Les indices climatiques 2022
Yves Dandonneau.
Sommaire
La cause principale du changement climatique : les émissions anthropiques de gaz à effet de serre
L’état du Pacifique intertropical : El Niño ou La Niña ?
La température moyenne globale
Le contenu thermique des océans
La cryosphère
Le niveau des océans
Événements marquants
L’année 2022 s’est terminée en France par des températures anormalement douces en fin décembre, qui ont persisté au début de 2023, rappelant avec insistance le réchauffement climatique en cours. Ailleurs dans le monde ont eu lieu de nombreux événements extrêmes avec leur cortège de pertes humaines et de dégâts matériels. En toile de fond de ces épisodes marquants, la fonte des glaces, la hausse du niveau marin, continuent lentement et sûrement.
La cause principale du changement climatique : les émissions anthropiques de gaz à effet de serre
¤ Le gaz carbonique
La concentration en gaz carbonique dans l’atmosphère continue de croître du fait des émissions anthropiques au rythme de 2,4 parties par million chaque année. Les années précédentes, marquées par un fort ralentissement de l’économie à cause de la pandémie due au Covid 19, ne se sont pourtant pas traduites par un ralentissement notable de cette hausse (figure 1) : nous sommes loin de la neutralité carbone et continuons d’émettre à un taux élevé.
Figure 1 : évolution de la concentration de l’atmosphère en gaz carbonique à l’observatoire de Mauna Loa (Hawaï) depuis 1958 (en encart : variations au cours des 4 dernières années)
Les mesures réalisées à Mauna Loa ont été momentanément interrompues en novembre 2022 à la suite de la coupure de l’alimentation électrique de l’observatoire par une coulée de lave. Le site des mesures a alors été transféré sur un site voisin. Les mesures seront faites simultanément sur les deux sites en 2023 afin de détecter et corriger une éventuelle différence de concentration.
¤ Le méthane
Le méthane est un gaz à effet de serre beaucoup moins abondant mais beaucoup plus puissant que le gaz carbonique. Toutefois, sa durée de vie dans l’atmosphère est limitée (la moitié y est détruite en une dizaine d’années). En tenant compte de son effet sur le rayonnement et de sa durée de vie, on considère que son pouvoir de réchauffement est, pour une masse égale, environ 25 fois celui du gaz carbonique. Le méthane est produit naturellement par la fermentation de la matière organique dans les zones humides, et en quantités plus grandes par les activités humaines (élevage de ruminants, rizières, fuites dans l’exploitation industrielle du gaz, et fonte du permafrost causée par le réchauffement du climat).
Figure 2 : évolution de la concentration en méthane dans l’atmosphère. Souce NOAA
L’augmentation de la concentration en méthane de l’atmosphère est irrégulière. Après avoir semblé se stabiliser au début des années 2000, elle a repris son cours à partir de 2007, et s’est encore accélérée depuis 2020 (figure 2). Les causes de cette variabilité sont mal connues.
L’état du Pacifique intertropical : El Niño ou La Niña ?
L’Océan Pacifique intertropical est alternativement balayé par les vents alizés qui soufflent vers l’ouest (conditions La Niña) ou par un régime de vents plus faibles, soufflant parfois vers l’est (El Niño). Le premier cas est favorable à des remontées d’eau profonde froide, tandis que des eaux chaudes dans toute la région sont caractéristiques du second. Étant donné la très vaste étendue de cette zone, cette alternance impacte le climat de nombreuses régions, et en particulier, la température moyenne globale.
Figure 3 : a) Anomalie de température de la surface de l’océan le 31 juillet 2022. b) évolution de l’anomalie de la température moyenne à l’équateur dans l’Océan Pacifique de mars 2022 à février 2023. (Source : NOAA)
L’océan Pacifique intertropical a été anormalement froid (figure 3a) en 2022, et cette vaste étendue froide influence la température moyenne globale à la surface de la Terre. Cet épisode froid s’est atténué au cours des derniers mois (figure 3b) et les prévisions actuelles sont en faveur d’un épisode chaud «El Niño» en 2023.
La température moyenne globale
Avec une température moyenne globale de 0,91°C plus chaude que la moyenne (figure 4), l’année 2022 se classe au 6ème rang des années les plus chaudes depuis 1850. Le record reste celui estimé pour 2016 qui fut une année marquée par un événement El Niño. 2022 au contraire a été dominé par des conditions La Niña et les températures relativement basses dans l’Océan Pacifique ont fait baisser la moyenne globale.
Figure 4 : évolution de la température moyenne globale depuis 1850 (source : NOAA)
La hausse de la température moyenne globale apparaît très marquée près des pôles, et aux latitudes moyennes de l’hémisphère nord, en particulier en Europe de l’ouest, et au Moyen Orient, et dans l’Océan Pacifique sud. Au contraire, du fait des conditions climatiques La Niña, le Pacifique intertropical est marqué par une anomalie froide. (figure 5).
Figure 5 : répartition des anomalies de la température moyenne en 2022 (source : Copernicus).
Le contenu thermique des océans
À cause de l’effet de serre, le système climatique terrestre (terres émergées, atmosphère, océans, cryosphère) accumule peu à peu de la chaleur. En raison de leur énorme capacité calorifique (~1200 fois celle de l'atmosphère), les océans emmagasinent 93 % de cette chaleur supplémentaire. Grâce principalement aux mesures de température entre la surface de l’océan et 2000 m réalisées par les bouées dérivantes depuis 2000, il est possible de suivre l’évolution de cette pénétration de chaleur. La quasi totalité des océans s’est réchauffée (figure 6) à l’exception du Pacifique tropical est où les conditions La Niña qui ont prévalu en 2022 y ont favorisé des remontées d’eau froide profonde.
Figure 6 : distribution en 2022 du gain de chaleur des océans entre la surface et 700 m de profondeur depuis 1955. (Source : NOAA)
Le contenu de chaleur de l’océan augmente de façon continue, à raison d’environ 0,6 x 1022 joules/an (figure 7).
Figure 7 : évolution du contenu thermique des océans entre la surface et 700 m de profondeur depuis 1955. (Source : NOAA)
La cryosphère
¤ Les calottes polaires
La calotte polaire du Groenland a perdu 4890 milliards de tonnes de glace depuis 1992. Le rythme de perte s’est accéléré au cours des trois dernières années où il s’est élevé à environ 400 milliards de tonnes par an (figure 8). Les pertes de la calotte de l’Antarctique sont plus faibles, estimées à 2670 milliards de tonnes depuis 1992.
Figure 8 : pertes cumulées de la calotte polaire du Groenland depuis 1992 (en milliards de tonnes), et contribution à la hausse du niveau des océans. (Source : Copernicus)
¤ Les glaciers
Le bilan des apports et des pertes des glaciers de montagne est négatif. Depuis 1997, les glaciers de Scandinavie ont perdu environ 9 mètres d’épaisseur, et ceux des Alpes 32 mètres, la moyenne globale pour tous les glaciers de la Terre étant de 16 mètres. Cette réduction d’épaisseur a tendance à s’accélérer depuis 2005.
¤ Les banquises
L’étendue de la banquise de l’Arctique a tendance à se réduire. Cette réduction est beaucoup plus marquée en été (septembre) qu’en hiver (mars) où les conditions météorologiques permettent à cette banquise de se retrouver proche de son étendue habituelle (figure 9). Depuis 2007, l’étendue de la banquise Arctique semble se stabiliser, à un niveau inférieur de 13% en moyenne par rapport à son étendue des années 80. L’année 2022 ne s’affiche pas parmi les années record. Cette réduction ouvre chaque été le passage entre l’Atlantique et le Pacifique par le nord.
Figure 9 : évolution relative de l’étendue de la banquise de l’Océan Arctique en hiver et en été depuis 1979. (Source : Copernicus)
L’étendue de la banquise de l’Océan Antarctique ne montre pas de tendance forte à la réduction, toutefois, pour la première fois depuis le début des estimations en 1979, elle est passée sous la barre des 2 millions de km² en mars 2022, alors que la température dans l’Antarctique était anormalement élevée.
Le niveau des océans
Le niveau des océans s’élève régulièrement du fait de l’expansion de l’eau due à l’augmentation de leur température, et de l’accroissement de leur masse due à la fonte des glaciers et à celle des calottes glaciaires (la contribution du Groenland pour la période de 1992 à 2020 est de 13,6 mm, celle de l’Antarctique de 7,4 mm). L’accroissement depuis 1993 dépasse 10 cm (figure 10), à une vitesse moyenne de 3,4 mm par an (3,6 mm par an pour les 10 dernières années).
Figure 10 : évolution du niveau marin depuis 1993 et projection jusqu'en 2040 (source : NASA)
¤ Canicules
Les épisodes caniculaires se sont multipliés en 2022, d’abord en début d’année dans l’hémisphère sud, où on a enregistré jusqu’à 50,7°C dans le centre de l’Australie, plus de 40°C en Argentine. Dans l’hémisphère nord, des vagues de chaleur exceptionnelles et précoces ont frappé l’Inde et le Pakistan dès la fin avril, avec 46°C à Delhi (température la plus haute relevée depuis 1946). La Chine a connu en 2022 la pire canicule de son histoire, commencée en juillet, qui s’est poursuivie en août, et il y faisait encore 40°C en octobre. (voir ci-dessous pour la France et l’Europe)
¤ Inondations
La côte est de l’Australie a subi des inondations très violentes (en mars, puis en juillet), ainsi que la côte est de l’Afrique du sud (en avril, 300 morts). Des pluies abondantes ont causé des inondations catastrophiques au Kentucky en juillet, responsables de 79 morts. Les pluies en Arctique ont été supérieures aux valeurs normales, se classant au 3ème rang depuis le début des observations
Sécheresse
La pire sécheresse depuis 70 ans a sévi en Italie à partir de début juillet, particulièrement dans la plaine du Po (le détachement filmé du glacier de la Marmolada en est un épisode mémorable). D’une façon générale, les précipitations dans les Amériques, en Afrique, et en Asie centrale ont été déficitaires, accentuant la sécheresse à l’ouest des États Unis, au centre de l’Amérique du sud et dans la Corne de l’Afrique.
Incendies
Les incendies ont été nombreux en 2022, favorisés par les sécheresses. Ils ont débuté dès le mois de mai en Sibérie, et ont frappé le Portugal en juillet, puis la France. Le mois d’août a été le pire pour l’Amazonie.
Événements marquants en 2022 en France
La hausse de la température moyenne en France (+1,7°C depuis 1900) est nettement plus élevée que celle de la moyenne globale (+1,15°C). Les vagues de chaleur ont été très précoces, dès le printemps, et des conditions caniculaires se sont établies en juillet et ont perduré en août. 2022 est l'année la plus chaude enregistrée.
Il en a résulté une sécheresse record, avec moins de 3 jours de pluie en plaine en juillet, qui s’est confirmée en août. Chaleur et sécheresse ont favorisé des incendies gigantesques, notamment dans les Landes.
Ces conditions chaudes n’ont pas empêché des gelées nocturnes dévastatrices en avril.
On a atteint en Méditerranée des températures record : 27 à 30°C en surface dans le Golfe du Lion en juillet, 30,7°C au large d’Alistro en Corse.
...et dans le reste de l’Europe
Liste d’événements extrêmes proposée par Météo France :
Espagne : 2022, année la plus chaude depuis 1916;
Belgique : 2022, année la plus chaude (ex aequo avec 2020) depuis 1833;
Allemagne : 2022, année la plus chaude depuis 1881;
Irlande : 2022, année la plus chaude depuis 1900;
Suisse : 2022, année la plus chaude depuis 1864;
Italie : 2022, année la plus chaude depuis 1800;
Slovénie : 2022, année la plus chaude depuis 1961;
UK : 2022 année la plus chaude depuis 1884 (provisoire);
Autriche : 2022, 3e année la plus chaude depuis 1768, en plaine (provisoire);
Pays-Bas : 2022, 3e année la plus chaude depuis 1901.
Figure 11 : évènements climatiques marquants en 2022 (source : NOAA)