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Propos d'Argonautes (mars 2024)

(Temps de lecture: 7 - 14 minutes)

Pour cette deux cent deuxième réunion, une visite qui nous a fait plaisir et honneur : Karina Von Schuckmann nous a rejoints en vidéoconférence pour nous parler du déséquilibre énergétique de la Terre.

Après des études à Kiel en Allemagne, elle a travaillé à l’IFREMER, puis rejoint Mercator-Océan où elle travaille actuellement. Elle y a été notamment chargée de piloter la rédaction des Rapports sur l’État de l’Océan produits pour le Service Copernicus de surveillance de l’environnement marin. Elle a reçu récemment le prix Gérard Mégie de l’Académie des Sciences.

Le déséquilibre énergétique de la Terre

La Terre reçoit de l’énergie du Soleil, principalement sous forme de lumière visible, et elle émet elle même un rayonnement infra-rouge vers l’espace. Sous un climat en équilibre, ces deux quantités d’énergie sont égales. Mais à cause principalement de l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le rayonnement émis est plus faible que le rayonnement reçu, et notre climat se réchauffe.
Ce déséquilibre énergétique de la Terre, souvent désigné par EEI (Earth Energy Imbalance) peut être estimé à partir de l’Espace grâce aux mesures directes du rayonnement solaire incident et réfléchi et du rayonnement infrarouge émis au sommet de l’atmosphère. De telles mesures sont réalisées depuis 2000 par les radiomètres du satellite CERES de la NASA. Un simple coup d’œil à une photo de la Terre vue depuis l’espace montre combien cette tâche est difficile : la Terre n’a rien d’une surface homogène, et selon la nature de sa surface, elle réfléchit plus ou moins le rayonnement solaire. Les nuages en particulier, très réfléchissants, apparaissent en blanc, et leur répartition change sans cesse.
On peut aussi l’estimer par modélisation, en décortiquant pour chaque élément de surface les très nombreux processus par lesquels s’effectue le transfert de l’énergie. Une autre approche consiste à faire l’inventaire des différents réservoirs de chaleur du système climatique (océans, qui emmagasinent plus de 90 % de la chaleur en excès, atmosphère, cryosphère, sols, chaleur utilisée pour évaporer l’eau ou fondre les glaces) et à suivre l’évolution de cet inventaire. Enfin, le suivi de la hausse du niveau marin, qu’on connaît avec précision grâce aux altimètres embarqués sur des satellites, apporte une forte contrainte pour ces estimations : cette hausse est due, d’une part à la fonte des calottes glaciaires, et d’autre part à la dilatation de l’eau de mer à cause de son réchauffement, que l’on observe correctement depuis l’an 2000 entre la surface et 2000 m de profondeur grâce au réseau de flotteurs ARGO (environ 4000 répartis dans l’océan mondial).
L’incertitude sur les estimations de l’EEI est très élevée, à cause de la variabilité des nuages, du manque de connaissances sur les aérosols qui réfléchissent (ou, pour certains, absorbent) le rayonnement solaire, et à cause de la difficulté d’estimer le contenu de chaleur et les flux de chaleur mis en jeu par les changements d’état de l’eau. De plus, ce déséquilibre n’est qu’une petite fraction des flux d’énergie incident ou sortant du système climatique : seulement 1 Wm-2 alors que le rayonnement solaire fournit à la Terre 340 Wm-2. Les études récentes montrent que l’EEI augmente lentement, probablement en réponse aux émissions de gaz à effet de serre, et surtout à l’accélération de ces émissions (Figure 1). Ce déséquilibre peut être interprété comme une mesure de la partie du forçage anthropique à laquelle la Terre n’a pas encore répondu : c’est la quantité la plus pertinente pour définir les perspectives de poursuite du changement climatique. La hausse de la température moyenne à la surface du globe est la donnée qui retient le plus notre attention, mais seule la connaissance des termes de ce déséquilibre a permis de comprendre pourquoi cette hausse de la température a marqué une pause vers 2010 (le «hiatus») et permettra de connaître les causes de la brusque augmentation de la température moyenne globale, toujours en cours, en mars 2023. Les progrès espérés pour mieux estimer l’EEI reposent surtout sur l’amélioration des systèmes d’observation : identifier et quantifier les aérosols, mieux observer les zones polaires (mal observées par les satellites à orbite inclinée) et les masses glaciaires, étendre les mesures de température de l’océan au-delà de 2000 m de profondeur.

d’après Loeb et al., 2021
Figure 1 : évolution du déséquilibre énergétique de la Terre estimé par les mesures radiométriques du satellite CERES et par des inventaires des réservoirs de chaleur du système climatique.

Moins de neige, moins de glace, le niveau marin qui s’élève...

Le réchauffement du climat ne fait pas l’affaire des stations de sports d’hiver. Malgré un retour des précipitations cet hiver, elles ont souvent manqué de neige et ont du garnir leurs pistes de neige artificielle. Les dirigeants de ces stations s’organisent : ne pas trop en parler pour garder la confiance des amateurs de sports d’hiver. Dans certains cas, des solidarités se mettent en place, sous forme d’un partage des aléas financiers liés au climat : des stations pénalisées par une perte d’enneigement prononcée recevraient une aide de la part d’autres stations, plus chanceuses.
Chaque mois sortent des dizaines d’articles dans des revues scientifiques qui décrivent la perte de masse des calottes glaciaires et comment, au contact d’un océan qui s’élève et se réchauffe, l’écoulement des glaciers des zones polaires accélère. L’eau de mer, qui se réchauffe légèrement, fait fondre la glace et parvient à pénétrer sous les glaciers. Ceux ci, qui achevaient leur descente sur un socle rocheux, sont moins retenus par la friction sur le fond et avancent maintenant plus vite, faisant craindre une accélération de la hausse du niveau marin. La plupart de ces articles s’appuient sur des études locales, qui concernent quelques glaciers. Certains sont très alarmistes. Une vision d’ensemble manque encore.
La montée du niveau marin menace les zones en bord de côte, et notamment les zones construites et les villes. À quelle montée doit on s’attendre pour la fin du siècle ? 60 cm ? Aux Pays Bas, des digues peuvent résister à des hausses exceptionnelles de 5 mètres. Mais se barricader derrière des digues ne résout pas tous les problèmes. Au fur et à mesure que le niveau des mers s’élève, il devient de plus en plus difficile et coûteux d’évacuer les eaux de pluies en cas de très fortes précipitations. Que penser alors d’un projet que certains auraient en tête qui consisterait à dresser une gigantesque digue, d’une part entre la Bretagne et la Cornouaille, et d’autre part entre l’Écosse et le Danemark, afin d’arrêter la hausse du niveau marin en Manche et en Mer du Nord et ainsi protéger d’un seul coup (mais quel coup!) les villes et ports côtiers de la région ? Après quoi il faudra penser à évacuer les eaux apportées par le Rhin, la Seine et la Tamise, et autres fleuves côtiers de moindre débit.
La fonte des glaces ne fait pas qu’alimenter la montée du niveau marin, elle apporte aussi de l’eau douce dans les océans et les courants marins s’en trouvent modifiés. D’après une étude publiée tout récemment par le Copernicus Marine Service, la masse d’eau froide et peu salée au nord-est de l’Atlantique qui en résulte renforce le front qui sépare les eaux subpolaires des eaux subtropicales, et ce front tend à se renforcer et à remonter vers le nord. L’été suivant, il dévie les vents d’ouest de basse altitude vers le nord et une anomalie chaude accompagnée de sécheresse s’installe sur l’Europe : de meilleures prévisions à moyen terme ? À suivre...

Transition écologique : coups de frein

Pièce maîtresse de la transformation durable des entreprises en Europe, le projet de directive sur le devoir de vigilance, a été bloqué par 14 états membres de l’Europe. En réponse à la crise agricole qui a éclaté en France et dans d’autres pays, les politiques ont fait machine arrière sur des mesures en faveur de la transition écologique. Et ce ne sont pas les partis populistes en pleine ascension qui redresseront la barre. Faudra-t-il prochainement une série de catastrophes climatiques pour que les sociétés reprennent une route plus raisonnable pour restaurer la biodiversité et s’adapter au changement climatique ?

À quoi ressemblent les «rivières atmosphériques» ?

Un nouveau terme est apparu depuis quelques années dans les nouvelles qui concernent le climat, et en particulier les inondations : celui de «rivières atmosphérique». Invisibles, celles ci sont difficiles à imaginer. Le concept est pourtant simple : il s’agit de vents organisés en grands courants aériens, qui transportent beaucoup de vapeur d’eau. Une superbe rivière atmosphérique nous a amené des pluies abondantes en février dernier (figure 2). On peut les visualiser facilement sur des cartes de contenu en vapeur d’eau de l’atmosphère sur ce site. Elles se manifestent par de longues branches, dans lesquelles les structures de grande échelle dominent, émises depuis la zone équatoriale très chargée en humidité.

 

Figure 2 : contenu en vapeur d’eau de l’atmosphère le 19 février 2024. Une une branche issue de l’Atlantique équatorial transporte de l’humidité jusqu’en Europe de l’ouest.

Monnaies virtuelles et consommation d’énergie

Les monnaies virtuelles donnent parfois l’impression qu’il ne s’agit que d’une toquade lorsque leur cours baisse, et font figure de solution d’avenir lorsqu’il remonte. En attendant, elles coûtent cher en énergie : le seul Bitcoin en consonne à peu près autant qu’un pays comme la Hollande! Le besoin d’énergie vient des calculs qui vérifient et valident la création des Bitcoins et les transactions réalisées avec eux. Ces calculs reposent sur des codes qui n’ont aucunement été conçus avec un souci d’économie d’énergie. Cette voracité énergétique peut pourtant sans doute être, sinon évitée, du moins ramenée à des valeurs plus raisonnables : l’Ethereum, une autre monnaie virtuelle, consomme proportionnellement dix fois moins d’énergie que son rival le Bitcoin.

Réparer le climat : de bonnes affaires en vue

Le XPRIZE Carbon Removal, soutenu par Elon Musk et sa fondation, destiné à soutenir des projets de capture du carbone atmosphérique, a attiré 1300 candidats, parmi lesquels 300 se disent déjà prêts à commencer dès 2024. À la clé, l’espoir d’engranger des crédits. Il est à craindre que des pays se laissent convaincre de l’efficacité de leurs propositions et les financent. Ce qui s’est passé au cours de la dernière décennie n’encourage pas à la confiance. Les plantations de forêts réalisées par des sociétés pour compenser des émissions de carbone fossile ont trop souvent été conduites dans de très mauvaises conditions. Beaucoup des méthodes proposées soulèvent de fortes réserves de la part des scientifiques, et la vigilance s’impose.
Le Time magazine a ainsi décerné le titre de «meilleure invention en 2023 dans la catégorie soutenabilité» à un projet consistant à précipiter les ions bicarbonate de l’eau de mer sous forme de calcaire, par stimulation électrique. Le calcaire ainsi formé est retiré du milieu réactif océan–atmosphère, et constituerait donc un puits de carbone. Ceci n’est pas nouveau. C’est la technique utilisée pour fabriquer du récif artificiel. Le problème est que cela retire bien des ions bicarbonate de l’eau de mer, mais ne favorise pas l’absorption de gaz carbonique par l’océan. Au contraire, comme c’est le cas pour la fabrication de coquilles par les mollusques marins, ou de pièces calcaires par les coccolithophoridésdes, ce processus s’accompagne d’une augmentation de la concentration en gaz carbonique de l’eau de mer. La pression partielle de ce gaz dans l’eau devenant alors supérieure à celle dans l’atmosphère, la mer devient émettrice de gaz carbonique : un résultat contraire à celui promis.

Réchauffement des océans : où en sommes nous ?

Le réchauffement est général ; presque partout, la température de surface des océans est plus chaude que la moyenne des 30 dernières années, et elle est particulièrement marquée dans l’Atlantique tropical (figure 3) où la zone de record de hausse absolu rejoint les côtes de l’Europe de l’ouest, et englobe la Méditerranée. Remarque : la rivière atmosphérique entre l’Amérique centrale et l’Europe (figure 2) qui nous a amené beaucoup de pluie en février s’appuie sur la ligne sud ouest–nord est qui sépare les eaux qui montrent un réchauffement record de celles, au nord ouest, qui se sont peu réchauffées, voire même refroidies.

sea surface temperature

Figure 3 : réchauffement de la température de surface des océans en février 2024.

Des ballons sonde pour étudier l’atmosphère : souvenirs...

L’annonce d’essais de ballons instrumentés par le CNES en vue d’une prochaine campagne de mesures atmosphériques a fait ressurgir chez nombre d’Argonautes  l'époque où ils faisaient leurs débuts dans la recherche. L’expérience spatiale Éole, en référence au dieu du vent, de 1962 à 1972, a en effet constitué une vaste aventure pour les chercheurs français qui étudiaient la dynamique de l’atmosphère, et collaboration avec les États Unis. Il y avait au cœur du projet 500 ballons destinés à être lâchés dans l’atmosphère et a être suivis par un satellite de collecte de données et de localisation. L’ensemble devait fournir une représentation de la circulation atmosphérique à une époque, peu après l’Année Internationale de Géodésie Géophysique, où celle ci était encore très mal connue. Le projet était très ambitieux pour l’époque, et devait affronter des difficultés nouvelles. La localisation continuelle d’un aussi grand nombre de ballons était un challenge, confié à un satellite dédié. Optimiser leur durée de vie a conduit à les placer à 12000 mètres d’altitude. Et, difficulté qui n’avait rien de scientifique, mais qui n’était pas moins très réelle, il y avait un risque de collision avec le trafic aérien. Pour minimiser ce risque, le poids de l’électronique attachée aux ballons a été réduit autant qu’il était possible, soit 5 kg, l’hémisphère nord a été fermée au projet car l’essentiel du trafic aérien y avait lieu, et les ballons ont été dotés d’une charge explosive déclenchable à distance au cas où des ballons se seraient aventurés dans l’hémisphère nord. Aucun ballon ne s’y est aventuré, mais une erreur de commande a conduit à détruire une centaine des ballons sur les 480 qui ont été lancés. Cet épisode est souvent rappelé dès qu’on évoque l’expérience Éole, mais heureusement, les résultats scientifiques ont été remarquables.

Les déploiements ont été effectués le long d’un méridien en Argentine en 1971, grâce entre autres à deux Argonautes. Et nous apprenons au cours de cette 202ème réunion que quelques uns des tubes de 5 kg qui renfermaient l’électronique des ballons Éole ont été récupérés par des hydrologues au Congo pour une première expérience de télétransmission vers Toulouse des données d’observations pluviographiques avec retour par telex, suivie d’une autre en Guyane pour des données limnigraphiques : encore des succès d’Éole !

Quelques expériences basées sur des ballons ont suivi Éole, et quelques unes sont encore en projet, mais de bien moins grande ampleur. Les satellites instrumentés ont pris le relais. L’un des plus récemment lancés, à la fin de 2022, SWOT (Soil Water and Ocean Topography) donne ses premiers résultats, très prometteurs. L’avenir français et européen est toutefois entravé par le retard de la préparation de la fusée Ariane 6, alors qu’on a clos prématurément la fabrication d’Ariane 5.

L’espace invite toujours à l’aventure : ne voilà-t-il pas qu’un astéroïde, nommé Apophis, se dirige vers la Terre, qu’il va «frôler» à 30 000 km. Dévier un astéroïde de sa trajectoire est un bon sujet de film de science fiction.


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