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Jean Pailleux - Mai 2013

En ce mois de juillet 2011 le Club des Argonautes est en deuil. Le samedi 9 juillet, à Bastia, Jean Labrousse nous a quittés dans sa 79e année.

Ancien directeur de la Météorologie nationale, membre du Club depuis son origine en 2003, il était un collègue dévoué, un scientifique avisé, nous faisant bénéficier de sa prestigieuse carrière de météorologiste. Presque jusqu'à la fin il a pu maintenir son activité, toujours bouillonnante d'idées, pour le Club des Argonautes comme pour plusieurs autres organisations. Ainsi, le 12 juillet 2011, au moment de ses funérailles, il aurait dû remettre un prix décerné à une élève de l'École Nationale de la Météorologie, prix décerné par un jury d'anciens météorologistes qu'il avait présidé quelques mois auparavant.

Jean Labrousse est né le 12 novembre 1932 à Carcassonne, ville dont il gardera toujours l'accent si agréable, y compris lorsqu'il s'exprimait en anglais, ce qui avait le gros avantage de le rendre compréhensible de tous, francophones ou non ! Son enfance et sa scolarité sont partagées entre Carcassonne et le Sénégal où son père, négociant en arachide, tenait un comptoir commercial. Après son baccalauréat en 1950, il étudie à l'Université de Toulouse où il est admis comme élève en Sciences générales à l'école d'ingénieurs de Toulouse maintenant appelée ENSEEIHT. Il est reçu en 1952 au concours d'entrée à l'École de la Météorologie, et, sur les conseils de son entourage, choisit le «corps métropolitain» plutôt que le «corps colonial» vers lequel il se sentait personnellement plus attiré.

Il débute donc sa carrière en métropole, en 1954, comme enseignant à l'École de la Météorologie, celle-là même qui venait de le former, affectation où il termine d'abord son service militaire et où on lui confie le cours de Météorologie Générale. C'est là qu'il rencontre Jean Lepas qui allait devenir son plus fidèle ami, un collègue proche sur beaucoup de projets météorologiques, et son adjoint à la direction de la Météorologie Nationale.

Entre 1955 et 1960, «les deux Jean» imposent leurs qualités pédagogiques et font déjà un peu figure de «grands sages» parmi leurs collègues enseignants. Avec ces derniers, ils développent un club de réflexion sur l'enseignement de la météorologie qui aboutira à une profonde modernisation de l'École.

Cette sagesse mêlée de jovialité, cette capacité à formuler une synthèse de points de vue différents, cette aptitude à pacifier les controverses, Jean Labrousse la manifestera toujours, aussi bien dans ses activités internationales que lorsqu'il dirigera la Météorologie Nationale, et jusque dans les débats du Club des Argonautes.

Passionné par l'Afrique, Jean Labrousse prend en 1959 le poste de chef de la station de Lomé au Togo, où il continuera à enseigner en parallèle de ses activités de météorologie opérationnelle. En effet, la tradition de l'époque voulait que le cours de maths en terminales du lycée de Lomé soit assuré par «le météo» ! Il n'y restera que deux ans car, en 1960 il se présente avec succès au concours interne d'ingénieur de la Météorologie, et rejoindra de nouveau l'École pour le stage de formation correspondant à son nouveau grade, à la rentrée scolaire 1961.

Son court séjour au Togo lui a sans doute fait toucher de près les défis de la prévision météorologique opérationnelle (surtout en région tropicale) et fait sentir combien les météorologistes en général (et lui-même) étaient mal armés pour les relever. Cela peut expliquer en partie son désir qu'il gardera par la suite de toujours faire avancer les choses et foisonner les idées. De retour à Paris, il oriente sa carrière vers le traitement de l'information météorologique.

Dans les années 1960 il participe d'abord au tout premier développement de la prévision numérique en France, initié par Guy Dady et Robert Pône. Puis il fonde le Centre de Calcul de la Météorologie Nationale (baptisé CETI : Centre d'Étude et de Traitement de l'Information). Avec son ami et collègue Jean Lepas, il effectue en 1965 une mission aux États-Unis pour y étudier la façon dont on y réalisait l'automatisation de l'analyse et de la prévision météorologiques. Cette mission aura des conséquences importantes sur l'évolution ultérieure de la Météorologie Nationale.

Au début des années 1970, l'importance de la modélisation et du calcul de pointe est devenue une évidence en météorologie. En Europe beaucoup de services météorologiques cherchent à accroître leurs moyens informatiques dans ce domaine et engagent une réflexion sur ce sujet, réflexion entretenue par Jean Labrousse et plusieurs autres collègues européens.

En 1974, il fait partie de la petite équipe préparant la mise en place du CEPMMT (Centre Européen de Prévision Météorologique à Moyen Terme – dénommé couramment «Centre Européen») qui sera fondé officiellement vers la fin de l'année 1975 et dont il devient alors le directeur du service des opérations.

C'est lui surtout qui crée le premier centre de calcul à Reading (Royaume-Uni), en sachant sentir à temps toute l'importance pour la météorologie de l'évolution radicale de Seymour Cray vers le calcul vectoriel. Il est en première ligne lors de la première prévision opérationnelle de Reading, le 1er août 1979. Et c'est assez naturellement qu'il succède à Aksel Wiin-Nielsen, comme directeur du Centre Européen, poste qu'il occupe en 1980 et 1981.

Jean Labrousse est nommé directeur de la Météorologie Nationale le 1er janvier 1982, et il choisit alors Jean Lepas comme adjoint. Il occupera ce poste jusqu'à la fin de l'année 1986, les aléas politiques entraînant alors son départ vers d'autres horizons. Ces cinq années des «deux Jean» à la tête de la Météorologie Française sont marquées par une modernisation «tous azimuts» de l'institution, la rendant définitivement visible et crédible de l'extérieur, et augmentant sensiblement son rayonnement international.

Citons, parmi les nombreux éléments de cette modernisation :

  • l'observation de l'Atlantique nord (optimisée grâce au lancement d'un système de radiosondage embarqué),

  • la poussée sur les développements en modélisation numérique (plaçant définitivement les français parmi les «grands» du monde dans ce domaine),

  • ou encore l'entrée dans l'ère de l'informatique de tous les services de la Météorologie Nationale.

Après son remplacement par André Lebeau à la direction de la Météorologie Nationale, Jean Labrousse devient, en 1987, directeur du département Recherche et Développement de l'Organisation Météorologique Mondiale (OMM) à Genève, poste où il sait parfaitement profiter de ses expériences passées, nationales et internationales au plus haut niveau, tout en faisant preuve de modestie pour en appliquer les leçons sans sortir de ses prérogatives. Cette même attitude l'accompagne ensuite au ministère français de la Recherche et de l'Espace, dont il dirige, de 1991 à 1993 le département Terre – Océan – Espace environnement, puis à Bruxelles où il anime de 1994 à 1997 le secrétariat scientifique du programme météorologique dans l'ensemble CEE – COST (coopération européenne dans le domaine de la recherche scientifique et technique).

Après sa retraite, prise en novembre 1997, il ne peut délaisser sa passion pour la météorologie (entretenue mutuellement avec son ami Jean Lepas au fil des années), passion allant naturellement aussi vers les sciences environnementales connexes, toujours avec une large vision des enjeux considérés sous l'angle planétaire (et pas seulement national).

Il préside de 1998 à 2003 l'Association des Anciens de la Météorologie (AAM) et lui donne une nouvelle dimension.

Il contribue jusqu'à son décès à la réflexion sur les grands problèmes environnementaux du moment (le changement climatique assurément, mais pas seulement...), en particulier à travers le Club des Argonautes. Avec son épouse Janine, il quitte la région parisienne à l'automne 2010 pour s'installer à Bastia.

Peu de temps avant sa mort, il rédige la préface du livre de Jacques Merle (un autre argonaute), «L'océan gouverne-t-il le climat?», préface qu'il conclut par la phrase suivante, appliquée alors à l'océanographie, mais résumant bien aussi la vision internationale qu'il s'est efforcé de mettre en œuvre tout au long de sa carrière de météorologiste :

«Mais j'ai un vœu personnel supplémentaire : c'est un appel aux pouvoirs publics pour que soient pérennisés les moyens d'observation, ainsi que le libre échange, des données et des modèles, sans considérations mercantiles, et que soient, au moins sur le plan opérationnel, mises en place des structures qui reconnaissent l'indissociabilité de l'océan et de l'atmosphère.»

Pérennisation des moyens d'observation, libre échange des données d'observation et de modèles sans considérations mercantiles, voilà bien deux messages forts que nous laisse Jean Labrousse, deux idées directrices qui ont constamment guidé son action. En découle presque naturellement l'idée d'intégrer des différents réseaux d'observation pour mutualiser au mieux les moyens, en particulier entre l'océanographie et la météorologie, idée à la pointe des travaux de l'OMM actuellement (en 2013) avec l'organisation du « WIGOS, World Integrated Global Observing System» (dont le mot clé est «Integrated»).

Déjà, en mars 1982, tout juste nommé directeur de la Météorologie nationale, présidant son premier Conseil Supérieur de la Météorologie, Jean Labrousse disait dans son allocution d'ouverture :

«J'ai en particulier découvert qu'il s'était développé un certain nombre de réseaux ayant des objectifs très voisins mais dont l'installation ne s'intègre pas dans un plan d'ensemble et dont le fonctionnement n'est pas coordonné.»

Des messages importants laissés par Jean, découle aussi l'idée d'un service public fort. A plusieurs reprises, il s'est fait le défenseur d'un service météorologique public remplissant toutes ses fonctions et muni en particulier d'une recherche forte parfaitement intégrée dans la communauté nationale et internationale.

Dans l'édition du Monde du 26 novembre 2009, il soulignait l'incohérence des deux choix gouvernementaux simultanés consistant d'un côté à renforcer les investissements dans les secteurs à fort potentiel de retour comme la recherche, et d'un autre côté à réduire les crédits d'un établissement public tel que Météo-France :

«Toutes les études internationales, faites sur l'intérêt économique de la météorologie, montrent que, pour un euro investi, le retour attendu est de cinq à dix. Je parle bien entendu de l'intérêt économique et non de l'intérêt commercial,...».

Dans tous les postes importants qu’il a occupés jusqu’à sa retraite, Jean Labrousse a été amené à prendre de nombreuses décisions impliquant des groupes importants de personnels. C'était un dirigeant qui prenait conseil à tous les niveaux sous sa responsabilité, qui savait créer et entretenir les relations de profonde confiance nécessaire à la concertation, qui ne décidait qu’après avoir fait le tour de toutes les possibilités et de toutes les implications pour ceux qui auraient à appliquer ses décisions, mais qui tenait ensuite particulièrement ferme sur les principes de son action.

Il a toujours manifesté une grande honnêteté intellectuelle au cours de sa carrière professionnelle, et aussi en tant que «retraité argonaute» lorsque par exemple il s'élevait publiquement contre la démarche intellectuelle de certains climato-sceptiques.

À Météo-France, au Centre Européen et dans d'autres organismes, de nombreuses personnes gardent encore une grande fierté d'avoir été dirigées par Jean Labrousse, ainsi qu'une pensée émue à son souvenir. Et tous ceux qui l'ont côtoyé, sans travailler sous ses ordres, se remémorent un homme généreux, chaleureux et ouvert à la discussion en toutes circonstances.

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