce texte, on utilisera les sigles anglais pour éviter les querelles de traduction et ne pas perdre de vue les similitudes voulues.
La genèse de l’IPCC et de l’IPBES
L’IPCC a été créé en 1988, quatre ans avant la Convention de Rio sur le climat dont la rédaction a bénéficié de son premier rapport publié en 1990.
Par contre, l’IPBES a été mûri bien après l'établissement de la Convention sur la Diversité Biologique également à Rio en 1992.
Les promoteurs de l’IPCC ont été des scientifiques au premier rang desquels figure son premier président Bert Bolin. Leur objectif était de mettre à la disposition des décideurs des documents rédigés de façon à leur en faciliter la compréhension et à rendre compte rigoureusement de l’état des connaissances scientifiques et des marges d’erreur dont elles peuvent être entachées. Ces documents devaient être rédigés par des chercheurs à la pointe du domaine et faire état de tous les travaux publiés sur le sujet traité.
Il en va différemment pour l’IPBES. Le projet initial formulé par des scientifiques reconnus comme Michel Loreau et Harold Mooney avait les mêmes objectifs que l’IPCC.
Pour reprendre une citation d’un article de Anne Larigauderie and Harold A. Mooney retraçant l’histoire de l’IPBES,
“…not only more science but also more relevant scientific information, and a more structured dialog between the scientists and policy makers are needed to trigger societal responses and inform decision making. Accordingly, the vision for IPBES is that of a mechanism, which would provide on a regular basis, global and regional trends in biodiversity and associated ecosystem services, analyse their causes, and explore possible future changes, in order to inform decision making.”
La différence avec l’IPCC repose sur l’existence préalable de la Convention sur la biodiversité et de sa conférence des parties qui était un organisme incontournable pour la création de l’IPBES.
Le projet initial a donc été remodelé par les réflexions des diverses parties prenantes dans les réunions de cette conférence des parties, c’est-à-dire des gouvernements qui décident et aussi des ONG militantes ou scientifiques et des chercheurs qui participent aux événements annexes à la réunion officielle ainsi qu'à l'UNEP (PNUE) qui accueille pour l'instant et de manière intérimaire la consultation IPBES. La volonté d’associer une palette d’acteurs au fonctionnement de l’IPBES est très probablement à l’origine du choix du terme "science-policy platform". La mention explicite des services des écosystèmes, suite à la publication de l'évaluation des écosystèmes du Millénaire (Millennium Ecosystem Assessment, 2005), souligne l’importance de ces services.
Les règles qui ont joué un rôle essentiel dans le succès de l’IPCC sont :
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l’interdiction de toute recommandation politique,
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l’obligation de rendre compte objectivement de tous les points de vue exprimés dans la littérature scientifique
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et l’équilibre qu’il a réussi à conserver entre les gouvernements et les scientifiques.
Au moment où l’IPBES va se concrétiser, il convient d’examiner dans quelle mesure ces règles peuvent être suivies par l’IPBES et comment ses structures permettront d’en assurer l’observance, à tout le moins pour ce qui est de l’évaluation de l’état des connaissances scientifiques.
La neutralité vis-à-vis des décisions politiques
Dans le cas de l’IPCC, la question de la neutralité politique se pose peu pour ce qui est de la science du changement climatique :
les modèles climatiques sur ordinateur sont des créations d’une planète numérique dont le comportement est dicté par les lois de la mécanique des fluides. Ces modèles sont semblables à ceux qui simulent le comportement d’un avion avant qu’il n’ait été construit, leur validité est vérifiée en confrontant leurs résultats aux observations du climat réel. La politique survient au niveau des mesures d’adaptation au changement climatique et plus encore à celui des mesures propres à limiter l’ampleur de ce dernier. La neutralité vis-à-vis des décisions politiques est assurée par l’exposé des bénéfices et des inconvénients des mesures envisagées, sans expression d’une préférence. C’est ainsi que, contrairement à une opinion largement répandue, l’IPCC a toujours refusé, malgré les invitations répétées des politiques, de faire une recommandation quant à la valeur de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre qu’il convient de ne pas dépasser. Il s’est limité à donner pour chaque plafond de concentration envisageable la fourchette des températures auxquelles on peut s’attendre et les évolutions futures des émissions qui permettent de l’atteindre.
La situation est plus complexe pour l’IPBES.
L'état des connaissances sur les écosystèmes, et la complexité intrinsèque de ces derniers, sont loin de permettre d'envisager la création d'une planète numérique simulant à partir de lois connues l'évolution de la biodiversité. Les problèmes de biodiversité comportent généralement des spécificités locales difficiles à cerner. La dimension politique est donc encore plus présente pour les problèmes de biodiversité que pour ceux du climat. Il ne semble pas acquis que les décideurs acceptent que l'IPBES adopte comme règle d'or pour toutes ses activités celle de l'IPCC : "Be policy relevant, never policy prescriptive. Soyez politiquement pertinent, mais jamais politiquement prescriptif"
S’il est normal que les décideurs puissent poser aux scientifiques les questions qui les intéressent, il ne faut pas que les réponses puissent être biaisées par des considérations politiques. Certaines des phrases introduites par ce paragraphe permettent de nourrir des craintes à ce propos.
Il ne semble pas acquis que les décideurs acceptent que l’IPBES adopte comme règle d’or pour toutes ses activités celle de l’IPCC : Be policy relevant, never policy prescriptive.
La répartition des rôles entre scientifiques et décideurs
Pour que le dialogue science société puisse avoir lieu sur des bases saines, il faut que la distribution des rôles soit bien précisée et respectée.
Dans le cas de l’IPCC, ce sont les décideurs qui approuvent le plan détaillé des rapports, à partir des propositions des scientifiques.
Les scientifiques ont ensuite carte blanche pour écrire le rapport et exploiter le résultat des deux expertises collectives successives qui permettent des les améliorer. Les gouvernements et les ONG ayant le statut d’observateur interviennent en désignant des experts en lesquels ils ont confiance. En outre, les gouvernements peuvent, en tant que tels, envoyer leurs commentaires scientifiques lors de la deuxième expertise. La plénière du groupe de travail concerné ou de l’ensemble de l’IPCC, où siègent les gouvernements approuve le rapport final. Elle est présidée par les rédacteurs du rapport qui peuvent s’opposer à la prise en compte d’un amendement qui ne serait pas conforme aux résultats scientifiques connus.
Rien ne semble s’opposer à ce qu’une procédure similaire soit utilisée par l’IPBES. Encore faut-il que ses règles de fonctionnement en soient garantes.
Le fonctionnement de l’IPCC et celui de l’IPBES
L’IPCC est organisé en trois groupes de travail (GT) :
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Le GT I analyse les fondements scientifiques des changements climatiques,
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le GT II les conséquences de ces changements, l’adaptation et la vulnérabilité à ces changements
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et enfin le GT III étudie l’atténuation possible de ces changements, qu’on désigne souvent par mitigation.
C’est le Bureau de chacun de ces groupes de travail qui coordonne le travail des rédacteurs du rapport, en s’appuyant sur des unités de support technique placées auprès de celui des deux co-présidents du groupe, qui vient d’un pays développé. Ce pays prend en charge le financement de cette unité, forte de plusieurs chercheurs sous la direction d’un scientifique confirmé. Les unités de support techniques assurent en particulier la récapitulation ligne à ligne des commentaires reçus lors des deux expertises.
Le Bureau de l’IPCC comprend :
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un président dont le rôle est essentiel, en particulier pour présenter les rapports à la Convention des Parties,
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quatre vice-présidents qui ne jouent pas un rôle clef,
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les bureaux des groupes de travail
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et celui d’une «task force» chargée de rédiger les règles permettant d’établir et de comparer les émissions des divers pays.
Les co-présidents des groupes de travail jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’IPCC, en particulier pour présider les plénières de leur groupe qui approuvent leur rapport. Ils ont toujours été choisis sur la base de leur réputation scientifique, au tout premier rang international. Le bureau de l’IPCC, à Genève, s’occupe de questions d’intendance et n’a aucune influence sur le contenu des rapports. Il en va de même pour les organisations parentes, l’OMM et le PNUE.
Les quatre fonctions qui ont été assignées à l’IPBES lors des réunions préparatoires ne correspondent pas à des sujets scientifiques et identifier un scientifique ayant une réputation internationale dans ce domaine n’aurait aucun sens.
La première de ces fonctions concerne «la génération de connaissances», compris non comme la mise en œuvre de programmes de recherche, mais comme :
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l’identification des besoins de connaissances requis pour les évaluations de l’IPBES,
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la disponibilité des connaissances existantes,
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les manques à combler.
La deuxième est une mission d’évaluation dont la description est conforme en tout point à celle de l’IPCC et, en particulier, explicite la recommandation d’être «policy relevant, but not policy prescriptive».
La troisième fonction est un soutien à la politique qui reste à préciser, mais qui inclurait l’assurance que les évaluations répondent aux questions d’intérêt politique et apporterait une aide aux décideurs dans leur exploitation des résultats des évaluations, grâce à l’identification et au développement d’outils et de méthodes politiques. Cette fonction répondrait à la crainte que les évaluations constituent un soutien insuffisant à la politique.
Enfin, la quatrième fonction est le développement des capacités (capacity building) à de nombreux niveaux différents pour permettre une meilleure utilisation des évaluations globales, régionales et thématiques de l’IPBES et renforcer la capacité nationale d’action politique.
Les organes dirigeants prévus pour l’IPBES restent à préciser au cours de la prochaine plénière et éventuellement des suivantes.
Le Bureau de la Plénière, qui se compose :
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du Président,
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de quatre vice-présidents
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et de cinq autres membres,
sera élu parmi les représentants des membres de la Plateforme.
Chaque région sera représentée au sein du Bureau par deux membres, compte tenu du principe d’une représentation géographique équitable.
Le Président et les quatre vice-présidents, dont l’un fera office de rapporteur, seront choisis en tenant dûment compte de leur expertise scientifique et technique et de façon à ce que chacune des cinq régions de l’ONU soit représentée.
Un groupe d’experts multidisciplinaire sera créé. En attendant qu’une structure régionale finale et la composition définitive du groupe d’experts soient déterminées par la Plénière, une disposition provisoire relative à la composition dudit groupe sera mise en place. Cette composition provisoire serait basée sur une représentation égalitaire de cinq participants de chacune des cinq régions de l’Organisation des Nations Unies et mise en place pour une période qui ne dépasserait pas deux ans, afin que la structure régionale finale et la composition définitive du groupe d’experts puissent être convenues lors d’une session de la Plénière.
Outre le bureau et le groupe d’experts, et en fonction des décisions finalement prises quant à leur création, la Plénière pourrait, après que le programme de travail ait été adopté, créer des groupes de travail ou autres structures pour mener à bien le programme de travail de la Plateforme.
Ces groupes ou ces structures s’acquitteraient notamment des fonctions suivantes :
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Identifier et hiérarchiser les informations scientifiques indispensables aux décideurs et catalyser les efforts visant à produire de nouvelles connaissances (sans entreprendre de nouvelles recherches);
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Mener en temps utile des évaluations périodiques de l’état des connaissances sur la biodiversité et les services écosystémiques [et leurs fonctions] et leurs interactions, qui pourraient inclure des évaluations complètes aux niveaux mondial, régional et, si nécessaire, sous-régional, ainsi que sur des questions thématiques aux échelles appropriées et de nouveaux sujets identifiés par la science;
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Identifier des outils et des méthodes utiles pour la définition des politiques, qui pourraient notamment ressortir des évaluations, faire en sorte que les décideurs puissent avoir accès à ces outils et à ces méthodes et, si nécessaire, promouvoir et catalyser leur développement;
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Hiérarchiser les besoins en matière de renforcement des capacités en vue d’améliorer l’interface science-politique aux niveaux appropriés, puis fournir et mobiliser un appui financier et autre pour répondre aux besoins ayant reçu le rang de priorité le plus élevé et directement liés à ses activités, comme décidé par la Plénière, et catalyser des financements pour les activités de renforcement des capacités en offrant un cadre aux sources de financement traditionnelles et potentielles.
Toute décision quant à la définition de ces groupes de travail qui semblent devoir jouer un rôle essentiel dans les réalisations concrètes de l’IPBES, est repoussée après l’adoption du programme de travail.
Cependant, plusieurs options sont mentionnées dans le compte-rendu officiel de la réunion de Panama :
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Option 1 : création de deux groupes de travail, un pour les évaluations, l’amélioration des connaissances et le soutien à la politique, l’autre pour le développement des capacités ;
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Option 2 : création de deux groupes de travail, un pour les évaluations, l’autre pour l’amélioration des connaissances, le soutien à la politique et le développement des capacités ;
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Option 3 : création de structures régionales ayant compétence sur l’ensemble des sujets : évaluations, amélioration des connaissances, soutien à la politique et développement des capacités avec en complément des groupes de travail ad-hoc et de durée limitée pour des évaluations globales ou thématiques.
Conclusion
Les promoteurs de l’IPBES visaient la création d’un organisme qui, comme l’IPCC, fournirait aux décideurs un état objectif des connaissances scientifiques sur la biodiversité et les services rendus par les écosystèmes.
Il aura fallu de nombreuses années de négociation pour que ce projet aboutisse, avec une première assemblée plénière en janvier prochain.
Le dialogue entre la science et la société sur la sauvegarde de la biodiversité devrait s’en trouver renforcé, comme l’a permis l’existence de l’IPCC. Ce dernier s’est soigneusement attaché à la plus stricte neutralité vis à vis des décisions politiques et s’est interdit toute recommandation politique.
Il n’est pas acquis que l’IPBES adopte des règles de fonctionnement lui garantissant la même objectivité. La valeur de ses analyses dépendra beaucoup de son programme de travail et de la façon dont il sera mené.
Voir aussi :
FAQ : Comment fonctionne le GIEC (IPCC)?
Processus d'élaboration et de publication des rapports du Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC)