Yves Dandonneau Août 2023
L’été 2023 de l’hémisphère nord semble marquer un saut brutal dans l’évolution du climat, tant les canicules et incendies y ont été nombreux et intenses. Si certains événements récents ont pu contribuer à cette situation qui nous paraît extrême, le réchauffement climatique et la variabilité interannuelle du climat suffisent à expliquer ce brusque réchauffement qui nous annonce dans quel monde nous vivrons dans quelques années.
Après la crainte en France que la sécheresse de l’hiver 2022-2023 se poursuive durant tout l’été et conduise à de graves pénuries d’eau, les catastrophes climatiques et les records de température se sont multipliés dans le monde au mois de juin et de juillet :
- canicule en Europe du sud et de l’est,
- inondations en Inde au Pakistan et à Pékin,
- pluies torrentielles au nord-est des États Unis et températures record au sud-ouest,
- chaleur extrême et sécheresse en Uruguay, en Chine continentale, en Afrique du nord et au Moyen-Orient,
- gigantesques feux de forêt au Canada,
- inondations en Corée, en Chine, au Japon et aux Philippines.
Moins sensible pour nous mais non moins alarmant, la température moyenne à la surface des océans a augmenté rapidement depuis le début de 2023 et atteint elle aussi des niveaux record, notamment dans l’Atlantique nord. Une telle avalanche de conditions extrêmes signifie-t-elle que le climat s’emballe et échappe aux prévisions, ou bien tout cela est il explicable et conforme aux connaissances actuelles ?
Après un fort déficit de pluies au printemps, favorisé par un blocage par des hautes pressions de l’anticyclone des Açores à la Norvège, qui a asséché les sols, réduisant ainsi fortement la perte de chaleur que cause l’évaporation lorsque les sols sont humides, un «dôme de chaleur» s’est établi sur l’Europe du sud et le Maghreb, amenant les conditions stables et sèches à la fin du mois de juin et en juillet. Le thermomètre a souvent dépassé 45°C dans certaines parties de la Grèce, l’est de l’Espagne, la Sardaigne, la Sicile et l’Italie du sud. La France a été moins durement atteinte que ses voisines d’Europe du sud, et l’épisode de forte chaleur a été interrompu dès la deuxième quinzaine de Juillet dans sa partie nord par le passage de dépressions et par des pluies. En moyenne globale, juin et juillet 2023 ont été les plus chauds jamais observés. Si la forte insolation et la longueur des jours en été favorisent ces épisodes caniculaires, et si la fréquence de ceux-ci a tendance à augmenter du fait du réchauffement du climat, 2023 a battu des records de chaleur en maints endroits du Globe, accompagnés d’incendies notamment au Canada et en Grèce, pouvant faire craindre que le système climatique avait franchi un «point de bascule» et que le changement accélérait de façon imprévisible.
Ces dômes de chaleur particulièrement longs et étendus en Europe du sud et au Maghreb, ainsi qu’à l’ouest des États Unis, au Moyen Orient, ou en Chine, qui se déplacent lentement, se situent dans des zones de forte pression en surface et vers 5 km d'altitude (Fig. 1). Leur évolution est bien décrite par les modèles météorologiques : les règles de fonctionnement de l’atmosphère restent les mêmes.
Pourquoi alors cette avalanche de records de chaleur ? Plusieurs anomalies ou événements particuliers offrent des pistes pour chercher à expliquer ce qui pourrait paraître comme une accélération du réchauffement climatique.
Figure 1 : conditions météorologiques le 15 juillet 2023 à O h UTC. En couleur, géopotentiel à 500 hPa. Contours, pression atmosphérique au niveau de la mer. Cerclé de noir «à main levée», zones de forte chaleur (> 28°C à 850 hPa). (Source : ECMWF)
La température de surface de l’Atlantique nord anormalement élevée.
Depuis avril 2023, la température de surface de l’Atlantique nord a augmenté beaucoup plus vite que les années précédentes et dépasse maintenant de près de 1°C celle des années précédentes, et de 1,5°C la moyenne de 1982 à 2011 (Fig. 2). Une telle hausse est inédite depuis qu’on observe les océans en permanence. Elle n’est pas encore parfaitement expliquée et seuls les tous premiers mètres sont concernés. Elle pourrait être due à l’affaiblissement de l’anticyclone des Açores et au ralentissement consécutif du vent dans la partie tropicale. Moins de vent favorise en effet le réchauffement selon deux processus : d’une part l’évaporation diminue, et comme c’est l’eau de surface qui fournit la chaleur nécessaire à faire passer l’eau de l’état liquide à celui de vapeur, elle se réchauffe, et d’autre part, moins de vent implique moins de mélange vertical avec l’eau sous-jacente, ce qui favorise le maintien d’une couche chaude superficielle. En bordure ouest des îles britanniques et de la Mer de Norvège, cette couche chaude a été accentuée par un anticyclone qui a persisté en juillet et a favorisé le chauffage solaire par absence de nuages et des durées d’ensoleillement longues au voisinage du solstice d’été boréal. Elle pourrait aussi avoir été accentuée par une baisse de la quantité d’aérosols dans l’atmosphère (voir plus bas), ou bien par une remontée vers le nord des eaux chaudes tropicales. Elle est de toute façon due pour une grande part au réchauffement global.
La diminution des aérosols dans l’atmosphère
Suite à des régulations internationales, des limites ont été imposées depuis 2020 au contenu en soufre du fuel utilisé pour les transports maritimes. Un des résultats est une baisse de la concentration en aérosols soufrés de l’atmosphère, et par suite, une baisse de l’albédo de l’atmosphère : le rayonnement solaire reçu par l’océan a donc augmenté, ce qui accélère le réchauffement du climat. À cet égard, l’Atlantique nord qui connaît un trafic maritime très intense serait particulièrement concerné. Toutefois, une analyse par Carbon Brief estime que cette réduction des aérosols n’aurait qu’un effet très modeste sur la température moyenne à la surface du Globe, d’environ 0,05°C à l’horizon 2050.
L’éruption du volcan Hunga Tonga en 2022
On sait que les grandes éruptions volcaniques sont généralement suivies d’un refroidissement du climat durant les deux ou trois années qui suivent, à cause de la grande quantité de cendres et d’aérosols injectés dans la stratosphère qui y interceptent une partie du rayonnement solaire et le renvoient vers l’espace. L’éruption du volcan Hunga Tonga dans les îles Tonga dans le Pacifique sud en 2022 pourrait au contraire avoir un effet réchauffant pendant quelques années sur le climat : en effet, elle a surtout injecté dans la stratosphère de la vapeur d’eau (150 millions de tonnes !) qui est un gaz à effet de serre. Toutefois, comme toutes les éruptions volcaniques, elle a aussi injecté des aérosols (soufre et poussières) qui ont, eux, un effet refroidissant. Les possibles conséquences de cet ajout de vapeur d’eau dans la stratosphère ne pourraient en aucun cas à elles seules expliquer les vagues de chaleur atmosphériques et marines de cet été 2023.
El Niño 2023
El Niño est un phénomène climatique qui a pour théâtre le Pacifique tropical et se produit de façon irrégulière avec une fréquence d’environ une fois tous les quatre à sept ans. Il se manifeste en particulier par l’arrêt de l’affleurement d’eaux froides issues de la profondeur dans le Pacifique tropical est, et leur recouvrement par des eaux tropicales chaudes. Ainsi, une vaste région d’environ 10 millions de km² voit sa température de surface augmenter d’environ 3°C, ce qui entraîne une série de conséquences climatiques, et, en particulier, une hausse de la température moyenne globale, de telle sorte que 2023 sera certainement l’année la plus chaude jamais observée (devant 2016, qui était aussi une année affectée par le phénomène El Niño). Toutefois, cet événement n’a débuté qu’au début du mois de juin et son influence sur les canicules de l’été de l’hémisphère nord n’a pas encore eu le temps de s’étendre.
En analysant les données d’observations collectées en permanence dans l’atmosphère et les océans, et les sorties de modèles, les chercheurs identifieront les processus éventuels qui, s’ajoutant au réchauffement global, ont amplifié les catastrophes climatiques de ces derniers mois. Le changement climatique ne se manifeste pas de manière régulière. Il progresse par à coups. L’année la plus chaude remonte à sept ans : 2016, et pourtant, on ne peut pas dire que le réchauffement du climat ait cessé depuis cette date. La cause principale des catastrophes de 2023 restera le changement climatique, la gravité des phénomènes extrêmes et l’augmentation de leur fréquence ayant été annoncées dans les rapports successifs du GIEC. Nouvelle rassurante : le climat continue de fonctionner selon les mêmes lois physiques. Nouvelle inquiétante : nos émissions de gaz à effet de serre(1) nous emmènent vers des canicules, inondations, et sécheresses de plus en plus graves, cet été 2023 en est un avertissement.
(1) Les émissions anthropiques annuelles de gaz carbonique dépassent maintenant 37 gigatonnes (soit 10 gigatonnes de carbone). Celles de 2023 s’annoncent dores et déjà très élevées, aggravées par les incendies de forêts : environ 1 100 mégatonnes de gaz carbonique pour le Canada et la Grèce en 2023 (soit 293 mégatonnes de carbone; une gigatonne = 1000 mégatonnes).