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Propos d'Argonautes (novembre 2023)

(Temps de lecture: 8 - 15 minutes)

Lorsque cette visioconférence a débuté, la tempête Ciaran venait, quelques heures avant, de traverser le nord ouest de la France : alerte rouge.

Cette tempête a été remarquablement bien prévue, et les recommandations à la prudence bien adaptées : un «sans faute» de Météo France. L’un des Argonautes, qui habite près du Golfe du Morbihan, s’est retrouvé bloqué chez lui par un pin tombé en travers du chemin qui mène à sa maison. Et au milieu de la réunion, un autre a appris que la toiture de sa maison à Brest avait été emportée par le vent ; il a donc du nous quitter.

Formation des fonctionnaires à la transition écologique

Entre les directives du gouvernement afin de lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité, et leur application locale dans des territoires très divers, les fonctionnaires ont un rôle important à jouer. S’ils sont peu ou mal informés, leurs actions perdront en efficacité, ou peuvent même aller à l’encontre du but recherché.
Le gouvernement français souhaite mettre en place une formation à la transition écologique, portée par les Ministères de la Fonction Publique et de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, et qui est en cours de définition. Nous pensons que celle-ci est nécessaire afin que les réformes indispensables soient appliquées, et parmi les Argonautes, certains s’y impliqueront. On sait déjà que cette formation, pour des raisons pratiques, sera organisée selon un découpage régional correspondant à peu près aux principaux pôles universitaires. Chaque zone a un chargé de mission relevant du CNRS, qui fournira une partie des intervenants, et un Conseil Scientifique Territorial. Un cahier des charges provisoire, ouvert aux suggestions, a été distribué aux formateurs. Tous les fonctionnaires devront avoir suivi 28 heures de formation. En Occitanie, il y aura trois conférences préparatoires de deux heures chacune à Montpellier, dont une sur le climat et une sur l’eau.
Toutes les fonctions publiques sont visées (soit 5,7 millions de fonctionnaires), y compris les territoires, l’hospitalier, et la justice. Par exemple, la récente annulation de 15 projets de bassins d’irrigation indique bien que la justice sera de plus en plus souvent sollicitée pour arbitrer des conflits liés à l’environnement et pour cela, devrait idéalement acquérir des connaissances de base dans ce domaine. Dans un premier temps (en 2024), ce seront les 25 000 hauts-cadres de la fonction publique qui seront visés. La formation "obligatoire" pour cette première "volée" consiste en 4 modules : 

  • 2 ateliers de mobilisation (type Fresque du Climat, si j'ai bien compris),
  • 3 conférences de 2 heures dans chacune des catégories climat, ressources et biodiversité (au choix dans un ensemble proposé), une visite de terrain, un atelier de passage à l'action.

L’ensemble des fonctionnaires sera concerné en 2025-26. Le Conseil Scientifique national de cette formation sera assisté par les Conseils Scientifiques locaux. Cette formation ne part pas de zéro : entre autres, des documents de qualité ont été élaborés pour la Convention Citoyenne pour le Climat.
Enfin, sujet éminemment politique, nos pratiques, et les règles économiques et financières, qui conditionnent nos comportements (à moins que ce soit le contraire) ne sont pas, loin de là, optimales pour affronter la crise climatique. Les enjeux dans ce domaine seront ils présentés et débattus au cours des 28 heures de formation prévues ?

Et la formation des jeunes ?

Le changement climatique est enseigné dans les lycées depuis 2021. On peut toutefois regretter que l’ensemble des élèves ne reçoive pas toujours une formation de qualité en cette matière : celle ci est en effet confiée aux professeurs de sciences de la vie et de la Terre, discipline qui a été retirée du tronc commun et n’est donc suivie, de moins en moins et de façon très inégale, que par les élèves qui ont choisi une filière où elle est enseignée.

Le train du Climat et de la biodiversité est prêt

Ce train du climat qui a déjà sillonné la France à plusieurs reprises depuis 2015 afin de sensibiliser sur les actions possibles pour freiner le réchauffement climatique offrira dans les mois à venir, dans plusieurs gares, des occasions pour le public de dialoguer avec des scientifiques sur les questions que pose le changement climatique. Pour cette cession, les préoccupations sur la biodiversité s’ajoutent à celles sur le climat. Il sera fin novembre en Seine-Saint Denis à Saint Denis puis à Nantes, et à Brest. Le programme, qui n’est pas encore totalement financé, prévoit en tout 24 étapes et reprendra à partir de février 2024. Pour le public, il est conseillé de s’y rendre le matin, pour éviter l’affluence de l’après midi où les groupes d’écoliers sont nombreux. Et pour les scientifiques, Argonautes compris, ne pas hésiter à venir aider ceux qui encadrent cette tournée.

Le pouls de la société

Des scientifiques appellent à soutenir une action collective d’envergure, rassemblement de tous les acteurs, de tous les pays, pour entreprendre la transition écologique, à l’instar du «projet Manhattan» qui fut incroyablement rapide et efficace pour la mise au point de la première bombe atomique. Très bien. Cette idée avait déjà été avancée au niveau Européen en 2009, essentiellement sur  le volet modélisation. Mais pourquoi avoir choisi un nom aussi funeste ? 
Un ancien de la compagnie pétrolière Shell pour porter le dossier climat de l’Union Européenne ? C’est ce qu’ont validé les eurodéputés, et qui choque beaucoup ceux pour qui les compagnies pétrolières sont les ennemies numéro un de la lutte contre le changement climatique qui peuvent être utiles. Pourtant ces experts issus de l’industrie en sont aussi des acteurs incontournables. Ils possèdent des compétences techniques. Certains pourraient être appelés à devenir des formateurs pour les fonctionnaires.
Une importante levée de fonds a été lancée pour financer des projets de restauration forestière. Les investisseurs seront rémunérés par la vente des crédits carbone associés à ces restaurations. Cela évoque les nombreux scandales qui jalonnent l’histoire de ces crédits carbone, et le taux de rendement annoncé à plus de 8% fait planer un risque de financiarisation du secteur. Peut-on vraiment allier intérêts économiques et environnementaux ? La vigilance s’impose. 

Records de chaleur en 2023

Les records de température un peu partout, et jusqu’à cet automne en France, font planer l’impression que quelque chose de nouveau s’est mis à l’œuvre dans le système climatique. Dans une étude récente, l’Université de Berkeley analyse les conséquences de divers évènements climatiques qui ont pu contribuer à cette hausse brutale de la température moyenne globale depuis avril 2023. Comme cela s’est passé en 2016, l’évènement El Niño qui vient de débuter causera un réchauffement de la surface de la Terre important, mais cet évènement n’a débuté qu’à la fin du mois de mai. Le cycle solaire a une influence, de plus ou mois 0,03°C, et nous sommes dans une phase du cycle où cette influence est positive. Cependant, sa contribution est faible.
Deux changements qui peuvent paraître anecdotiques sont aussi à l’œuvre. Le premier est l’éruption en 2022 du volcan Hunga Tonga, qui a projeté dans la stratosphère une grande quantité de vapeur d’eau. Cette vapeur d’eau y subsistera quelques années et y exercera un effet de serre accru, accentuant la hausse de la température. Cependant, comme toutes les éruptions volcaniques, celle ci a aussi injecté dans l’atmosphère des cendres, et du dioxyde de soufre, qui, comme cela s’est passé lors de l’éruption du volcan El Chichon en 1982, interceptent le rayonnement solaire et causent plutôt un refroidissement, susceptible de contrer l’effet de la vapeur d’eau. Le second est de nature législative : depuis 2020, le trafic maritime ne doit plus utiliser les fuels lourds, mais des fuels débarrassés du soufre. Il s’ensuit une baisse très sensible des aérosols dans les zones où ce trafic est intense (Atlantique et Pacifique nord), et une diminution de leur rôle d’écran vis à vis du rayonnement solaire. Ces mécanismes qui peuvent jouer un rôle dans la très forte augmentation de la température de la Terre sont cependant très modestes comparés à la cause principale : la hausse continue de la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère, responsable à elle seule, d’après cette étude, de + 0,2°C en dix ans. Cette augmentation rapide n’est pas encore complètement expliquée. Rappelons nous que vers 2010, la hausse de la température moyenne globale avait très fortement ralenti pendant plusieurs années : il a fallu deux ou trois ans pour que ce «hiatus», dû à la variabilité naturelle, soit expliqué.
Notons que les épisodes de canicule seront de plus en plus nombreux et de plus en plus longs avec le réchauffement du climat. Au delà de 35°C en atmosphère saturée en humidité pendant plusieurs jours, la santé des humains est menacée. Ce sont des conditions qui existent déjà pratiquement chaque année, en Inde et au Moyen Orient.

Le compteur du réchauffement climatique : le déséquilibre énergétique de la Terre

La Terre reçoit de l’énergie du Soleil, et émet un rayonnement vers l’espace. Si elle émet moins qu’elle reçoit, elle accumule de la chaleur et sa température moyenne globale augmente. Ce bilan positif, appelé EEI (Earth Energy Imbalance) s’établissait à environ 1 W m-2 en moyenne entre 2010 et 2020, mais est brusquement monté à 2 W m-2 en 2023. C’est une augmentation énorme, préoccupante, qui n’est encore pas bien expliquée. L’EEI est mesurée par le satellite CERES, et il n’est pas impossible que cette augmentation ait été causée par une dérive des instruments de ce satellite, ce qu’on s’efforce de vérifier. Outre la stabilité des instruments CERES, deux processus qui interviennent dans les flux radiatifs sont particulièrement difficiles à évaluer : les nuages et leur formation, et les aérosols. Ces derniers ont été mesurés par polarimétrie pendant plusieurs années par le satellite PARASOL mais celui-ci était expérimental et n’avait pas vocation à effectuer un suivi climatologique.

La justice vient d’annuler les projets de quinze retenues d’eau en Nouvelle-Aquitaine

Ces réserves, d’une capacité totale d’environ 3 millions de mètres cubes, devaient être installées dans la Charente, la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres ainsi que la Vienne, où le tribunal administratif a considéré que «le projet n’est pas associé à de réelles mesures d’économie d’eau». L’autorisation de faire ces bassines avait été basée sur une étude du BRGM à qui il n'avait pas été demandé de prendre en compte le changement climatique. On ne peut que regretter que certaines aides publiques aillent vers des activités nuisibles à la cause climatique. Cela montre bien l’intérêt de la formation des fonctionnaires. Les ressources en eau sont importantes pour l’agriculture, mais pas seulement pour le maïs, lequel est accusé par les détracteurs des «mégabassines» d’être très gourmands en eau dans le seul but de la production bovine. Le sujet mérite mieux que les blocages idéologiques qu’il suscite, et par ailleurs la situation évolue positivement : on mange de moins en moins de viande, de plus en plus local, et les fuites des réseaux d’eau potable sont peu à peu colmatées (la consommation d’eau douce a diminué).

C’est quoi un inversac ?

Prenons l’exemple du bassin de Thau, l’eau d’un étang est saumâtre, constituée, à la fois, d’eau salée et d’eau douce. Et sous la lagune, il y a une nappe phréatique, qui, elle, n’est constituée que d’eau douce. Lorsque cet écosystème fonctionne normalement, la pression de la nappe phréatique est plus forte que celle de l’étang, ce qui permet à l’eau douce de remonter dans le bassin, et de l’enrichir en eau douce. Un inversac, c’est quand le phénomène inverse se produit : lorsque le niveau de la nappe phréatique est beaucoup trop faible, l’eau saumâtre prend le dessus, et pénètre sous la terre sous forme d’un «biseau salé», et pollue la nappe d’eau douce. Cela se produit parfois, en cas de sécheresse prolongée, et sera de plus en plus fréquent avec la hausse du niveau marin et si les conditions de sécheresse s’accentuent .

Fonte des calottes polaires : le cas de l’Antarctique ouest

Tout comme le Groenland, le continent antarctique est une cuvette qui contient les glaciers, mais sa partie ouest flotte sur l’océan et n’est retenue que par des pointes rocheuses sur lesquelles elle repose. L’océan passe sous cette partie de la calotte, et comme il devient moins froid du fait du réchauffement global, la fonte des glaciers a tendance à s’accélérer, et le risque est que, à une échéance plus ou moins lointaine selon nos efforts pour contrer le réchauffement du climat, ce glacier ouest se détache du continent antarctique et nourrisse une forte hausse du niveau marin. Ce scénario est décrit par de nombreux articles scientifiques, souvent repris et amplifiés par les médias. Un article sur ce point est en préparation au Club des Argonautes.

Le puits de carbone dans les forêts à revoir à la baisse

Le taux de gaz carbonique dans l’atmosphère s’accroît à une vitesse de 2  ppm par an, mais ceci ne représente que la moitié environ de nos émissions : le reste est absorbé à parts à peu près égales par les «puits» océanique, et végétation terrestre. Davantage de gaz carbonique dans l’atmosphère favorise en effet la croissance des végétaux. Planter des forêts pour renforcer ces puits est donc une façon de lutter contre le changement climatique. Depuis quelques années, on constate que cette fixation de carbone par les végétaux devient de moins en moins efficace : l’Amazonie, souvent désignée comme le «poumon de la planète» a rejeté en 2022 plus de gaz carbonique qu’elle n’en a absorbé, à cause des feux de défrichement, mais aussi à cause de la sécheresse anormale qui a sévi ces dernières années. Les forêts tropicales ont le plus fort potentiel pour capturer le carbone, à cause de leur croissance rapide, mais du fait d’un déboisement intensif, leur bilan carbone est faible. Ce sont finalement les jeunes forêts boréales et tempérées qui jouent le mieux ce rôle de puits de carbone. En France, où la sécheresse a entraîné le dépérissement des forêts et des attaques d’insectes xylophages (les scolytes font de gros dégâts parmi les résineux), le bilan carbone des forêts diminue et s’est même annulé en 2022 où les incendies en ont détruit plus de 70 000 hectares. L’année 2023 est marquée par les gigantesques incendies du Canada, auxquels il faut ajouter ceux de Sibérie.
Pour restaurer leur rôle de puits de carbone des forêts, il faut que les replantations soient faites avec des espèces d’arbres adaptées au changement climatique, et que les surfaces plantées fassent l’objet d’un suivi. Il importe aussi que les coupes de bois soient faites sans arracher les souches et les racines, qui représentent la moitié du stock de carbone d’une forêt. En France, le respect de telles mesures est difficile car les forêts sont en majorité privées.
Sécheresse et température élevée accélèrent l’oxydation de la matière organique dans les sols. Ainsi, les sommets des pieux de bois sur lesquels est construite la cathédrale de Strasbourg sont exposés à l’air et pourrissent, car la nappe d’eau du Rhin s’abaisse.

Energie : nous en avons peu parlé

Bravo à l’équipe de la société AIRARO, où le Club des Argonautes a des membres correspondants, qui vient d’obtenir le soutien de la Banque Mondiale pour une étude de faisabilité de climatisation par l’eau de mer profonde en Caraïbe, projet observé avec attention par la Jamaïque qui pourrait elle aussi développer des sites climatisés par l’eau de mer profonde.
Un frein méconnu à l’implantation de champs d’éoliennes dans certaines régions (Limousin en particulier) est le manque de points de connexion suffisamment dimensionnés pour recevoir et distribuer un débit d’énergie important. La structure du réseau électrique français répond en effet prioritairement à celui des centrales nucléaires. C’est aussi le cas dans d’autres pays, où la création de ces points de raccordement ne suit pas le rythme rapide de développement des énergies renouvelables.

El Niño et le changement climatique.

Le phénomène El Niño se caractérise par un ralentissement des vents alizés dans le Pacifique et par un réchauffement marqué à l’équateur. La phase opposée est appelée La Niña : vents forts et équateur froid. Une étude par modélisation de cette alternance montre que le réchauffement climatique tendrait à favoriser des épisodes froids La Niña à répétition. Ceci expliquerait il les remous de l’histoire au petit âge glaciaire : les évènements El Niño y auraient été moins fréquents et ceci aurait affaibli les civilisations du bord de mer et permis aux Incas de dominer. C’est à eux que les conquistadors se sont confrontés lorsque ils ont conquis le Pérou.

 

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