Ce 213ème rendez vous (et 22ème anniversaire) du Club a été l’occasion de retrouvailles avec la salle du Bureau des longitudes
à l’Institut de France, à son nouvel emplacement gagné sur le bâtiment de la Monnaie de Paris : nous ne nous y étions pas réunis depuis mars 2014.
Terres rares très recherchées aussi en océanographie
Catherine Jeandel rejoint le Club des Argonautes. Chercheuse du CNRS au Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiale de Toulouse, son thème de travail était l’apport des terres rares comme traceurs des courants et des processus océaniques. Alors que les grandes puissances se disputent les gisements de terres rares indispensables aux technologies modernes, les océanographes se satisfont de très peu : en effet, on ne les trouve en mer qu’en très petites quantités, en raison de leur faible solubilité. Mais les spectromètres de masse modernes parviennent à les mesurer, et la signature isotopique de ces éléments, en particulier celle des isotopes du néodyme, est riche d’enseignements. Les terres rares ont tendance à s’attacher aux particules marines qui, dans leur sédimentation, les entraînent en permanence vers les fonds océaniques. Cette perte doit être compensée par une ou plusieurs sources, et l’idée qu’on pouvait en avoir est que, comme pour beaucoup d’éléments dans l’océan, ces sources étaient probablement les apports des fleuves et/ou les poussières atmosphériques. Mais ces hypothèses ne permettaient pas bien d’expliquer de façon satisfaisante la distribution des signatures isotopiques des terres rares dans l’océan. Les travaux de Catherine Jeandel ont permis de démontrer qu’il fallait plutôt chercher ces apports dans les sédiments situés sur les talus continentaux, constamment soumis à l’agitation due aux ondes internes océaniques. Le renouvellement permanent de l’eau de mer autour des particules du sédiment permet une dissolution très lente mais continue des terres rares : un processus qui pourrait bien s’appliquer aussi à la silice.
Le changement climatique : tendance moyenne et évènements extrêmes
Alimentée par la fonte des glaces terrestres et par la dilatation des océans, la hausse du niveau moyen des océans est bien prévue, en fonction de la hausse de la température moyenne à la surface du globe. Cependant, la menace que représente cette hausse n’est pas tant dans sa valeur moyenne, que dans les surcotes atteintes notamment lors des tempêtes. Ces surcotes seront elles de même amplitude que les surcotes actuelles, atteintes par exemple lors de la tempête Xynthia en 2010, ou bien l’effet du changement climatique sera-t-il de les diminuer ou de les augmenter ? C’est en effet en fonction de ces surcotes qu’il faut définir les dispositifs d’adaptation, car ce sont elles qui occasionnent les dégâts. D’autre part, localement, la tendance à long terme à la hausse du niveau moyen des océans se combine avec les mouvements verticaux des continents, qui souvent dans les grandes villes côtières sont des mouvements de subsidence accentués par le pompage intensif dans les nappes phréatiques. Les données du problème sont donc le plus souvent locales et indiquent que la réponse adaptative devrait s’appuyer sur des études à une approche plus régionale.
Un autre risque est celui des tempêtes et des inondations : celles ci seront elles plus fréquentes ? Plus intenses ? Sur le site de Météo France, les statistiques montrent pour la fréquence des tempêtes une courbe en cuvette qui ne suggère pas de lien avec le changement climatique. Pour les « avis de coup de vent » (soit plus de 57 km/h), et selon la région considérée, une augmentation de leur fréquence est prévue. Une forte diversité locale suggère que les conditions futures auxquelles il faudra s’adapter devront privilégier des approches régionales.
L’eau profonde : une ressource qui refait surface
C’était un des sujets préférés du Club des Argonautes lorsqu’il s’est constitué : le principe consiste à faire évaporer un gaz à la température de l’eau de surface des océans tropicaux (25 à 30 °C) et à le condenser à une température plus basse (< 5 °C) qu’on trouve à quelques centaines de mètres de profondeur, afin d’utiliser le mouvement du gaz pour actionner une turbine et produire de l’électricité. Notre spécialiste était Michel Gauthier. Les ressources existantes sont énormes (pratiquement tout l’océan tropical), mais les difficultés le sont aussi : l’exposition aux tempêtes, l’encrassement des conduites, et l’énergie nécessaire pour amener l’eau profonde en surface. Après l’intérêt porté à cette ressource dans les années1990 à 2010, les projets ont pour la plupart été peu à peu abandonnés. Cependant, la société Airaro, installée à Tahiti, a tenu bon et a obtenu quelques succès : au lieu d’utiliser l’eau profonde comme la source froide d’une machine thermique, elle peut être utilisée simplement pour climatiser des locaux. C’est ce que fait Airaro depuis plusieurs années dans des hôtels et hôpitaux de Polynésie Française et, peut être bientôt, à l’Ile Maurice. Ce marché s’élargit avec le développement de l’intelligence artificielle et la multiplication des centres de données, très gourmands en énergie et en besoin de refroidissement. Il s’élargira peut être aussi sur la production d’eau douce par osmose inverse de l’eau de mer, qui nécessite de filtrer à très haute pression. Ceci se pratique déjà un peu partout où on manque d’eau, mais à un coût élevé à cause de l’énergie à dépenser pour produire la pression voulue. Or, cette pression existe dans la mer, à raison d’environ 1 bar par 10 m de profondeur, la difficulté restante consiste alors à pomper l’eau douce produite jusqu’en surface. Et, signe qu’un changement s’opère, le gouvernement de Polynésie a déclaré sa volonté de « soutenir les projets de développement des filières d’énergie marine ». Bien sûr, Airaro est sur les rangs.
Difficile de ne pas parler de Donald Trump…
Comme lors de son premier mandat, et plus encore, il bouscule tout ce que nous, scientifiques, jugeons indispensable et aimons dans notre métier, la recherche de vérité, la passion et la liberté des échanges. Ainsi, Niel Jacob qui avait été nommé responsable de la NASA sous Trump1 pourrait être renommé à ce poste. A l’époque, son objectif était de promouvoir une politique transactionnelle (une donnée en échange d’une donnée), tout en empêchant l’accès des données aux chinois, qui ne leur étaient d’ailleurs pas accessibles pour des raisons juridiques. Cela ne s’était pas produit sous Trump1, mais reste possible sous Trump2. Pour nous européens, la situation n’est plus la même : du fait de la priorité affichée aux USA pour les programmes autour de la Lune et de Mars, et de la montée en puissance d’opérateurs privés (en particulier Elon Musk). nous récoltons maintenant davantage de données par satellite que les Etats Unis d’Amérique (moins données in situ cependant). Beaucoup de menaces viennent en violation d’accords anciens que l’administration Trump ne respecte aucunement. En résumé, tout ce qui repose sur des financements « recherche » est menacé.
Illustrations :
- Un chercheur français qui se rendait à une réunion aux Etats Unis aurait eu sur son PC des données sensibles qu’il n’aurait pas du avoir en sa possession : il a été refoulé. Dans ce contexte d’une réunion de spécialistes aux USA, il est probable que n’importe lequel des participants était certainement en possession sur son PC de données qui auraient pu être considérées comme « confidentielles ». Pourquoi ce chercheur a-t-il été ciblé, alors qu’à l’arrivée aux USA, ce sont seulement 0,7 % des voyageurs qui sont fouillés. Dans les labos français circule un mode d’emploi sur le ton de l’humour pour que chacun puisse nettoyer son PC de toute référence à la diversité ou à l’environnement lorsqu’il se rend aux USA, afin d’éviter ce genre d’incident.
- Le contrat de location de l’observatoire de Mauna Loa est résilié ! C’est dans cet observatoire que sont réalisées depuis la fin des années 1950 les mesures de concentration en gaz carbonique de l’atmosphère, dont l’évolution dite Courbe de Keeling est un des éléments les plus significatifs pour illustrer le rôle du gaz carbonique sur le réchauffement global. Espérons qu’un mécène reprenne à son nom le contrat de location.
- L’administration Trump a ordonné la fin des échanges scientifiques de données entre la National Oceanic and Atmospheric Administration américaine et son homologue en France : l’IFREMER.
- etc...
Modéliser le climat : les incertitudes
Que le climat se réchauffe est une certitude, mais quels en sont tous les moteurs et les freins reste un long chantier. Le programme TRACCS (Transformer la modélisation du climat pour les services climatiques) a été élaboré afin que ceux qui développent les modèles d’évolution du climat confrontent leurs expériences et proposent des améliorations à ces modèles. La dernière réunion TRACCS en mars dernier était consacrée aux incertitudes. Le réchauffement du climat est certain, et il se confirme d’année en année. Mais les incertitudes sur son devenir subsistent, plus ou moins marquées, dans tous les domaines, à commencer bien sûr par notre comportement d’humains dans le futur, et aussi les incertitudes sur les modèles eux mêmes, et celles sur le rôle des écosystèmes. On ne peut pas reprocher aux chercheurs qui étudient le climat de ne pas s’y intéresser : au contraire, ils y consacrent beaucoup d’attention. Preuve d’humilité de leur part, il y a même été question d’« incertitudes inconnues ».
Lectures à éviter absolument
François Gervais, auteur de « Il n’y a pas d’apocalypse climatique » (aux éditions L’Artilleur, 2025), n’a pas de tels scrupules. Il répète depuis 2013 qu’il ne faut pas s’inquiéter de l’évolution du climat, dont ni l’homme, ni le gaz carbonique, ne sont responsables. Il se dit compétent sur ce sujet en tant qu’expert-reviewer du GIEC, ce qui ne signifie rien d’autre qu’au stade final de la rédaction du 5ème rapport, il a écrit au GIEC pour indiquer ses désaccords, ce que tout citoyen peut faire s’il le désire - ce qu’on aimerait plutôt savoir, c’est ce qu’il a écrit au GIEC et quelle réponse lui a été faite. Or, des panneaux publicitaires vantant « Il n’y a pas d’apocalypse climatique » sont affichés en bonne place dans toutes les gares de France. L’apport de François Gervais aux débats sur le changement climatique est inconsistant, et ne vaut pas la peine d’être discuté : il ne doit son succès dans les médias qu’à l’obsession de ceux ci de présenter leurs sujets sous la forme d’une thèse à laquelle correspondrait une antithèse. La publicité qui lui est donnée dans les gares, très fréquentées, par des voyageurs qui attendent les trains et dont les regards se portent longuement sur tout ce qui est affiché, n’est elle due qu’au hasard ? Ou bien la société Médiatransports, filiale de Publicis, met elle consciemment en œuvre, au nez et à la barbe de la SNCF, une politique de désinformation ? Celle-ci correspondrait bien, hélas, à la multiplication actuelle des critiques à l’encontre des réglementations en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique et au recul des politiques sur les mesures en faveur de l’environnement.
Si vous voulez malgré tout lire ce livre, ne l’achetez pas : avec de la chance, vous le trouverez peut être dans une boite à livres. Sinon, volez le ! Et dans tous les cas, ne le remettez pas en circulation.