Les vagues scélérates
3Jean-Paul Guinard - Juillet 2005 († 29 avril 2017)
Compléments apportés en 2017 par José Gonella (Océanographe) et en 2023 par Michel Olagnon. (ancien d’Ifremer et collègue de Jean Paul Guinard, auteur de «Anatomie curieuse des vagues scélérates»
Avez-vous déjà entendu parler de vagues géantes ou "scélérates"?
Depuis Dumont d'Urville et même avant, les récits de vagues géantes ont eu cours chez les marins (à tel point que certains ont fini par croire à leur existence), puis chez les chercheurs océanographes ou hydrodynamiciens qui, à partir de mesures physiques, ont progressivement pris conscience d'un phénomène troublant :
- faisant douter de la théorie classique de l'hydrodynamique,
- inexpliqué par la théorie classique de l'hydrodynamique,
- ignoré par les essais en bassin,
-
survenant très rarement, donc ignoré "statistiquement", rejeté en compagnie des valeurs aberrantes et autres erreurs de mesure.
mais aux conséquences très graves, aussi bien pour le dimensionnement des navires et autres structures en mer que pour les risques qu’elles font peser sur les activités marines.
Les chercheurs, confirmant le fait que les vagues géantes existent bien dans la nature, leur ont même donné un nom : "Freak waves" ou "Rogue Waves" en anglais, traduit en français par "Vagues scélérates".
Trois colloques scientifiques organisés par le groupe Océano-Météo d'Ifremer ont réuni les principaux chercheurs internationaux s'intéressant au phénomène. Ils se sont tenus à Brest respectivement en 2000, 2004 et 2008. Leur but était de tenter de dissiper les "mystères" qui planaient sur le phénomène et, si possible, de parvenir à un consensus sur les conditions qui le faisaient naître. Ils devaient également déterminer si les règles et recommandations de la construction navale et offshore prenaient correctement en compte les risques associés. Des émissions de télévision traitant du sujet ont été diffusées à partir des années 2000 notamment sur la BBC et reprises sur certaines chaînes françaises. Aujourd'hui, les scientifiques sont parvenus à une position commune reconnaissant l'existence de ces vagues et leur prise en compte adéquate par les règles d’ingénierie. En revanche, plusieurs théories, dont certaines mathématiquement très poussées, sont toujours en concurrence pour expliquer leur formation.
À quoi une vague scélérate se reconnaît-elle ?
Au-delà de sa hauteur ou de sa sévérité exceptionnelles, c’est avant tout son caractère inattendu et surprenant qui identifie la vague scélérate. En effet, il est normal dans un typhon, par exemple, de subir des vagues démesurées. En revanche, par leur amplitude et par leur forme (en général, un "mur d'eau" précédé d'un important creux), ces vagues qui apparaissent au milieu d'une mer, certes démontée, mais habituellement évaluée – à tort ! – comme encore « maniable » présentent un risque majeur totalement imprévu pour le comportement voire la survie du navire.
Les scientifiques, qui n’aiment pas les définitions trop subjectives, ont proposé un critère plus mathématique : une vague serait scélérate si elle fait plus de deux fois la hauteur significative de l’état de mer. La hauteur significative, ou H1/3 (H un tiers), peut se calculer en prenant toutes les vagues de l’état de mer, puis en calculant la moyenne du tiers des plus grandes. Pour le profane, il est aussi simple de retenir que c’est la hauteur (crête-creux) qui est dépassée en moyenne par une vague sur dix, et qu’il faudra avoir observé une trentaine de vagues au moins pour la connaître avec une précision raisonnable. La crête de la vague s’élève ordinairement plus que le creux ne s’abaisse, et le critère sur les crêtes est habituellement pris à 1,3 H1/3. Il faut noter que ce facteur 2 (ou 1,3) n’est pas une limite supérieure. Ainsi, la vague de Draupner s’est élevée à 18,5m au-dessus du niveau moyen alors que H1/3 ne valait qu’un peu moins de 12m.
Des récits de marins tout au long de l'histoire
Les récits de marins ayant dû affronter une ou plusieurs vagues énormes sont maintenant assez nombreux.
Souvent, les auteurs de ces récits se félicitent d'avoir survécu et donc de pouvoir raconter le phénomène... !.
Parmi ces récits, nous avons fait le choix suivant :
Les paquebots de la Cunard
Les récits des commandants des :
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Queen Mary en 1942 transportant 15 000 soldats, (52° de roulis, tous les canots de sauvetage tribord arrachés)
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Queen Elisabeth en 1943 (vitres défoncées à 27 m au-dessus du pont),
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Queen Elisabeth II en 1996,
laissent peu de doutes sur l'existence de vagues énormes dans l'Atlantique Nord. Les vagues ne ciblent pas spécifiquement la Cunard, et les autres compagnies de navigation ne sont évidemment pas épargnées. Ainsi, le paquebot de croisière Louis Majesty fut-il frappé par trois vagues énormes qui firent deux morts et de nombreux blessés le 3 mars 2010 en Méditerranée, ou le ferry Pont-Aven dut-il faire demi-tour le week-end de Pentecôte 2006 après sa rencontre nocturne à l'entrée de la Manche avec une vague de 20 à 30 mètres qui inonda de nombreuses cabines.
La Jeanne d'Arc et "les Trois Glorieuses"
Ceux qui les ont subies se souviennent certainement des trois vagues exceptionnelles (on les a appelées "les Trois Glorieuses") que l'ancienne Jeanne rencontra au matin du 4 Février 1963 dans le Pacifique : par des creux de 7-8 mètres, les officiers de quart de la Jeanne, privée d'une hélice par la fatigue de la ligne d'arbre, ont décelé juste à temps trois vagues exceptionnelles très rapprochées de 15 à 20 mètres de hauteur et commandé une manœuvre.
Le navire a réussi à les franchir sans chavirer, au prix de coups de gîte de 35 degrés environ.
Nous disposons (la mémoire des témoins étant sujette à caution, c'est ce que nous enseignent les historiens) de deux documents sur cet évènement, établis par le Capitaine de Frégate Frédéric Moreau, Commandant en Second : un Communiqué à destination de l'équipage et un Rapport dont nous extrayons les encadrés ci-dessous.
L'extrait du communiqué traduit l'esprit dans lequel les marins d'alors doivent recevoir le message de la mer (surtout les midships), celui du rapport fournit aux chercheurs une description précise du phénomène.
Le témoignage de T.W. Cameron.
Typique de plusieurs témoignages est celui de T.W. Cameron, alors qu'il naviguait comme second sur un minéralier de 156 000 tonnes. Remarquant que la route était tracée, du Portugal au Golfe de Gascogne, au voisinage de la ligne de sonde des cent brasses, il fit part à son commandant des avertissements qu'il avait lui-même reçus quelques années plus tôt de son second lieutenant espagnol : "Dans ces parages, les vagues dangereuses sont particulièrement fréquentes, mon père et mon grand-père m'en ont souvent averti". Ayant estimé qu'on ne pouvait se fier au folklore colporté par des lieutenants en second, le navire se trouva quelques nuits plus tard à tailler sa route au nord-ouest de l'Espagne dans les eaux en question, par vent de force 6-7 et recevant occasionnellement quelques paquets de mer : des conditions tout à fait tenables qui n'inquiétaient en rien l'équipage.
Le ciel était peu nuageux, et la lune pleine dans l'ouest, à une élévation angulaire calculée ultérieurement de 17deg.42min. A 5 heures 20, la lune se voila et il fit soudain sombre comme dans un four. T.W. Cameron se tourna vers bâbord pour voir quelle sorte de nuage pouvait bien masquer aussi totalement la lune. À sa stupéfaction horrifiée, ce n'était pas un nuage, mais une vague immense arrivant par le travers. Elle s'étendait loin au nord et au sud, sans déferlement ni traînée d'écume d'aucune sorte.
Elle avait un front quasi-vertical, et à moins d'une centaine de mètres du navire, elle commença à déferler. Heureusement, un coup de gîte atténua l'impact. Aucune voie d'eau ne se déclara, mais certains dégâts n'en furent pas moins significatifs : le pont du château avant était descendu de 8 centimètres, et les membrures qui le soutenaient, des fers de 35 centimètres, étaient fissurées de part en part. Les projecteurs boulonnés sur la passerelle, à 15 mètres au-dessus de la flottaison, avaient été emportés avec leurs supports. Malgré leurs lourds capots de laiton, les verres des compas et des répéteurs de gyro du poste de vigie, à 21 mètres de la flottaison, étaient fêlés.
Le "Bremen"
Cette description est semblable à celle de l'équipage du paquebot allemand Bremen, qui naviguait dans l'Atlantique Sud. Sa machine s'arrêta sous le choc ; heureusement, l'équipage réussit, après des heures d'efforts, à remettre en route. L'équipage insiste sur l'importance du creux précédant la vague.
Des naufrages soudains, survenus à des unités réputées sûres
Des enquêtes ont conclu à l'implication probable de vagues scélérates au milieu d'une tempête dans la disparition soudaine de gros navires. Nous n'en citerons que quelques-unes comme :
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l'enquête sur le naufrage du minéralier MV Derbyshire en 1980, le navire de plus fort tonnage que le Royaume -Uni ait jamais perdu,
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le naufrage corps et biens du cargo allemand München, grand navire considéré comme particulièrement sûr,
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les accidents de mer survenus à de nombreux supports flottants de production offshore, Foinhaven, Schiehallion,
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la perte de la plate-forme semi-submersible Ocean Ranger avec 84 vies.
On peut aussi évoquer :
Le 27 Janvier 2005, les 700 étudiants embarqués à bord du paquebot de 180 m, l'Explorer, pour le programme universitaire "Semester at Sea" de l'Université de Pittsburgh (USA) ont observé de près, après une semaine de tempête, une énorme vague qui est venue briser les vitres de la passerelle et mettre hors service trois des quatre moteurs. Le navire a pu rejoindre Honolulu pour une semaine de réparations, avant de reprendre sa route vers Shanghai.
Le 14 Février 2005, en Méditerranée, par mer de force 8, une vague s'abattit sur la verrière de passerelles du Grand Voyager, un paquebot accomplissant une croisière de Tunis à Barcelone, avec à son bord 477 passagers et un équipage de 313 personnes.
Les petits navires aussi
Moins impressionnants pour les néophytes à la recherche de records absolus, les témoignages abondent également en ce qui concerne les petits navires, dont on pourrait imaginer qu'ils «bouchonneraient» sans chavirer, s'élevant et redescendant simplement sur les vagues précédentes, mais qui rencontrent parfois des vagues scélérates à leur échelle, aussi surprenantes que dévastatrices. Le grand public est plus enclin à remettre en doute le récit d'une poignée de survivants d'une coque de noix ou d'un petit bateau de pêche, pourtant bien au fait des conditions marines, que celui de plusieurs centaines de passagers au pied pas toujours très marin. On citera deux exemples remarquables, à même de convaincre les plus sceptiques de l'existence de vagues énormes inattendues :
Sir Ernest Shackleton, un gaillard dont l'héroïsme dans l'expédition antarctique de l'Endurance qu'il commandait est universellement reconnu, en rencontra une à bord du canot James Caird lors de la traversée de l'île de l'Éléphant vers la Géorgie du Sud à la recherche de secours. « Je lançai aux autres, raconte-t-il, que le ciel s'éclaircissait, puis je me rendis compte que ce que j'avais vu n'était pas une déchirure dans les nuages, mais la crête blanche d'une énorme vague. En vingt-six ans d'expérience de l'océan sous toutes ses humeurs, je n'en avais jamais rencontré d'aussi gigantesque.»
Les 22 hommes laissés sur l'île de l'Éléphant saluent le départ de Shackleton parti chercher du secours.
Trois jours plus tard, ayant abordé à la côte sud déserte de l'île, Shackleton réveilla ses compagnons en criant : «Attention les gars, accrochez-vous ! Elle déferle sur nous !». Il confondait la falaise noire couronnée de neige avec la vague qu'ils avaient éprouvée quelques jours plus tôt…
Malgré son nom à consonance française, la Mignonette était un yacht britannique de 16 m, en convoyage de Southampton à Sydney par un équipage de 4 personnes pour le compte de son acheteur John Henry Want, futur Procureur Général de la Nouvelle-Galles du Sud, de mai à juillet 1884. Le soir du 5 juillet, à environ 1500 milles dans le nord-ouest du Cap, les conditions de mer n'étant en rien inquiétantes, le capitaine Dudley fit mettre à la cape afin que l'équipage puisse profiter d'une bonne nuit de sommeil et envoya le mousse Richard Parker préparer le thé. En fait, à peine la manœuvre terminée, une vague démesurée surgit, frappa le yacht et arracha le pavois sous le vent.
Les 4 hommes n'eurent que le temps de sauter dans le canot et d'y jeter deux boites de conserve, sans autre nourriture ni eau douce ; 5 minutes plus tard la "Mignonette" avait coulé... Les aspects juridiques – trois des naufragés cédèrent au cannibalisme, et recueillis par un navire furent l'objet à leur débarquement d'un procès qui reste aujourd'hui encore un cas universellement étudié – et les similitudes extraordinaires avec le récit d'Edgar Allan Poe publié 50 ans plus tôt "Les Aventures d'Arthur Gordon Pym" – dans lequel 4 survivants d'un naufrage tiraient au sort, au dix-huitième jour, un certain Richard Parker pour le manger – ont quelque peu occulté l'événement sans lequel rien ne se serait produit : une vague scélérate !"
Recenser pour convaincre et comprendre
Les histoires, aussi véritablement vécues soient-elles, ont rarement le pouvoir d’inciter le navigateur et le promeneur littoral à la prudence. Elles ne permettent pas non plus à l’ingénieur de construire et d’exploiter avec confiance navires, plates-formes offshore et ouvrages côtiers. Il faut donc aller plus loin, donner des chiffres, mesurer les risques, et distinguer les vagues véritablement scélérates, c’est-à-dire inexpliquées, de celles parfaitement prévisibles pour qui s’en serait donné la peine.
Comment mesurer en pleine tempête ?
La vague scélérate se distingue par sa hauteur exceptionnelle bien sûr, mais aussi par sa cambrure, laquelle est plus encore un gage de sévérité ... et à condition qu'on dispose d'instruments permettant de mesurer ces paramètres, ce qui est rarement le cas à bord des navires : on se contente alors de mesurer les dégâts induits, mais qui dépendent aussi de l'attitude prise par le navire - corps flottant - au moment de l'arrivée de cette vague.
Les bouées ne suivent guère plus précisément le mouvement de la vague, mais leur comportement est plus facile à calculer pour en corriger les mesures. Seule la présence de capteurs enregistreurs sur des plates-formes insensibles aux mouvements de la mer en surface a permis, depuis la fin du 20éme siècle, de mesurer les contours mêmes de la vague.
Sans permettre la mesure individuelle vague par vague, les radars altimétriques satellitaires ont la capacité de fournir la "hauteur significative" de l’état de mer et d’évaluer ainsi la hauteur maximale la plus probable de la zone survolée. Bien que la mission première des satellites altimétriques soit de définir la topographie de la surface marine par la mesure du temps aller-retour du signal radar (satellite-surface de la mer), la forme de l’écho de retour permet d’évaluer la hauteur significative des vagues sur la zone "éclairée" en une seconde par le faisceau radar, soit environ 30 km2. Le radar satellitaire à synthèse d’ouverture (SAR) permet en revanche de distinguer les vagues individuelles, Il reste toutefois des problèmes de fiabilité et d’exactitude dans le passage des quantités mesurées (pentes à la surface) à l’élévation précise de la surface libre.
À titre d'exemple, lors de la tempête Quirin en Bretagne, des vagues géantes ont été mesurées par l'altimètre radar du satellite Jason 2 (opéré par le CNES, EUMETSAT, la NASA et la NOAA). La valeur de 20,1 m enregistrée le 14 février 2011 est la plus forte des "hauteurs significatives" mesurées par un altimètre depuis le début de ce type de mesures. Les statistiques des hauteurs de vagues suggèrent que la plus haute vague de Quirin mesurait probablement plus de 36 m de haut.
Au large ou à la côte
À l’origine, on voyait les "vagues scélérates" comme des vagues de pleine mer, loin des côtes. Des vagues levées par l’effet du vent, avec souvent des courants contraires. De ce point de vue, elles sont à distinguer d’autres vagues qui ne deviennent géantes qu’à l’approche des côtes, telles que :
- Les tsunamis (ou raz de marée) qui sont des groupes d’ondes solitaires (solitons) engendrés dans l’océan par les secousses telluriques (séismes).L’onde est dite «solitaire», ou soliton, parce qu’elle présente une unique éminence, mais les tsunamis comportent habituellement plusieurs solitons successifs et à la côte il faut se garder des suivants après l’arrivée de chacun d’entre eux. En grande profondeur, ces solitons ne présentent aucun danger pour la navigation.
- Les mascarets liés à l’onde de la marée montante dans certains estuaires ou embouchures de grands fleuves ; ils sont souvent dangereux pour la navigation, mais prédictibles comme la marée.
Avec l’intérêt croissant porté aux vagues scélérates, il est apparu qu’il ne fallait aucunement se restreindre aux dangers au large, et que la grande majorité des accidents dus à des vagues imprévisibles avaient lieu dans les eaux côtières ou à la côte même.
Les tsunamis ne sont pas les seules vagues pour lesquelles l’influence du fond joue un rôle amplificateur. Comme pour la ligne de sonde des 100 brasses, évoquée plus haut, les endroits où les ondes venues du large commencent à « frotter » sur le fond sont particulièrement sujets aux occurrences. Cela se traduit en effet par un ralentissement de leur progression, qui les fait «s’empiler», sans compter que la même énergie doit passer dans une hauteur d’eau qui se réduit de plus en plus et cherche à s’échapper vers le haut.
À l’arrivée sur la plage ou au pied de la falaise, la différence entre une grande vague et ses voisines peut encore s’amplifier, notamment du fait du « jet de rive ». Le jet de rive, runup en anglais, consiste en la poursuite, sur la pente montante du rivage, du mouvement d’une masse d’eau qui a reçu l’impulsion du déferlement d’une vague. Lancée sur ce plan incliné, l’eau peut ainsi monter encore bien plus haut que la vague qui l’a générée, et surprendre ceux qui se sont trop approchés, considérant la seule hauteur des vagues plutôt que l’avancée potentielle du jet de rive.
La fiabilité de la conception et de la construction
Après le naufrage déjà évoqué, du MV Derbyshire, minéralier de 294m, le plus grand navire britannique jamais perdu en temps de paix, la commission d’enquête a conclu que les panneaux de cale avant avaient été enfoncés sous le poids d’une vague scélérate alors que le navire était à la cape dans un typhon. A l’appel du professeur Faulkner qui présidait cette commission, la communauté scientifique s’est lancée dans les années 1990 dans les recherches sur ce sujet, tentant notamment de déterminer si les règles et recommandations de l’ingénierie navale étaient suffisantes face à ce phénomène, et si des mécanismes de formation pouvaient être mis en évidence pour les expliquer et mieux s’en protéger. Les scientifiques ne peuvent toutefois pas travailler sans le soutien concret de données, et c’est presque par miracle qu’une vague scélérate exceptionnelle a alors justement été précisément enregistrée et confirmée sans ambiguïté.
La "vague du Nouvel An" 1995
Des mesures de hauteur d'eau ont été faites sur la plate-forme Draupner E en Mer du Nord, au moyen d'un dispositif à écho laser (distancemètre) "regardant vers le bas", enregistrant la hauteur d'eau sous le capteur, chaque heure pendant 20 minutes.
Au cours d'une tempête telle qu'on en rencontre tous les cinq ou six ans, où les hauteurs crête-creux significatives étaient mesurées entre 10 et 12 mètres (cf. encadré), vers 15h20 le 1er Janvier 1995, une vague s'éleva inopinément à plus de 18 mètres au-dessus du niveau moyen et endommagea du matériel entreposé sur un pont provisoire.
Sverre Haver l'ingénieur chargé des questions océano-météorologiques à Statoil, qui avait été consulté quelques jours auparavant sur la possibilité de stocker ce matériel à ce niveau, avait évalué à 3000 ans la période de retour associée à un tel phénomène, et ses calculs laissaient penser que s'il se produisait jamais, ce serait avec des hauteurs crête-creux significatives de 16-18 mètres au moins.
Il était dès lors évident que les méthodes et les règles de l'Art utilisées pour cette estimation étaient en défaut particulièrement fragiles, et qu'il fallait chercher des études pour les améliorer.La communauté scientifique internationale s'attela à cette tâche, en commençant par essayer de rassembler des données utilisables sur les vagues extrêmes.
Les plates-formes pétrolières
Les données provenant d'observations sur les plates-formes pétrolières, telles celles de Draupner, ont l'avantage d'être quantifiées, car mesurées par des capteurs ou mises en évidence par des dommages observés à une élévation précise. Les règles présidant à leur construction et à leur sécurité ont été établies principalement lors du boom offshore du choc pétrolier, avec beaucoup plus de clarté et d’objectivité scientifique que celles de la construction navale qui avaient évolué par essais et erreurs pendant des siècles.
Dès les années 80, avant la vague de Draupner, plusieurs mesures avaient ainsi été enregistrées de vagues anormales par rapport à leurs voisines, mais des doutes pouvaient subsister sur la fiabilité des capteurs, sur l'absence d'artefacts liés à la montée de l'eau le long des piles ou aux embruns, et sur la présence de ces vagues extrêmes dans la succession somme toute régulière des trains de houle de tempête. Depuis 1995, quelques dizaines d'observations supplémentaires ont été faites par ce moyen dans le monde, et d'autres vagues remarquables, comme celle dite de l'Andrea (crête à 15 m pour une hauteur significative crête-creux de 9.2 m à Ekofisk), sont venues rejoindre celle de Draupner dans la liste des scélérates utilisables pour la recherche..
L'observation satellitaire
Les chercheurs ont également exploité les mesures faites par des satellites équipés de «radars imageurs» susceptibles de reconnaître les vagues individuelles, tels les premiers SAR (Synthetic Aperture Radar) des satellites ERS-2 et Envisat de l'Agence Spatiale Européenne.
Dans le cadre du projet MAXWAV de l’Union Européenne, l’exploitation de 30 000 images SAR recueillies en 3 semaines en février-mars 2001 au cours desquelles deux paquebots, le Bremen et le Caledonian Star ont été fortement endommagés par des vagues géantes dans l’Atlantique-Sud, a dénombré 10 vagues de 25 m et plus. Ainsi ces 3 semaines d'observation SAR-ERS2 ont confirmé que ces vagues géantes sont bien plus fréquentes que celles prévues par la théorie linaire, mais les difficultés inhérentes au principe de mesure n'ont pas permis de conclure quant à un éventuel dépassement de la théorie non-linéaire classique.
Ces radars imageurs n’étant pas exploitables en temps réels, c’est la hauteur significative des vagues, extraite du signal des radars altimétriques qui est diffusé aux services météorologiques. Bien que, comme il a été signalé plus haut, la mission première des satellites altimétriques soit de définir la topographie de la surface marine par la mesure du temps aller-retour du signal radar (satellite-surface de la mer), la forme de l’écho de retour permet d’évaluer la hauteur significative des vagues sur la zone "éclairé" en une seconde par le faisceau radar, soit environ 30 km2.
Pourquoi ces vagues inattendues ?
Où le phénomène se produit-il? Est-il possible d'établir une carte de sa localisation? Quand se produit-il? Est-il possible d'évaluer sa fréquence? Comment se produit-il? Quelles en sont les conséquences?
Ces questions se ramènent encore et toujours aux alternatives suivantes qui restent posées à la communauté des chercheurs et des ingénieurs.
Les vagues scélérates sont-elles simplement:
-
les extrêmes normaux de l'ensemble des vagues "communes", auquel cas ce serait simplement une tendance de l'observateur à s'endormir dans une tranquillité oublieuse de l'intensité des extrêmes qu'il faudrait accuser,
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ou bien des représentants d'une population de vagues différente, exogène, qui aurait des mécanismes spécifiques de génération et/ou de propagation?
Au bout de deux décennies, on a abouti à la conclusion remarquable … qu'on ne peut pas conclure théoriquement, les deux hypothèses sont possibles et ni l'une ni l'autre ne peut être absolument écartée.
D’une part, aussi scélérates soient-elles, les vagues les plus extrêmes n’excèdent pas les hauteurs maximales prédites pour la durée de vie d’une structure en mer. Elles ne sont surprenantes qu’en comparaison aux autres vagues du même état de mer, lesquelles sont « trop petites » en comparaison au moins autant que la scélérate est «trop grande».
D’autre part, des théories, très différentes de la simple hydrodynamique non-linéaire commune, s’ajustent presque parfaitement aux observations. Plusieurs laboratoires tentent de reconstituer, en bassin ou sur ordinateur et dans le respect des lois de l'hydrodynamique, des événements similaires à ceux qui ont pu être observés dans la nature. Ils utilisent pour la plupart des équations qui modélisent le phénomène dit de "focalisation non-linéaire". Il s'agit de l'adaptation à l'hydrodynamique de l'équation de Schrödinger bien connue en mécanique quantique, anciennement dénommée mécanique ondulatoire. Ces équations représentent les interactions entre systèmes de vagues qui se rejoignent, soit en provenance de directions différentes, soit en raison de leurs célérités différentes lorsqu'elles viennent de la même direction. On a ainsi pu penser avoir expliqué la vague de Draupner par l’équation de Schrödinger non-linéaire, qui en modélise l’évolution mesurée au point d’en apparaître comme une théorie irréfutable.
Quelle que soit leur cause, peut-on relier leur occurrence à certains signes précurseurs ?
Ces théories désignent un indicateur nommé BFI, « index de Benjamin-Feir », comme caractéristique de l’apparition des vagues scélérates. Les Météos Nationales expérimentent sa publication, dans leurs prévisions, pour identifier des tempêtes et des moments où des vagues scélérates peuvent se produire. Il est ainsi disponible dans les sorties de modèles du Centre Européen de Prévision ECMWF, Les vagues scélérates étant heureusement rares, et comme de plus, personne ne souhaite s'y exposer pour le plaisir de confirmer la théorie, la validation de ces indicateurs reste une tâche ardue. Cependant, il est maintenant consensuellement admis que le BFI est un détecteur, qui se déclenche a posteriori et n’a pas de valeur prédictive.
Et quand bien même on sortirait des statistiques ces cas de vagues « explicables » ou « théoriquement prédictibles », il reste un grand nombre de cas pour lesquels on ne peut trouver d'autre raison que de s'être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, ce qui n'est guère satisfaisant pour la tranquillité d'esprit du marin.
Modélisations statistiques
Indépendamment de ces travaux, on recherche sur les mesures disponibles des corrélations entre l'apparition de vagues exceptionnelles et des caractéristiques à différentes échelles de temps de l'état de mer ou de la tempête. Malheureusement, les hypothèses émises de "running fetch" (tempête dont le maximum se déplace en synchronisation avec le champ de vagues généré), ou de combinaison entre les systèmes créés avant et après le passage du front froid n'ont à ce jour pu être validées (ni éliminées).
Néanmoins, certains traits se dégagent des conditions de mer susceptibles de contenir une vague scélérate :
- trains de vagues en provenance d'une seule direction (sans garantie d'ailleurs que la vague scélérate ne se propage pas à un certain angle de cette direction),
- vent particulièrement violent dans les heures qui précèdent (ou mer particulièrement peu levée par rapport à la force du vent),
- vagues fortement cambrées, conditions de mer proches du paroxysme.
Au total, il semble que si, pour un navigateur, la probabilité de rencontrer une "vague scélérate" dans l'année est extrêmement faible, il reste que l'"espérance mathématique" de rencontrer le phénomène plusieurs fois par an, est notable pour l'ensemble de la flotte mondiale, d'autant que celle-ci continue à croître en nombre et en taille des navires.
Fin 2023, un article a défrayé la chronique pour avoir mis en œuvre les techniques les plus modernes d’intelligence artificielle en vue d’isoler les paramètres qui seraient caractéristiques de ces occurrences. Malgré la rigueur de ce travail et l’enthousiasme de ses auteurs, il faut bien constater que ses conclusions ne sont pas différentes des observations ci-dessus, qui avaient été faites au moins dix ans auparavant, ni même de celles que les auteurs avaient rapportées dans un précédent article réalisé avec leur seule intelligence naturelle.
Perspectives de prévision et d'alerte
On sait que certaines régions océaniques sont des zones à risque pour les vagues scélérates : certains affirment qu'il en existerait 19 dans le monde: c'est le cas particulièrement lorsqu'un courant s'oppose au vent. Néanmoins, il ne faut absolument pas en déduire que les autres régions seraient épargnées !
Par exemple, on a pu identifier de nombreux cas de vagues scélérates dans le courant des Aiguilles, au large de l'Afrique du Sud. Dans ce cas, le commandant de navire doit faire route pour éviter le courant quand il apprend par la météo que les conditions ne sont pas favorables.
Mais d'autres zones sont cataloguées "à risque" : le Golfe de Gascogne, la Mer du Nord, la Mer Baltique... En fait, ce catalogage est assez vain : le risque semble présent partout, les zones qui paraissent épargnées sont avant tout celles où il n’y a que peu de trafic maritime pour les constater. Certes,pour lesquels des services d'alerte auraient peut-être une utilité considérable. De tels services sont mis en œuvre par certains opérateurs pétroliers pour leurs plates-formes de mer du Nord, ils font intervenir des analystes météorologues mis en alerte 24 heures sur 24 dès que les conditions prévues dépassent un certain seuil.
Toutefois, on est très loin de pouvoir les étendre et les automatiser, en particulier parce qu’ils requièrent de compléter les sorties de modèles météo par des mesures précises de quantité de paramètres en des points névralgiques. La communication entre le prévisionniste et la victime potentielle en mer, et la conscience que cette dernière doit avoir de la nature aléatoire du risque, peuvent seules compenser la multiplicité des fausses alertes et les inévitables occurrences « normales », et donc imprévisibles car sans conditions particulièrement spéciales.
N’oublions pas
Les vagues peuvent aussi être dangereuses sans être, le moins du monde, scélérates : parfaitement prévues, ayant fait l’objet d’incitations à la prudence par les autorités, mais dépassant néanmoins les expectations du profane qui s’avance inconscient de la réalité du danger. Les foules qui se font régulièrement balayer par le mascaret Dragon d’Argent de la Qian-Tang ou par l’arrivée à la côte de la houle générée par un ouragan lointain d’une année El Niño, voient dans la scélératesse (ou le changement climatique) une bonne excuse pour ne pas avoir à rendre compte de leur imprudence caractérisée.
Rappelons à ce sujet également qu’une vague scélérate se définissant par rapport à ses voisines et étant toujours une combinaison de ces dernières suivant des lois physiques immuables, qu’on les connaisse ou non, un changement climatique ne peut pas en modifier la fréquence d’apparition.
Conclusion
Il reste un long chemin à parcourir avant que l'on puisse détecter avec fiabilité un accroissement du risque de vague anormalement haute ou cambrée, et qu'on puisse prôner, sauf en des endroits particuliers du globe, un dispositif de prévision opérationnelle des conditions d'occurrence de vagues extrêmes. Mais on a progressé dans la compréhension des causes du phénomène.
Il convient de rappeler aux navigateurs qu'il n'y a pas de borne théorique au rapport entre la vague maximale et la moyenne de celles qui la précèdent. Car si la vague scélérate est inattendue, n'est ce pas avant tout parce que nous nous endormons dans une fausse sécurité en ne jugeant du risque que sur la seule hauteur moyenne des vagues ?
Remerciements (de J.P Guinard, 2005)
Merci à Michel Olagnon, Chef de la Cellule Océano-Météo à Ifremer/Brest, qui m'a communiqué la plus grande part de la documentation utilisée dans ce papier et a bien voulu le relire et le corriger.
Et aussi à Jean Labrousse qui m'a incité à rédiger le présent document.
Pour en savoir plus :
Anatomie curieuse des vagues scélérates. Michel Olagnon et Janette Kerr. Édition Quæ 2015.
Wikipedia les vagues scélérates
Comprendre les vagues scélérates grâce à l'hélium superfluide Futura Sciences Juillet 2008
Le mystère des vagues scélérates éclairci par la lumière ? Futura Sciences Décembre 2007
Proceedings du séminaire "Rogues waves 2004 : des 20, 21 et octobre 2004 édité par Michel Olagnon et Marc Prevosto
Ship-sinking monster waves revealed by ESA satellites - 2004
Les vagues géantes de la tempête Quirin mesurées par Jason-2 CNES
Vidéos à voir :
Emission ARTE 2009 : Le mystère des vagues scélérates
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- Écrit par : Jean-Paul Guinard, José Gonella, Michel Olagnon
- Catégorie : Témoignages
Jacques Merle nous a quittés
Bruno Voituriez
Un simple coup de téléphone, et une partie de moi s’effondre : Jacques Merle, un ami de 60 ans disparaît.
Certes il n’avait pas le choix et il savait que l’échéance était proche. Moi aussi, mais on a beau le savoir on n'y croit pas. Il laisse pour moi un grand vide.
Entrés à l’Orstom la même année en 1965, nous devînmes très vite amis et n’avons jamais cessé de travailler, de publier ensemble et de correspondre. J’avais fait de Jacques indépendamment de toute religion le parrain de mon dernier fils. Le métier d’océanographe que nous exercions alors en toute liberté était passionnant. Pas d’administration centralisée et lourde.
Pendant de longues années, nous fûmes libres de construire nos programmes de recherche avec un navire à notre disposition : le Coriolis dans le Pacifique et le Capricorne dans l’Atlantique. Nous avons pu ainsi explorer les parties équatoriales de ces deux océans et identifier le phénomène El Niño dans l’ouest du Pacifique.
La prise de conscience du changement climatique survint alors et Jacques Merle fût l’un des principaux acteurs des programmes nationaux et internationaux qui s’y consacrent. Ce fût une explosion qui démarra en 1970 avec le programme GARP de l’Organisation Météorologique Mondiale qui deviendra le WCRP sous l’égide de l’OMM et de l’INSU en 1980. Ce programme mobilisera le monde entier et alimentera le GIEC. Jacques en sera l’un des principaux acteurs français. Ainsi en 1980-82 Jacques Merle fût-il le coordinateur du programme franco-américain SEQUAL et FOCAL, démarrage de WCRP dans l’Atlantique.
L’océanographie a fait un bond avec l’observation spatiale et notamment le satellite Altimétrique TOPEX-POSEIDON lancé en 1992. Jacques Merle y fut associé comme «Principal Investigator» pour les transports de chaleur dans l’océan Atlantique tropical dont il avait réalisé le premier atlas climatologique dès les années 70.
Affecté à UMR LODYC (actuellement LOCEAN) ) Paris VI, chef d’UR, il s’est battu ensuite pour faire aboutir son projet d’océanographie opérationnelle (à l’instar des modèles météorologiques) dont le résultat dans un premier temps fut un modèle numérique de l’Atlantique tropical nourri par les observations des réseaux de surveillance des océans largement mis en place par ses collègues de l’IRD. Ce fut un succès collectif, salué par nos amis d’outre-Atlantique.
Plus tard, après une dernière affectation à Nouméa comme délégué de l’IRD pour le Pacifique, devenu directeur du Département Milieu et Environnement de l’IRD, il continua le combat pour faire participer l’IRD, malgré les réticences de la Direction générale, à la création du GIP Mercator qui créa le modèle numérique français à haute résolution de l’Océan mondial, devenu modèle européen. Il en avait saisi tout l’intérêt que cet outil peut présenter pour nos partenaires du Sud dans leurs besoins régionaux.
À l’aube de sa retraite il fonde l’association des anciens de l’Orstom- IRD à laquelle il assigne des objectifs un peu top ambitieux vu l’état des troupes, mais qui continue ses sympathiques rencontres annuelles.
Jacques n’a pas oublié non plus la diffusion des connaissances en écrivant plusieurs livres très intéressants dont «Océans et Climat» et en participant à des ouvrages communs où l’on apprend tout sur le rôle de l’océan, dont les études présentées par la société savante dont il a été "un des membres fondateurs", le Club des Argonautes .. Tu as ainsi fait brillamment progresser la science et nous t’en remercions !
Jacques était aussi un être discret mais très cultivé. J’eus le plaisir d’avoir avec lui de très nombreuses discussions philosophiques soucieux qu’il était de comprendre le monde et persuadé que l’esprit supplantait la matière.
Fils unique, célibataire et sans enfants, il nous a donné un bel exemple d’une vie entièrement consacrée à la science.
Espoir ? nul ne sait ! Mais quoiqu’il en soit porte toi bien Jacques ; tu l’as bien mérité !
Témoignages de quelques collègues de Jacques
Catherine Gautier
Nous nous sommes rencontrés au RSMAS à Miami alors que je faisais un stage chez Eric Kraus. C’était à la fin du gouvernement Nixon et, à ce moment-là, comme beaucoup de fois d’ailleurs, nous avons eu de longues discussions passionnées et avec des opinions opposées, bien sûr. Cela ne nous a pas empêché de devenir de très bons amis car nous nous respections profondément. Nous avions été formés différemment lui en géographie et moi en physique et nous nous étions retrouvés à travailler à l’interface entre l’océanographie et la météorologie. Nous avons eu de longues discussions philosophiques sur la science et l’approche que certains de nos brillants collègues en faisaient. Moi je me lamentais que certaines théories soient soutenues par ceux-ci alors qu’elles étaient souvent démontées quelque temps après leur présentation. Lui trouvait que c’était une manière de faire avancer la science.
J’ai appris beaucoup sur les tropiques grâce à lui, alors que moi je l’aidais à voir l’apport des données satellitaires dans l’étude des milieux océaniques et atmosphériques.
Pendant de longues années, lorsque je venais à Paris nous allions déjeuner ensemble pour parler de nos intérêts souvent divergents. Mais il avait l’esprit ouvert. Et, comme je l’ai dit auparavant, c’est lui qui m’a présentée aux Argonautes et je l’en remercie ainsi que le groupe qui m’a acceptée malgré la distance.
Lorsqu’il a quitté Paris je suis allée lui rendre visite dans son Auvergne natale pour finalement voir sa maison dont il m’avait beaucoup parlé et faire la connaissance de son neveu. Il devenait difficile, si ce n’est impossible, de se parler par téléphone.
En fait, il y a seulement un peu plus d’un mois il m’a appelée, au début par erreur et ensuite voulant parler un peu. Malheureusement c’était au milieu de la nuit (je crois qu’il avait oublié la notion de décalage horaire) alors je n’ai pas persévéré. Je le regrette maintenant.
"Rest in Peace" mon ami Jacques !
Catherine Gautier
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Yves Dandonneau
Jacques Merle est l'un de ceux qui ont œuvré pour que les océanographes physiciens et les atmosphériciens français s’organisent et s’intègrent dans le réseau de programmes internationaux pour étudier le climat. Rude tâche, car lorsqu’il s’y est lancé, le paysage de la recherche climatique était très morcelé. Lui a-t-il fallu de l’autorité ? Non, à la place, il était bienveillant, et faisait toujours preuve de gentillesse. Et surtout, il aimait la recherche, admirait le questionnement et le raisonnement scientifique, et était passionné par les courants, les transports de chaleur, et tout ce qui touchait au climat. Loin de vouloir avant tout profiter de la montée des problèmes climatiques pour obtenir des financements, il a été animé par la conviction que c’était là une recherche utile, et belle. Et son chemin est jalonné d’amitiés profondes.
En témoigne cette appréciation de Georges Philander, professeur à Princeton, climatologue, qui fit partie de son jury de thèse et avec qui il partagea une très solide et durable amitié :
«The rapid progress in tropical oceanography over the past decade is in no small measure attributable to the contributions of Jacques Merle. When theoreticians started to study the variability of the tropical oceans in the early 1970's, they were motivated in part, by the fascinating measurements made by Merle and his ORSTOM colleagues, of seasonal changes in the currents and thermal fields of the tropical Atlantic and western Pacific oceans. These results concerned the remote effect of wind forcing in the equatorial wave-guide, and the equilibrium response of the tropical Atlantic ocean to the seasonally varying winds.»
Avant qu’il se retire dans son Auvergne, nous nous voyions de temps en temps dans un restaurant, avec quelques amis de l’ORSTOM. C’étaient des rencontres très agréables. Passer un moment en sa compagnie était un bonheur.
Yves Dandonneau
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Pierre Chevallier
J'ai accompagné Jacques Merle tout au long de sa dernière fonction comme Directeur du Département "Milieux et Environnement" de l'IRD au début des années 2000. Nous étions trois pour l'assister : Jean-Paul Rébert pour l'océanographie, Rémi Louat pour la géologie/géophysique, et moi-même pour l'hydrologie/pédologie. Nous nous retrouvions deux ou trois jours toutes les semaines dans les bureaux du dernier étage de la Rue Lafayette.
Nous déjeunions souvent ensemble à la cantine des Prudhommes ou à celle de la SNCF-Gare du Nord et les discussions entre tous les quatre étaient très animées, bien que rarement sur nos préoccupations irdiennes. Jacques nous parlait parfois de son séjour au Lamont-Doherty Lab à New York et de son amitié avec Georges Philander.
Jacques nous faisait une totale confiance pour la gestion et l'administration dans des disciplines qu'il connaissait moins, mais nous rendions compte et discutions collectivement de tout. Sa gentillesse et sa compétence faisait le reste, sans opposition, ni clash. Il n'hésitait pas à nous envoyer dans les situations les plus diverses lorsqu'il n'était pas disponible. C'est ainsi que je l'ai représenté lors de missions "officielles" de la Direction Générale de l'IRD en Tunisie ou au Mexique. Et aussi, souvenir étonnant, à l'évaluation quadriennale de l'IPGP au dernier étage de la tour de Jussieu face à Claude Allegre !
Il avait été très fier et ému , lui l'océanographe, de venir en Bolivie, où je l'accompagnais et où Bernard Pouyaud nous accueillait, et d'être monté à pied jusqu'au glacier Zongo à plus de 5000 m d'altitude.
Au moment de son départ en retraite, il nous a suggéré de lui offrir... une station météo qu'il devait installer dans sa maison d'Auvergne.
Pierre Chevallier
Voir l'article de Jacques publié sur notre site dans la rubrique : "Comment des membres du Club des Argonautes se sont orientés vers des recherches sur le changement climatique" :
L’émergence de l’océanographie physique en France
Voir aussi les videos archivées à l'INA :
Jacques Merle et la montée des océans
Menaces d'engloutissement du au réchauffement des océans (Jacques Merle à 1mn 50s)
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- Écrit par : Bruno Voituriez
- Catégorie : Témoignages
Robert Kandel, spécialiste de la physique du climat
En hommage à Robert Kandel, astrophysicien d'origine, puis spécialiste de la physique du climat qui a beaucoup œuvré pour l'amélioratondes connaissances et la diffusion à un large public, le club des Argonautes relaye la publication de sa fille Maya Kandel sur son Blog "Froggy bottom".
En 2022, j’ai perdu mon père, Robert Kandel, emporté par le Covid au début de l’année. Il aurait eu 85 ans aujourd’hui.
J’ai écrit ce texte pour rendre hommage à son travail, qui a toujours occupé une place importante dans sa vie.
C’était un scientifique, astrophysicien de formation, qui a commencé sa vie professionnelle en observant les étoiles depuis la Terre, avant d’inverser le regard et de se spécialiser sur la physique du climat quand le développement des satellites a permis d’observer la Terre depuis l’espace. Il a beaucoup écrit, des articles scientifiques, des articles et livres grand public aussi, en français et en anglais, et de nombreuses notes personnelles. Son dernier livre, la 5e édition mise à jour de son Que sais-je sur Le réchauffement climatique, a été publié en 2019.
Un grand merci à la famille d'avoir autorisé cette publication.
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- Écrit par : Argonautes
- Catégorie : Témoignages
Michel Lefebvre,
membre correspondant du Bureau des longitudes, membre de l’Académie de l’Air et de l’Espace, astronome, géodésien et océanographe.
Éléments illustratifs, 1933-2019.
François Barlier - Novembre 2019 - mis à jour novembre 2021
Sommaire
De la vie de Marin à l’astronomie
De l’astronomie à la géodésie spatiale
De la géodésie spatiale à l’océanographie spatiale
De l’animation de la communauté nationale spatiale en Géodynamique et Géodésie
De l’animation de la communauté européenne et internationale en Géodynamique et Géodésie
Développement de nouveaux programmes d’études des océans à partir des techniques spatiales
La retraite qui n’en est pas une
En guise de conclusions
À Michel qui nous a quittés
Hommages Nouveau !
Textes de Michel Lefebvre publiés sur le site des Argonautes
Très jeune Michel Lefebvre, né en décembre 1933 arpenta la mer dans le cadre de sa formation professionnelle ; il avait alors choisi d’entrer dans la marine marchande. À 19 ans, il commença sa formation en naviguant, il devint chef de quart et acheva sa formation comme Capitaine au long cours en 1958 ; il fit aussi son service militaire dans la Marine.
De la vie de Marin à l’astronomie
Suite à son mariage en 1956, Michel Lefebvre chercha une reconversion professionnelle plus compatible avec la vie familiale. Ses connaissances en astronomie fondamentale, nécessaires à la navigation, l’amenèrent à postuler à un poste d’assistant astronome à l’Observatoire de Paris.
Avec le soutien de Bernard Guinot, astronome et lui-même ancien Capitaine au long cours, il obtint un tel poste en 1960 dans le service d’astrométrie en charge de la détermination des paramètres de la rotation terrestre, de l’établissement des échelles de temps et de la synchronisation d’horloges. La recherche scientifique en plein développement à cette époque, avec le début de l’ère spatiale, faisait appel à de nombreuses compétences dont celles de Michel Lefebvre ; il participa immédiatement aux activités de ce service et notamment au service d’observation de nuit des astrolabes (2 à 3 nuits par semaine). Il utilisa le nouvel astrolabe Danjon dont les objectifs étaient une contribution à la détermination des paramètres du mouvement du pôle et à l’amélioration des catalogues fondamentaux des étoiles de références.
Michel Lefebvre, dans ce contexte, s’initia aussi à l’utilisation des nouveaux moyens informatiques tel l’IBM 650 à l’Observatoire de Meudon disponible à toute la communauté astronomique de la Région Île de France à partir de 1960.
Michel Lefebvre entreprit aussi des études pour compléter sa formation dans le domaine de la physique à l’Université et dans celui de la mécanique céleste au Bureau des longitudes ; il assista et participa aux séminaires hebdomadaires de ce Bureau qui constituèrent un véritable creuset de vocations scientifiques et de créateurs de liens et de coopération.
De l’astronomie à la géodésie spatiale
Une nouvelle opportunité se présenta alors, qui le conduisit à postuler à un poste d’Ingénieur au Centre national d’études spatiales (CNES) en septembre 1963 à la Division Mathématiques et traitement. Le CNES préparait en effet le lancement de satellites artificiels, cherchait à recruter des ingénieurs dans le domaine des diagnostics de satellisation et dans celui de la détermination des trajectoires des satellites. Il fallait notamment mettre en œuvre une chaîne de traitement utilisant les premières données de poursuite de la fusée lanceuse pour émettre un diagnostic rapide de satellisation, ce qui était crucial et critique lors d’un lancement.
Les premiers satellites lancés, Diapason et les Diadèmes I et II après le tout premier Astérix en 1965, mais qui n’a pas fonctionné en orbite, le seront avec succès en 1966 et 1967.
Le satellite étant mis en orbite, il fallait également le poursuivre ; on pouvait le faire :
- soit à partir de mesure de l’effet Doppler d’un signal émis depuis le satellite et reçu au niveau du sol (de nombreuses campagnes européennes eurent lieu pour déterminer les coordonnées géodésiques des stations réceptrices et le mouvement du pole avec les satellites américains Transit, fonctionnant sur ce principe),
- soit à partir d’une mesure de distance déterminée par la durée du temps de transit aller-retour d’impulsions laser ultra-courte émises sur rétro réflecteur à bord du satellite puis reçues en retour dans des stations dédiées.
Les premières mesures furent obtenues avec succès en janvier 1965 par le service d’aéronomie du CNRS à l’Observatoire de Haute Provence ; Michel Lefebvre, qui s’était personnellement investi dans ce domaine, participa ensuite à une Recherche coopérative sur programme (RCP) du CNRS rassemblant les géodésiens et les astrométristes français et dirigé par Jean-Jacques Levallois de l’IGN (Institut national géographique), dans le but d’établir une liaison géodésique Europe-Afrique à partir, en priorité, des données des satellites Diadèmes.
Cette RCP aboutira plus tard à la constitution du Groupe de recherche en géodésie spatiale (le GRGS) entériné lors d’une séance du Bureau des longitudes en février 1971 ; il sera dirigé par Jean Kovalevsky – un animateur hors pair de la communauté de mécanique céleste française – et lui-même directeur du centre de calcul du Bureau des longitudes.
Tout cela fut une heureuse occasion pour Michel Lefebvre, qui put ainsi orienter sa nouvelle carrière dans la géodésie spatiale.
Grâce aux données de télémétrie laser obtenues en France dans ce domaine de la géodésie spatiale, données très appréciées à l’étranger, Michel Lefebvre avec des collègues de la RCP, Georges Balmino et moi, sut saisir l’occasion exceptionnelle de pouvoir développer, des liens et une coopération étroite avec leurs collègues américains du SAO (Smithonian Astrophysical Observatory) et du GSFC (Goddard Space Flight Center), avec le soutien actif des responsables de programme au NASA Headquarters, qui s’avérera à terme extrêmement fructueuse.
De la géodésie spatiale à l’océanographie spatiale
Un colloque très opportun pour les géosciences spatiales, Terre solide et Océans, eut lieu à Williamstown (USA) en juillet 1969 ; il permit de faire émerger une perspective remarquable des applications potentielles de l’Espace en sciences de la Terre et des océans, applications qui faisaient alors déjà l’objet de nombreuses réflexions dans le monde scientifique ; «Earth and Ocean Physics» fut le thème du colloque ; ses conclusions furent claires et très appréciées par la direction du CNES et de la RCP. Michel Lefebvre qui s’était beaucoup investi, grâce à ses nombreux contacts outre atlantique, pour qu’une délégation française puisse y assister en fut grandement récompensé. On mesure aujourd’hui combien cela orienta beaucoup la géodésie et l’océanographie spatiale de la communauté française.
De l’animation de la communauté nationale spatiale en Géodynamique et Géodésie
Michel Lefebvre écrira avec moi un premier document important «Propositions à long terme en géodynamique», en avril 1970, largement diffusé dans la communauté intéressée où est décrit tout ce que l’on peut espérer obtenir en géodynamique à partir de l’analyse du mouvement des satellites artificiels.
Ce texte et le document associé serviront de référence dans la définition des objectifs scientifiques tant pour la création du GRGS en 1971 (Groupe de recherche en géodésie spatiale) que pour la fondation dans le début des années 70 du nouvel Observatoire à Grasse dans les Alpes Maritimes et du CERGA (Centre d’études et de recherche en géodynamique et en astronomie) où arrivèrent en octobre 1974 plusieurs équipes fondatrices décentralisées, dont celles de Jean Kovalevsky et moi).
Michel Lefebvre qui avait été nommé à la tête d’un nouveau département de géodésie spatiale au CNES vint s’installer à la même époque à Toulouse où le CNES venait de décentraliser toute une partie de son activité et créer un nouveau centre spatial.
Des liens très forts et réguliers demeureront entre le CERGA et le département de géodésie spatiale de Toulouse animée par Michel Lefebvre (cela se traduira par de nombreux voyages Grasse -Toulouse avec des arrivées par train de nuit à 6 heures du matin à la gare Matabiau où Michel et Claude Lefebvre venaient me chercher pour m'offrir un bon petit déjeuner avant de commencer la journée).
De l’animation de la communauté européenne et internationale en Géodynamique et Géodésie
Le concept décrit dans «les propositions à long terme en géodynamique» sera aussi mis en exergue dans les Journées luxembourgeoises de géodynamique créées par Paul Melchior directeur de l’Observatoire royal de Belgique à Uccle au début des années 70. Paul Melchior qui était directeur du centre international de marées terrestres avait établi une coopération avec le centre luxembourgeois de Walferdange dirigé par Jean Flick. Des appareils pour l’étude en commun des marées terrestres avaient été installés au Luxembourg dans les anciennes mines de gypse de Walferdange.
À l’occasion de séminaires à l’Observatoire royal sur ces sujets des collègues de l’Observatoire de Paris (dont Suzanne Debarbat, Nicole Capitaine du département d’astronomie fondamentale), des collègues de l’observatoire de Meudon (dont moi-même et Kurt Lambeck chercheur associé), des collègues du CNES (Michel Lefebvre, Georges Balmino, Anny Cazenave et d’autres), des collègues de l’Institut géographique national (dont Claude Boucher) prirent l’habitude de se réunir mensuellement avec ces collègues de Belgique et du Luxembourg à Walferdange dans une ancienne caserne. Très rapidement beaucoup de collègues originaires de toute l’Europe et aussi de pays non européens se joignirent pour assister à ces séminaires qui connurent un grand succès international.
Michel Lefebvre fut un participant régulier. Le tempérament de Michel, son enthousiasme exceptionnel, son charisme à rassembler des forces et des énergies non seulement chez les jeunes et les décideurs en France mais aussi à l’étranger, en Europe et aux États Unis permit alors d’influencer en profondeur avec succès dans tout ce secteur et d’y introduire les techniques spatiales. Il voyagea beaucoup et se rendit célèbre avec son gros sac rouge plein de documents pour convaincre ses amis de rencontre de s’associer à ce mouvement.
L’utilisation de la télémétrie laser dans la poursuite des satellites généra un gain considérable dans le calcul des trajectoires par rapport aux résultats obtenus avec les observations photographiques. La décision de proposer une expérience mondiale avec les données laser sera ainsi prise de manière unanime, le COSPAR (Committee On Space Research) ayant donné un avis favorable en 1970 lors de sa réunion annuelle.
L’expérience appelée ISAGEX (International Satellite Geodetic Experiment) sera coordonnée en France par Gérard Brachet, embauché par Michel Lefebvre à cet effet au sein de son équipe du département de géodésie spatiale. Ensemble ils avaient déjà visité plusieurs organismes spatiaux américains en 1969 avec qui la coopération dans ce domaine était un préalable indispensable ; ISAGEX sera un succès.
En 1978, Michel Lefebvre participa avec la communauté française en Allemagne à SCHLOSS/ELMAU à un grand colloque ayant comme objectif de définir un vaste programme européen de coopération SONG (Satellite Oceanography Navigation Geodynamics) ; les mots d’océanographie et géodynamique sont essentiels ; ce colloque fut le pendant européen de ce que les Américains avait organisé en 1969 à Williamstown. Ce sera une référence.
Michel Lefebvre fut appelé à siéger dans de nombreuses commissions à l’échelle européenne, ou en coopération avec les États-Unis avec le souci de participer à des programmes américains d’océanographie et d’altimétrie des océans tel GEOS 3 (1975) SEASAT (1978), GEOSAT (1985). On doit citer maintenant son rôle majeur pour la réussite d’un programme coopératif exceptionnel entre le CNES et la NASA aux États-Unis, le programme TOPEX/Poséidon (rassemblement de deux programmes spatiaux, l’un américain TOPEX, l’autre français Poséidon, dédiés à la mesure de la topographie des océans à l’aide de radars altimétriques embarqués).
Le satellite TOPEX/Poséidon sera lancé avec succès depuis Kourou en août 1992 ; ce programme marque encore les recherches aujourd’hui ; Michel Lefebvre joua un rôle majeur dans la promotion du système français de positionnement centimétrique de satellites embarqués sur Poséidon, le système Doris testé en 1990 sur le satellite SPOT2, auquel plusieurs de nos collègues américains ne voulaient pas croire (du « French bluff » disaient-ils). In fine cela permit pourtant de déterminer la topographie des océans à une précision centimétrique, ce qui était remarquable et cela permit une bien meilleure connaissance des océans ; ce fut un très grand succès pour tous. Topex/Poséidon sera suivi de satellites qui assureront la continuité et la pérennité des mesures, de la topographie des océans toujours pleinement d’actualité (série des satellites Jason) sans omettre non plus les satellites européens ERS 1 et 2 (1991 et 1994), ENVISAT (2000) et aujourd’hui les satellites Sentinels, la nouvelle série européenne d’études de l’environnement terrestre.
Michel Lefebvre fut toujours aux avant-gardes pour défendre tous ces projets ; à titre d’exemple il réussit à convaincre les instances européennes de mettre en œuvre l’orbite dite géodésique de ERS 1 avec une répétition des traces sur la mer et les terres de 168 jours essentielle pour la connaissance du champ de gravité de la Terre et de la topographie des océans pour un temps limité (l’orbite nominal avait une répétitivité de 35 jours pour les traces sur terre et sur mer).
Développement de nouveaux programmes d’études des océans à partir des techniques spatiales
Michel Lefebvre fit ensuite la promotion de nouveaux programmes océanographiques coopératifs associés et dans la suite logique des mesures altimétriques et de leur utilisation ; on peut citer en premier lieu le programme WOCE, programme de surveillance de la circulation océanique, (World Ocean Circulation Experiment), mis au point entre 1985 et 1990 et où Michel le Lefebvre fut coopté par Carl Wunsch, (océanographe de grande réputation internationale) pour s’occuper de la partie spatiale de WOCE, le programme WOCE fut ensuite adopté par la Commission Océanographique Internationale.
On doit ensuite signaler le programme MERCATOR, première réunion Mercator en 1995, qui est un projet d’océanographie opérationnelle pour établir une carte, décrire et prévoir les caractéristiques de l’océan mondial (MERCATOR est un nom rendant hommage a` l’inventeur de la projection cartographique qui porte son nom). Les représentants de Mercator assisteront ultérieurement et encore aujourd’hui à nombreuses réunions du Comité réunissant les directeurs d’organismes s’intéressant à` l’océan et au climat.
On peut encore signaler le programme GODAE (Global Ocean Data Assimilation Experiment) dont la première réunion aura lieu, en Afrique du Sud en 1996. Michel Lefebvre travaillera beaucoup sur ce sujet en coopération étroite avec Neville Smith en Australie.
Les programmes WOCE, MERCATOR, GODAE, furent encore précisés et améliorés dans une réunion célèbre qui aura lieu à La Chapelle-Aubareil en Dordogne en août 1995 où Michel Lefebvre avait une maison de campagne.
Michel Lefebvre organisa un atelier réunissant une trentaine de chercheurs et ingénieurs de Brest, Paris, Grenoble et Toulouse, beaucoup d’anciens amis et collègues avec comme objectif :
«Construire ensemble un projet de démonstration où chaque équipe s’engagerait».
Ce projet avait pour but de construire un système d’observation permanent de l’océan, ceci à l’échelle de la planète. À ce niveau, il fallait utiliser toutes les ressources disponibles. La conclusion de cet atelier sera :
«assurer impérativement le développement d’un modèle de prévision de l’état de l’océan à l’instar d’un modèle météo (modèle d’océan global à haute résolution ayant la capacité d’assimiler des données satellitaires et des données in situ afin d’être pré opérationnel dans un premier temps mais avec une vocation à devenir opérationnel».
Ce fut un succès et c’était visionnaire.
Michel Lefebvre eut aussi de nombreuses activités transversales dans l’enseignement (Sup’Aéros à Toulouse, ENSTA à Paris), il s’investit dans la formation de nouveaux chercheurs (par exemple dans l’Ecole d’été d’océanographie à Grasse en 1982) ; il fut aussi Conseiller aux activité de la Cité de l’espace à Toulouse ; il fut l’artisan de l’exposition itinérante qu’il appela «Inventerre» à la Cité de l ‘espace, au Palais de la découverte et ailleurs à laquelle Pierre Baüer participa. Il fut impliqué aussi dans certains programmes de planétologie (Planète Vénus par exemple !).
La retraite qui n’en est pas une
Bien que retraité du CNES en 1994 (à son grand regret), Michel continua à agir et interagir de manière permanente et avec efficacité dans le domaine de l’océanographie et de la géodésie spatiales, cela dans le cadre du Bureau des longitudes et du club des Argonautes autour de trois thèmes principaux, «Climat, Energie, Océans» ; il le fit à la grande satisfaction de tous jusqu’à son dernier souffle en juillet 2019 et participa à des ouvrages collectifs sur le Climat :
- Climat, Une planète et des Hommes (éd, Le Cherche midi, 2011, présenté par Erik Orsenna et Michel Petit, avec la participation d’Alain Juppé et Michel Rocard) ;
- puis Climat, Le temps d’agir (éd. Le Cherche midi, 2015, coordonné par Michel Petit, préfacé par Laurence Tubiana avec une postface d’Erik Orsenna).
Il écrivit aussi avec moi deux textes sur l’histoire de la géodésie et de l’océanographie spatiales très instructifs :
- l’un en anglais publié dans The Century of Space Sciences «A new look at Planet Earth: Satellite geodesy and geosciences», 1623-1651, 200,1 Kluwer Academic Publishers, printed in the Netherlands,
- l’autre en Français «En attendant Galileo...La Terre mesurée depuis l’Espace; de Diapason à Jason (2001), la contribution française» publiée dans la revue NAVIGATION volume 51, numéro 202, Avril 2003.
En guise de conclusions
On retiendra le caractère un peu atypique de la carrière de Michel Lefebvre qui a débuté sa profession dans la marine marchande, mais aujourd’hui quels résultats il a obtenu ! Résultats qui marqueront l’histoire de l’océanographie spatiale.
On doit rendre un grand et spécifique hommage à ses qualités humaines et scientifiques qui furent essentielles dans son succès. En 2010 il avait organisé chez lui une petite fête qu’il avait intitulé «les noces d’or de l’amitié» où il avait rassemblé beaucoup de ses amis avec lesquels il échangeait depuis les années 60.
À ce stade comment ne pas citer encore les noms de quelques collègues (à ajouter à tous ceux déjà cités) et avec lesquels Michel eut tant d’échanges fructueux et amicaux, souvent quotidiens à certaine période :
Jean-Francois Minster, Jean-Louis Fellous, Guy Duchossois Jim Marsh, Raymond Zaharia, Jean-Claude Blaive, Christian Le Provost, Jean-Louis Pieplu, Jean-Claude Husson, Yves Ménard , François Noüel, Annie et Marc Souriau, Claude Broissier, Geneviève Raphanel, Martine Mena, Nicole Lestieu, Michel Cazenave, Philippe Escudier, Richard Biancale, Jean Pailleux, Rosemary Morrow, Christophe Boissier (Shom à Toulouse), Pierre Bahurel (Mercator Ocean international, CNRS, Ifremer, IRD, Météo-France, Shom), les équipes GET et LEGOS de l’Observatoire Midi-Pyrénées,...
liste horriblement incomplète mais seulement donnée ici comme quelques points de repères dans le temps des si nombreux échanges de Michel de nature scientifique ou administrative au cours de sa carrière ; derrière chaque nom il y a une richesse d’échanges... mais hélas beaucoup d’entre eux des noms cités nous ont déjà quittés !
On peut ajouter ici que Michel aimait lire et citer beaucoup de poètes et de philosophes, Saint Exupéry (Citadelle), Prévert, Marie-Noëlle, Superveille. il aimait notamment aussi les ouvrages de Jules Verne tel «la Terre sans dessus dessous» qu’il lisait, relisait et faisait lire !
Il aimait aussi beaucoup diffuser les connaissances scientifiques, notamment en océanographie à tous comme avec Vinca Rosmorduc lors des meetings de l’océanographie spatiale (l’OSTST) avec le «Outreach education and altimetric data service» mais aussi au monde des jeunes et même des enfants, ce qu’il aimait à appeler le «Faire savoir».
Dans ce contexte il adorait ce conte écrit par les enfants sur le Dieu de la mer et qui commence ainsi :
«Il y a très longtemps toutes les terres se donnaient la main et un immense océan les rafraîchissait ; l’océan était habité par un dieu appelé «Poséidon…». On retrouve le nom de Poséidon si cher à Michel...
Il a ainsi inspiré et soutenu le magnifique céderom «Les géonautes enquêtent sur les océans» qui a valu un prix du «Faire Savoir» à son auteur et notre collègue Pascal Bonnefond !
Michel Lefebvre a reçu de nombreuses distinctions et prix. Il fut ainsi promu au grade de chevalier de la Légion d’honneur en 2012 (Michel eut la gentillesse de me demander de lui remettre l’insigne correspondant). Il prépara aussi en 2010 un Curriculum vitae très détaillé de sa carrière de manière fort opportune et qui est toujours accessible au Bureau des longitudes. Un journaliste, Yves Garric, lui consacra aussi un livre «Michel Lefebvre, marin de l’Espace ou comment un capitaine au long cours devenu astronome a fait bouger l’océan» 2008, (Loubatières Sciences éditeur). Cet ouvrage lui fait aussi un grand hommage.
Michel nous a quitté le 21 juillet 2019 et de très nombreux témoignages d’estime et de reconnaissance ont alors été exprimés de la part du monde scientifique, ainsi de plusieurs de ses amis américains comme :
Stan Wilson, Byron Tapley, Victor Zlotnicki, David Halpern,
Lee-Lueng Fu : "It is with great sadness to inform you of the passing of Michel Lefebvre... He was a geodesist with a profound vision the potential of satellite altimetry and had been a key figure in pushing the boundary of altimetry…",
Kurt Lambeck d’Australie : "That is indeed sad news. The passing of Michel is a loss to many of his friends and a loss of one of the founders of GRGS with its many successes that can be attributed to Michel's contributions…",
Paul Paquet de Belgique : "C'est une bien triste nouvelle que d'apprendre le décès de Michel… En 2007 et de manière tout à fait imprévue, j'ai eu la chance de passer un moment avec lui lors de la remise, par l'Université Catholique de Louvain des Insignes de Docteur Honoris Causa à Erik Orsenna. Malgré son état de santé il avait gardé l'enthousiasme que nous lui connaissions. C'était un scientifique novateur qui m'a toujours impressionné par ses capacités à concevoir et proposer de nouveaux projets scientifiques" .
Un très récent hommage a été encore exprimé lors du colloque d’océanographie à Chicago en octobre 2019 et il est rédigé comme suit : «Captain of the merchant navy, geodesist , driving force, inspiring person, he has been and was all that and more ».
Un dernier et chaleureux hommage, non le moindre, illustré par quelques belles photos de différentes époques, lui a été rendu par Anny Cazenave en présence de sa femme Claude Lefebvre et de leur fils Marc, à Toulouse, le 22 novembre 2019 dans le cadre de l’Académie de l’air et de l’espace sous la présidence d’Anne-Marie Mainguy.
C’est avec beaucoup d’émotions que nous nous associons à tous ces hommages. Nous exprimons notre vive sympathie à son épouse, à ses enfants, à Sylvie Salles, son assistante de vie et à toute sa famille qui l’ont soutenu sans faille jusqu’au bout.
Nous remercions particulièrement Pierre Baüer qui nous a beaucoup aidé dans la rédaction de cet hommage.
À Michel qui nous a quittés,
Voici de Bruno Voituriez, président du Club des argonautes et membre de l’Académie de marine, un ultime message :
«Hello Milef, Félicitations : tu viens de franchir avec succès une nouvelle étape de ta brillante carrière qui est un exemple pour nous tous. Marin tu regardais les étoiles : tu devins astronome. Et tu te dis pourquoi de l’espace ne pas regarder la mer ? Ainsi grâce à toi naquit le satellite Topex/Poséidon qui obligea L’océan à se dévoiler dans sa totalité et ses caprices : méandres, tourbillons et autres variations qui déroutaient l’observateur jusqu’alors impuissant. Cet océan que tu définissais si bien dans cette devinette :
Qui suis-je ?
On me dit pacifique ?
Je suis turbulent
Je suis un agité
Il m’arrive de m’échauffer
De passer par toutes les couleurs
Et même en furie
Je suis soumis à la dissipation
Je ne connais pas (peu) d’hommes
J’ai mes humeurs
Je suis pour résumer
Totalement IMPREVISIBLE
Grâce à toi pourtant l’océan est devenu un peu plus prévisible et les hommes que tu qualifies de géonautes ont fait quelque progrès dans le pilotage de la Terre. Merci à toi Michel qui a ouvert la voie. Tu es entré maintenant dans une autre dimension spatio-temporelle en montrant aussi l’exemple jusqu’ à la fin de ce qu’est une vie réussie. Tu nous donnes, par ton exemple, l’espoir de réussir nous aussi ce dernier passage. Mais cela n’efface pas ce manque irremplaçable : ta présence.
À bientôt ? BV»
Hommages
Livre : Michel Lefebvre Une vie entre les étoiles et l'océan
Sud concepts Presse et Édition
Ouvrage réalisé à l'initiative de Claude Lefebvre et Richard Clavaud, avec la participation de nombreux amis et collègues de Michel.
<<< Cliquer sur l'image pour découvrir quelques pages.
Avant-propos
Cet ouvrage collectif est un hommage à Michel Lefebvre. Avec son épouse Claude, nous avons souhaité retracer sa carrière et rappeler ses engagements, évoquer l'océanographe et le citoyen, l'ingénieur et le poète. Car "Michel a eu plusieurs vies".
Nous avons fait appel à ses collègues et amis, rassemblé des témoignages - reçus lors de son décès, écrits ou réalisés pour cet ouvrage - repris certains textes fondateurs ainsi que des extraits de son recueil littéraire "Océanez-vous".
Tou.te.s celles et ceux qui témoignent ici partagent le sentiment d'avoir rencontré une personnalité exceptionnelle. Du fait de sa vision de pionner,de sa capacité à mobiliser, à affronter tous les défis et aussi de ses qualités humaines : enthousiasme inébranlable, sa capacité d'écoute, sa bienveillance.
"Passeur de savoirs", Michel m'a accompagné pour l'édition de plusieurs ouvrages réalisés avec la communauté scientifique et industrielle du spatial qui oeuvre pour une meilleure connaissance de la planète et, plus particulièrement, des océans et du changement climatique.
Tou.te.s ensemble, nous ne l'oublierons jamais.
Copernicus Days à la Cité de l'espace le 23 octobre 2021
La conférence "Climat" a été dédié à la mémoire de Michel Lefebvre.
Textes de Michel Lefebvre publiés sur le site des Argonautes :
Michel a largement participé à l'enrichissement du site internet du Club des Argonautes, avec des textes à plusieurs facettes, historiques, scientifiques, humoristiques et même philosophiques. Qu'ils soient drôles ou sérieux, ils comportent toujours un ou plusieurs messages...
Grégorien 2003 : Rapprochement entre le discours prononcé à la Convention par l'Abbé Grégoire.... Michel Lefebvre. Début 2003.
Onze ans en orbite pour TOPEX POSEIDON. Septembre 2003.
La Connaissance de la planète Terre et de sa dynamique : les systèmes spatiaux : une contribution décisive. Enjeu Terre, un vouvel enjeu majeur. Novembre 2003.
Williamstown - 1969 passage prémonitoire. Décembre 2003.
Les méthodes de mesure des courants marins, extrait du livre de A. BERGET 1919. Février 2004.
L'avenir de l'Océanographie vu en 1919 par A. Berget et... l'ETM. Février 2004.
Géonautique - Apprendre à piloter la terre. Nous sommes des géonautes. Novembre 2005. Avec Bruno Voituriez.
Le testament du Capitaine Nemo. Trois cent millions de lieues au-dessus des mers. Juin 2005. Avec Bruno Voituriez.
En attendant GALILEO... La Terre mesurée depuis l’Espace : de DIAPASON (1966) à JASON (2001), la contribution française. Janvier 2006. Avec François Barlier.
Pour ne pas perdre le nord - sans dessus dessous. Décembre 2006.
La lune à la une, pour être bien lunés REVISITEZ LA LUNE. Décembre 2006.
Relever le niveau. Février 2007.
Procès de la Terre. Mars 2007.
Dialogue entre Océan et Atmosphère. Fantaisies pour couplages échangistes. Mars 2007.
Année de l’astronomie. Petite Galliléade Galilée à l’Académie des Sciences. Janvier 2009. Avec Bruno Voituriez.
La Terre est ton navire. Les coups de cœur de Michel Lefebvre. Océanez vous. Recueil de textes poétiques et philosophiques. Novembre 2012.
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- Écrit par : Frabçois Barlier
- Catégorie : Témoignages
Isaac Revah, un scientifique dans son époque
Pierre Bauer. Février 2021.
Isaac Revah est à l’origine un expérimentateur tourné vers l’observation de l’atmosphère. Il développe avec André Spizzichino, au début des années 60, au Centre National d’Études des Télécommunications (CNET), un radar météorique (1) qui permet d’appréhender les ondes de gravité de l’atmosphère entre 80 et 110 km d’altitude, objet de sa thèse de doctorat. Il participe ensuite, avec André ainsi que d'autres collègues (Michel Aubry et Philippe Waldteufel), à la création d'une nouvelle équipe consacrée à l’étude de la convection atmosphérique grâce au développement d’un radar à effet Doppler qui détecte les échos des hydrométéores présents dans les nuages. Le système de radar «RONSARD», s‘avérera, à partir de 1974, au cours d’une trentaine d’années, d’un apport remarquable dans l’étude des systèmes frontaux ainsi que des événements convectifs (notamment les lignes de grains en Afrique).
Crédit CNRS
Promu directeur du «Centre de recherche en physique de l’environnement terrestre et planétaire» (CRPE), son champ d’intérêt s’élargit à la télédétection de la Terre et de son environnement au service de la société. Il est ainsi à l’origine, avec Roger Gendrin, d’un DEA « méthodes physiques en télédétection » à l’Université de Paris VII.
Il rejoint en 1984 le Centre National d’Études Spatiales en tant que directeur des programmes. Sa nouvelle «direction» accroît encore son champ d’activité aux sciences de l’Univers, de la Terre et des océans, ainsi qu’à la physique en apesanteur et il garde un profond attachement à développer l’utilisation de l’espace au service de la société. Il apporte en particulier son soutien au développement d’universités d’été, ouvertes aux professeurs des lycées et collèges, sur le thème «espace et environnement». C’est au cours de son mandat que sont lancés, au niveau national et européen, de grands programmes d’observations des océans, des surfaces continentales et de l’atmosphère.
Jeune retraité du CNES (c’était la règle à cette époque), il devient, après une brève période au service de l’Académie des sciences, directeur exécutif du COSPAR (Committee On Space Research), instance internationale dépendant du Conseil International pour la Science. Ce grand forum pour la science spatiale s’inscrit dans une démarche sociétale.
Dégagé en 2007 de cette dernière responsabilité, Isaac Revah se tourne vers son passé ; né à Salonique (Thessalonique maintenant) en 1934 et disposant d’un passeport espagnol (diaspora juive espagnole implantée à Salonique à partir de 1492), il est déporté avec sa famille au camp allemand de Bergen Belsen. Il est sauvé grâce au consul espagnol Sebastían de Romero Radigales, qui organise à travers de multiples péripéties le rapatriement depuis le camp vers l'Espagne du groupe d’espagnols juifs de Salonique. Il arrive enfin en France à 14 ans après avoir séjourné au Maroc et en Israël. Il consacra les dernières années de sa vie à exposer les mérites de celui à qui il devait son salut, et milita (avec succès) pour qu’il fut reconnu Juste parmi les Nations en 2014. Son témoignage, décisif, figure sur la page de Wikipedia consacrée à Sebastian de Romero Radigales.
Isaac Revah, avec cet engagement ultime, laisse le souvenir d'un chercheur de qualité, doué d'une gentillesse rare, et de qualités diplomatiques qui ont assuré sa réussite dans les multiples fonctions de responsabilité qui lui ont été confiées.
(1) Radar qui capte quelques milliers d’échos journaliers laissés par des traînées ionisées dues aux impacts de micrométéorites dans la haute atmosphère (~80 km).
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- Catégorie : Témoignages
Le Mètre de l’Académie royale des sciences...
...au Bureau des longitudes.
Pierre BAÜER et Suzanne DEBARBAT
Suzanne Débarbat est affiliée au Bureau des longitudes et à l’Observatoire de Paris. Pierre Baüer est affilié au Bureau des longitudes, et membre du Club des Argonautes.
Introduction
La disparité des unités de mesures observée avant la Révolution française avec notamment des mesures agraires qui diffèrent entre deux villages voisins, voire au sein du même village, ne constitue pas un cas isolé mais reflète une situation générale en France et dans le reste de l’Europe. En effet, en dépit des efforts visant à unifier les unités de mesure à l’époque Romaine, sous Charlemagne puis sous le règne de nombreux rois de France, de multiples freins, liés en particulier au pouvoir des seigneurs, s’opposent à une telle unification jusqu’à l’aube du siècle des Lumières. C’est la Révolution française qui engagera un processus décisif d’unification des mesures en France et dans le monde entier avec la création du «système métrique décimal».
Plan du document:
Á L'AUBE DU SIECLE DES LUMIERES
LE PENDULE DE RICHER A CAYENNE
DES CARTESIENS... PEU CARTESIENS AU SIECLE DES LUMIERES
LA REVOLUTION FRANÇAISE... IMPULSION DECISIVE DE L'UNIFICATION DES MESURES
LE METRE PROVISOIRE DE 1793
LE BUREAU DES LONGITUDES
LES PROCES VERBAUX DU BUREAU DES LONGITUDES (1795 1799) REFLETS DE SA MISSION EN METROLOGIE
Bibliographie
Extrait de l'Annuaire du Bureau des Longitudes
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- Écrit par : Pierre Bauer et Suzanne de Barbat
- Catégorie : Témoignages