LE CHANGEMENT CLIMATIQUE : QUELLES DECISIONS POLITIQUES ?
Questions posées à Alain Juppé
Face au changement climatique, quelles décisions politiques prendre ?
L’époque de l’énergie sans défaut, abondante et bon marché est révolue. La communauté internationale devra s’accorder sur un objectif qui évite un changement climatique. Or les données scientifiques imposent de redescendre d’ici 2100 à une concentration de 350 ppm de CO2 dans l’atmosphère. Une cible et une temporalité qui ont de quoi faire peur aux politiques. Mais si la voie est politiquement très étroite, l’humanité peut encore y parvenir. Il lui faut pour cela apprendre à vivre autrement, à consommer autrement et à mieux répartir ses ressources.
Nous devons penser et agir globalement et localement.
Les villes, qui regroupent près de 80 % de la population mondiale, contribuent largement aux changements climatiques puisque leurs activités génèrent plus de 70 % des gaz à effet de serre. Elles doivent s’adapter, quantifier dés aujourd’hui les impacts à venir (coût, secteurs...) et exercer les meilleurs choix de mesures d’adaptation. De nombreuses villes prennent d’ores et déjà en compte l’Agenda 21 et le plan climat énergie territorial. Les élus me semblent de plus en plus concernés et les lieux de formation, les temps d’échange de bonnes pratiques se multiplient. Il faut poursuivre ce mouvement.
Il est donc essentiel de considérer les villes et les régions urbaines comme partie intégrante des solutions recherchées dans la lutte contre les changements climatiques : la promotion des sources d’énergie renouvelables, des technologies de contrôle des émissions industrielles, la construction de logements à haute efficacité énergétique, les mesures de réduction du trafic routier ainsi que la promotion de moyens de transport non motorisés sont leurs outils.
Au-delà des pratiques qui vont dans le bon sens, les villes s’engagent sur des objectifs de résultat. Dans le cadre de son Agenda 21 et de son plan climat énergie territorial, à quelques jours de l’ouverture des négociations de Cancun, la Ville de Bordeaux s’engage en vue de :
- diminuer les émissions internes de GES ;
- planifier les territoires de façon optimale et mieux coordonner les politiques publiques (de déplacement, d’aménagement, etc.) afin de traduire les objectifs de réduction des émissions dans la construction de la ville ;
- mobiliser tous les acteurs du territoire (acteurs économiques, habitants-consommateurs, associations...) afin d’atteindre les objectifs fixés.
- Maîtriser l’étalement urbain, en proposant des modes alternatifs de transport en commun performants, en développant les énergies propres, en assurant une mixité sociale et fonctionnelle des centres urbains et des nouveaux quartiers, constitue un premier enjeu déterminant et structurant. En matière de commande publique, les collectivités se doivent d’être ambitieuses, exigeantes et de soutenir les filières à plus faible empreinte écologique.
Qu’est-ce qui vous a fait prendre conscience de la réalité de ce sujet ?
Le Club de Rome, le sommet de Rio, en 1992, et les premières conclusions du GIEC, mais également mon séjour d’un an au Canada où les effets du changement climatique sont visibles à l’œil nu ! À l’échelle d’une ville comme Bordeaux, il me suffit d’observer l’évolution de données objectives, mesurables et quantifiables comme la pluviométrie, la température moyenne, la consommation d’énergie, la consommation d’eau...
Quelle perception avez-vous des résultats scientifiques ?
Il y a eu, il y a parfois encore controverse sur ce point. Je ne suis pas un scientifique.
Je respecte les points de vue, parfois opposés, des scientifiques. Mais je constate qu’aujourd’hui existe un large consensus pour dire que la température moyenne de la Terre s’est élevée de 1 °C et que l’activité humaine est au premier chef responsable de ce changement climatique qui pourrait atteindre, si rien ne change, 4 à 5 °C d’ici la fin du siècle. Les rapports successifs du GIEC sont formels.
Les conséquences de ce réchauffement sont déjà visibles et prévisibles : fonte des calottes polaires et des glaciers, élévation du niveau des océans, accentuation des phénomènes climatiques extrêmes (désertification ou inondations...).
... et, à la clef, parmi d’autres catastrophes, la multiplication par 10 du nombre de réfugiés climatiques (20 millions en 2008, 200 millions en 2050 !)
Selon les constatations les plus récentes, le réchauffement s’accélère et s’auto-alimente (la réduction de la surface de la banquise ou la pollution des glaciers de l’Himalaya diminue l’effet de réflexion du rayonnement solaire par la glace et augmente le réchauffement de la surface terrestre).
Mais le réchauffement climatique provoqué et entretenu par les GES (le CO2 n’étant pas seul en cause, le méthane et d’autres jouent un rôle important) n’est pas l’unique menace : les ressources naturelles s’épuisent, à commencer par celles qui ne sont pas renouvelables, les combustibles fossiles mais aussi les minerais, rares ou moins rares.
Quelles sont les actions politiques qui vous semblent aujourd’hui prioritaires ?
Adopter un accord ambitieux et partagé pour relancer l’après-Kyoto. Au plan national, l’équilibre devra être trouvé entre marché (de CO2) et taxe (contribution carbone) pour un résultat plus probant. Il faut aussi mieux articuler politiques d’adaptation et d’atténuation locales.
Pensez-vous que la prise de conscience du péril climatique puisse contribuer à un changement de société ?
Certainement. 95 % des Français affirment être prêts à adopter des habitudes d’achat durable. Le tri sélectif est devenu un geste quasi quotidien (63 % des déchets d’emballage sont recyclés en France, contre 25 % en 1992), et de plus en plus franchissent le pas du composteur individuel. La notion de propriété (autos, vélos, films ...), perd progressivement de sa pertinence dans de nombreux domaines de la consommation. La hausse des prix des carburants, conjuguée à une légère baisse des prix de l’immobilier, a contribué à un retour en ville après des décennies de reflux démographique.
Les grandes surfaces voient leur chiffre d’affaire diminuer au profit du commerce de proximité. Les habitudes des Français changent. Célibataires urbains, retraités, familles monoparentales préfèrent remplir un petit panier dans un magasin près de chez eux plutôt que de prendre leur voiture pour aller dans un grand magasin. Dans un même temps, ils redécouvrent les fruits et légumes en pensant à leur santé et à l’environnement. La responsabilité des politiques est engagée. Il leur appartient de privilégier des politiques favorables à ce « vivre autrement » et cette « consommation durable », afin de réduire l’empreinte écologique de l’activité humaine et accompagner nos concitoyens vers un changement de société, vers ce que j’appelle «la sobriété heureuse» !