Radars de précipitation : étranges rayons de vélo

Pierre Chevallier et Jean Pailleux - août 2023

En examinant régulièrement le signal radar de précipitation fourni par le site météorologique windy.com sur une zone situé à l’ouest de Toulouse, nous nous sommes aperçus qu’assez fréquemment un étrange signal fixe et parfaitement linéaire apparaît, alors que le ciel est clair, sans précipitation ou annonce de précipitation :

Copie d’écran : windy.com, le 4 avril 2023 à 9h22.

En élargissant l’échelle on s’aperçoit que l’origine de cette anomalie se trouve en Espagne avec l’apparition de signaux semblables à des rayons de vélo centrés sur les radars de Saragosse, Valence et Majorque.

Copie d’écran : windy.com le 18 avril 2023 à 11h51

D’autres sites que windy.com les présentent aussi :

Copie d’écran : accuweather.com, le 20 avril à 20h40	Copie d’écran : meteoconsult.fr, le 20 avril 2023 à 22h45

L’anomalie est par ailleurs susceptible d’apparaître pendant des durées très brèves :​

6h15	6h30	6h50
Copies d’écran : accuweather.com, le 17 août 2023

Les rayons de vélo ne sont pas l’apanage des radars de la seule Espagne, on les retrouve aussi dans d’autres régions du monde (les heures sont celles de l’Europe de l’Ouest)

	Copies d’écran :
windy.com - Argentine  le 18 août 2023 à 6h30	accuweather.com – Baltique le 19 mai 2023 à 8h30	windy.com – Inde le 30 mai 2023 à 10h48

Ces résultats sont manifestement le produit d’une perturbation du signal radar dont il s’agit d’identifier l’origine.

On peut supposer que certains sites publics font le choix de filtrer ces données brutes. On ne retrouve, par exemple, pas ces rayons de vélo sur le site de Météo-France, qui n’affiche que les radars français, de l’agence européenne Eumetnet/Opera ou même de l’association amateure éclairée Infoclimat.

Pour identifier l’origine de ces anomalies, nous avons consulté des spécialistes à Météo-France. Richard Lorandel nous dit :
«Ce type de parasites en radiales avec une réflectivité qui augmente avec la distance ressemble à des brouilleurs, donc des émetteurs ponctuels dans la même bande de fréquence que le radar brouillé. Oui ça peut être des réseaux locaux dont la fréquence a dérivé ou s'est réinitialisée dans la bande du radar»

Jean-François Mahfouf ajoute :
«Effectivement ce sont des sources de radiofréquences d'origine humaine (non naturelles) qui vont "baver" sur les bandes utilisées pour l'observation de la Terre et qui pour les radars vont correspondre à certains azimuts. La puissance rétrodiffusée convertie en taux de pluie par les fameuses relations Z-R donne effectivement des cartes un peu bizarres. Il y a eu le même genre de problèmes avec la télédétection micro-onde passive dans les mêmes bandes de fréquences, avec les instruments satellitaires AMSR-E puis AMSR-2 (6.9 GHz) et dans des fréquences plus basses avec SMOS et SMAP  (1.4 GHz). Certaines actions ont été prises pour que des émissions parasites puissent être arrêtées, mais entre des activités commerciales (comme la téléphonie 5G) et les besoins de la météorologie et de l'astronomie, c'est un peu David contre Goliath.
Un filtrage des échos parasites présent dans les données brutes est effectué avant de réaliser les mosaïques européennes OPERA».

Du côté de l’agence météorologique espagnole AEMET, Fermin Elizaga précise :
«La cause de ces échos parasites en forme de rayons de vélos est l’interférence des signaux radar dans la bande de 5,6 GHz (si mes souvenirs sont bons) avec les réseaux sans fil des téléphones mobiles qui fonctionnent autour de 5 GHz. L’effet est maximal là où il existe une accumulation des signaux sans fil dans les environs du radar. C’est pour cela que celui de Valence (le radar est localisé exactement à Cullera) est l’un des plus affectés. Je suppose qu’au cours du temps l’effet qui dépend des propriétés de propagation du signal radar est plus ou moins important en fonction des conditions atmosphériques dans les couches basses. Pour autant que je sache, ces signaux «non désirés» peuvent être éliminés avec des filtres appropriés, comme le fait Eumetnet/Opera.
Il s'agit d'un problème récurrent dans les réunions sur l'utilisation de l'espace radioélectrique, en raison de l'utilisation de la bande 5 GHz par les radars météorologiques, ce qui pose également des problèmes pour les réseaux wifi.»

Une recherche bibliographique n’a pas permis de trouver de publication scientifique récente traitant de cette question. Mais en 2007, deux articles soulignent que les radars météorologiques terrestres peuvent être perturbés par l’orographie (Kirshbaum et al.) (1) ou par des cibles telles que les insectes, les oiseaux ou les matières transportées par le vent (Lakshmanan et al.) (2).

On trouve sur un site de la presse espagnole (3) une présentation du phénomène qui, si elle ne relève pas de l’analyse scientifique, mentionne particulièrement le cas du radar de Valence.

En France les fréquences de téléphonie mobile sont comprises entre 0,7 et 3,8 GHz selon les opérateurs et les générations (4). La bande autour de 3,5 GHz est utilisée pour les réseaux 5G depuis novembre 2020 par les quatre opérateurs agréés. En Espagne, les grands opérateurs opèrent dans les mêmes bandes (5).

Une note thématique de Météo France (6) indique que les radars de précipitation peuvent fonctionner dans les bandes S (3 GHz), C (6 GHz) et X (10 GHz). Il y est précisé que la bande S (3 GHz) est optimale pour les tropiques et l'arc méditerranéen, mais que, pour des raisons de rapport qualité-prix, Météo France a plutôt opté pour la bande C (6 GHz). L’article web espagnol mentionné plus haut indique que le radar de Valence se situe dans la même bande C.

Si le problème de la téléphonie mobile n’est pas évoqué dans les deux articles de 2007, c’est que les fréquences utilisées étaient trop éloignées de celle des radars de précipitation. Mais aujourd’hui il est certain que les bandes utilisées par la téléphonie et celle des radars sont relativement proches, d’une part, et d’autre part, l’augmentation de la densité des signaux radioélectriques terrestres est avérée, en particulier dans l’environnement des grands centres urbains.

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cette petite histoire :

• Certains sites internet publics présentent des observations de radar telles qu’ils les reçoivent des opérateurs, et elles peuvent parfois contenir des signaux parasites.
• Cela dépend des contrats passés entre les opérateurs des radars qui fournissent les données, brutes et/ou filtrées, et les sites web diffuseurs, susceptibles de les retraiter, ou pas.
• La pollution radioélectrique, souvent évoquée pour les transmissions satellitaires, est une réalité pour des données aussi basiques et essentielles que celles des radars de précipitation.

1. K. irshbaum, D. J., G. H. Bryan, R. Rotunno, and D. R. Durran, 2007: The Triggering of Orographic Rainbands by Small-Scale Topography. J. Atmos. Sci., 64, 1530–1549, https://doi.org/10.1175/JAS3924.1  Retour
2. Lakshmanan, V., A. Fritz, T. Smith, K. Hondl, and G. Stumpf, 2007: An Automated Technique to Quality Control Radar Reflectivity Data. J. Appl. Meteor. Climatol., 46, 288–305, https://doi.org/10.1175/JAM2460 Retour
3.   https://www.tiempo.com/ram/17989/interferencias-y-falsos-ecos-en-los-radares-meteorologicos-por-redes-inalambricas/ Retour
4.  https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9quences_de_t%C3%A9l%C3%A9phonie_mobile_en_France. Retour
5.  https://moviles.info/frecuencias/espana/ ou https://www.adslzone.net/operadores/en-detalle/frecuencias-moviles-espana/ Retour
6.  http://education.meteofrance.fr/dossiers-thematiques/observer-et-mesurer/les-precipitations/la-mesure-des-precipitations-par-radar# Retour