Deux centième réunion, en distanciel hélas, du Club des Argonautes, créé en 2003 : faire sauter un bouchon tous ensemble sera pour une autre fois.
Et aussi première réunion de 2024 : parmi les cartes de voeux échangées pour le nouvel an, ce graphique où on voit s’envoler la courbe de la température moyenne à la surface de la Terre. Angoisse...
Transition écologique : des grincements
La forte priorité accordée par le gouvernement à la transition écologique a été très bien reçue par la majorité des scientifiques, qui s’y sont immédiatement engagés. Certains sont des Argonautes. Nous avons suivi avec intérêt ces derniers mois l’élaboration du projet de la formation des fonctionnaires à la transition écologique. Après les rapports successifs du GIEC et la prise de conscience des conséquences du changement climatique, l’heure est maintenant à la prise de décisions pour s’y adapter, ou en réduire l’intensité. Et ces décisions sont à prendre région par région, en fonction de leurs différences géographiques et de leurs activités dominantes. Et c’est là que surgissent des difficultés multiples, du fait d’intérêts contradictoires, et de la crainte des politiques de voir se développer d’amples conflits. Ainsi, le Haut Conseil Breton pour le Climat piétine, et le RECO (Réseau d’Expertise sur les Changements Climatiques en Occitanie) s’est heurté à des difficultés et est contraint d’abandonner une partie des activités qui faisait de lui un outil régional pour la transition écologique .
Les grandes idées pour la transition ne manquent pas, mais leur mise en application se heurte bien souvent aux réticences et contradictions de nos sociétés ; le chemin pour y conduire est plus confus et se défriche – ou ne se défriche pas – parmi les conflits et les intérêts particuliers, et en découvrant des difficultés inattendues au fur à mesure qu’on avance. On peut citer par exemple ce conflit entre la vision des Bâtiments de France et la nécessité d’isoler thermiquement les habitations : les maisons à colombages d’Alsace ne peuvent pas être isolées par l’extérieur (sauf à abîmer l’attrait touristique) ni par l’intérieur car les poutres deviennent alors humides et pourrissent. Heureusement, il y a parfois des progrès encourageants : par exemple, les forêts françaises, gérées en très grande majorité par des propriétaires privés, échappaient très largement à tout contrôle, ces propriétaires négligeant de rendre compte de leur gestion. Désormais, ils devront tenir à disposition un «plan simple de gestion» de leurs parcelles, sans lequel leur activité échappait complètement au contrôle public. La transition écologique s’ouvre sur une multitude de petites négociations.
La végétation terrestre, puits de carbone en déclin
Les sécheresses liées au changement climatique et les épisodes caniculaires, altèrent la santé des forêts. Les insectes parasites des arbres (les scolytes, redoutés dans les forêts de résineux) et les incendies prolifèrent sur les forêts les plus atteintes. Dès qu’on s’est intéressé au cycle du carbone dans le contexte du changement climatique, la végétation terrestre (ainsi que les océans) est vite apparue comme un puits pour le gaz carbonique émis lorsque nous brûlons des hydrocarbures ou du charbon. En effet, toutes conditions égales par ailleurs, la croissance des végétaux est stimulée dans une atmosphère plus riche en gaz carbonique. Mais la hausse des températures place souvent les écosystèmes existants à la limite de leur résistance. Des forêts affaiblies se défendent moins bien contre les parasites, et les incendies s’y propagent plus facilement. D’autre part, sous un climat plus chaud, les processus de dégradation de la matière organique (respiration, action des bactéries) est accélérée, et la durée de vie du carbone organique (c’est à dire le temps moyen entre la photosynthèse des produits végétaux et leur retour à la forme gaz carbonique) raccourcit : le stock de carbone organique diminue donc. C’est ce qu’a analysé Philippe Ciais au cours d'une conférence organisée par le Bureau des Longitudes (à paraître prochainement). Ce déclin du puits de carbone demande à être analysé plus profondément. Les études du couvert végétal de la Terre, morcelé entre sols et pratiques culturales hétérogènes, vont bénéficier d’un nouvel outil satellitaire d’observation, avec une définition spectrale plus fine et une résolution au sol de 3 mètres. La richesse d’informations qui en résultera devra être traduite en quantités géochimiques : un chantier immense est ouvert.
Le réchauffement s’arrêtera-t-il dès qu’on n’émettra plus de gaz carbonique ?
Sous cette question s’en cache une autre : les puits naturels de gaz carbonique continueront-ils de fonctionner si nos émissions cessent ? Le puits dans la végétation des terres émergées, on l’a vu précédemment, montre des signes d’affaiblissement. La forêt amazonienne, parfois désignée comme le «poumon de la Terre», émet maintenant davantage de gaz carbonique que sa photosynthèse n’en absorbe. L’autre puits naturel, dans les océans, devrait continuer à fonctionner pendant longtemps. Si la couche superficielle (les 100 premiers mètres environ) atteint l’équilibre en gaz carbonique avec l’atmosphère en un an environ, cet équilibre est sans cesse remis en question par le mélange avec l’eau profonde dont les carbonates tiennent leurs caractéristiques d‘un équilibre pré-industriel avec l’atmosphère. Le mélange de cette eau profonde avec l’eau de surface est très lent, de sorte que le puits océanique de gaz carbonique devrait persister pendant environ mille ans tout en s’atténuant progressivement.
Économie et lutte contre le changement climatique
Tous les projets de lutte contre le changement climatique ou d’adaptation à ses conséquences demandent des financements très importants, et force est de constater que ceux qui maîtrisent les plus gros flux financiers ne sont pas ceux qui montrent le plus fort engagement en faveur de ces projets. Ne faudrait il pas créer de la monnaie spécifiquement dans ce but ? Or, actuellement cette création se fait sans préoccupation de la transition écologique. La création monétaire est un bien public, et ce bien public a hélas été privatisé. Des ouvrages spécialisés traitant de cette anomalie ont été rédigés, et même, plus récemment, des romans destinés à un large public.
Le changement climatique fait la une de l’actualité
2023 a été, et de loin, l’année la plus chaude depuis que les réseaux d’observations météorologiques existent. Les principales agences, Copernicus, la NOAA, la NASA, le WMO font très rapidement et très bien les bilans climatiques de l’an passé. Le graphique ci-dessous qui décrit le réchauffement observé depuis 1880 en fonction de la latitude est intéressant à double titre : d’une part il montre que ce réchauffement est plus intense vers les pôles qu’à l’équateur, et d’autre part, qu’il est beaucoup plus marqué dans l’hémisphère nord où se trouvent la majorité des masses continentales, que dans l’hémisphère sud, très maritime. Les océans en effet emmagasinent en profondeur l’excès de chaleur dû à l’augmentation de l’effet de serre, de telle sorte que le réchauffement est moins marqué en surface.
L’océan, propice aux fantasmes ?
Perdons nous la raison lorsque nous parlons des océans ? Cela semble bien parfois être le cas. Ainsi, on entend souvent dire dans les médias (et, hélas, dans certains milieux scientifiques) que l’océan fournit la moitié de l’oxygène que nous respirons. Avec la conséquence angoissante que si les écosystèmes océaniques venaient à dysfonctionner, nous pourrions manquer d’oxygène ! C’est faux. Il est vrai que l’oxygène présent dans l’atmosphère (dont il constitue un cinquième, soit 200 000 parties par million) s’y est accumulé lorsque l’apparition de la photosynthèse a permis le développement de la vie sur Terre. Mais depuis cette «grande oxydation», l’oxygène produit par photosynthèse est rapidement et quasi intégralement utilisé par la respiration de la macro et de la microfaune. Il en va ainsi dans les océans où la photosynthèse produit de l’oxygène en quantité exactement indispensable pour la respiration du zooplancton et des bactéries qui se nourrissent de la biomasse végétale ainsi produite, ainsi que pour l’oxydation des débris organiques. Les océans ne nous fournissent donc pas 50 % de l’oxygène que nous espirons, mais 0 %. D’où vient cette croyance ? Il est indubitable que les 200 000 parties par million d’oxygène que contient l’atmosphère viennent de la photosynthèse ancienne. On estime aussi que la photosynthèse actuelle se partage à égalité entre l’océan et la végétation terrestre, mais là, il n’est question que de deux ou trois parties par million, très loin donc de 200 000. Hélas, la croyance est tenace, et il est probable que certains professeurs de SVT l’enseignent à leurs élèves.
Autre domaine où on perd la raison : capter l'énergie de la houle. Le spectacle des vagues qui se brisent sur les rochers ou sur les digues évoque une réserve d’énergie énorme. Ne devrions nous pas la capter ? Les inventeurs qui se sont penchés sur le problème ne manquent pas, et les projets les plus farfelus ont été élaborés, et parfois déployés en mer. Il y a des dispositifs qui ont fonctionné, de petite taille, comme par exemple sur des bouées pour charger une batterie qui alimente le fanal d’une bouée en mer. Ces dispositifs sont d’ailleurs maintenant remplacés par des panneaux solaires. Pour des projets plus ambitieux hélas, l’énergie de la houle varie comme le carré de sa hauteur, et un dispositif conçu pour la capter dans des conditions normales sera soumis à des forces trop intenses et sera détruit en cas de tempête, tandis qu’un dispositif conçu pour des mers très fortes restera inopérant la plupart du temps. Par exemple, le projet Pelamis, constitué d’une ligne de flotteurs articulés mis en mouvement par la houle, a approximativement la taille d’une rame de TGV : pour qu’il résiste à une forte tempête, ses points d’ancrage devraient être ultra résistants, et extrêmement coûteux ! Pourtant, de temps à autre, ces projets refont surface, inchangés, dans les médias, à la faveur de quelque forum international sur les océans.
Parmi les vagues géantes qui font rêver les amateurs de surf, les «vagues scélérates» redoutables, imprévisibles et gigantesques sont remarquables. Le site web des Argonautes comporte une page sur les vagues scélérates qui est l’une de nos pages les plus visitées et qui vient d’être remise à jour : n’hésitez pas à la consulter, les accidents rapportés sont étonnants !
Mare incognita
Dans les années 60, les langoustiers recherchaient au sextant et aux étoiles le mont sous marin Vema, culminant à 40 m de profondeur, loin à l’ouest de l’Afrique du sud. Quand ils le trouvaient, c’était la certitude d’une pêche miraculeuse : il y avait tellement de langoustes que celles qui ne pouvaient pas entrer dans les casiers s’accrochaient à l’extérieur. Depuis, grâce aux satellites munis d’altimètres, on a pu découvrir et localiser 19 000 monts sous marins (tous ne grouillent évidemment pas de langoustes). L’orbite suivie par les satellites en effet n’est pas une trajectoire elliptique parfaite, mais est affectée par toutes les anomalies de gravité du globe terrestre, dues à la répartition locale de masses telles que, en particulier, ces monts sous-marins. Un des objectifs de l’altimétrie satellitaire est d’estimer les courants marins à partir des irrégularités du niveau de l’océan (quelques cm) qu’ils induisent. Il faut pour cela connaître avec précision et dans tous ses détails le géoïde terrestre, et donc, en particulier, tous les monts sous marins. En reste-t-il encore que nous ne connaissons pas ? Oui, très probablement, et le nouvel altimètre du satellite SWOT, lancé en décembre 2022, et dont les premiers résultats s’avèrent excellents, permettra certainement d’en découvrir de nouveau.
Les jours se suivent, plus ou moins…
Les océans sont sujets à des marées, et on sait que celles ci sont causées par les effets d’attraction du Soleil et de la Lune. Ces mouvements ont un coût, que la Lune paie en s’éloignant de la Terre de 3,8 cm par an, et que la Terre paie en tournant sur elle même de moins en moins vite.
Pourtant, au contraire, depuis 2016, elle s’est accélérée, au point qu’on parle de retirer dans l’échelle du temps une seconde supplémentaire. La vitesse de rotation de la Terre est en effet affectée par d’autres facteurs, comme des déplacements de masses dans le manteau terrestre, très mal connus. Un calcul rapide montre que la fonte des masses glaciaires situées en altitude près des tropiques et de l'équateur peut expliquer une bonne part de l'accélération de la rotation de la Terre de ces dernières années. A des échelles de temps plus courtes, les déplacements de masses d'eau et le ralentissement des vents alizés dus à El Niño ont aussi une influence sur cette vitesse.. Ces découvertes ont été permises par des mesures de plus en plus précises. George Darwin (le fils de Charles Darwin) a réalisé des travaux qui ont été fondateurs dans ces domaines. Et plus récemment, c’est le modèle numérique de marées mis au point par Christian Le Provost qui a permis d’affiner ces connaissances.
Le Club des Argonautes s’est mobilisé pour que soient organisées à Saint Brieuc chaque année des journées scientifiques en la mémoire de ce collègue et ami, décédé en 2004. Le prix «Christian Le Provost» est maintenant l’un des prix de l’Académie des sciences, et est décerné tous les deux ans à un jeune chercheur océanographe, physicien ou biogéochimiste. Il a été attribué cette année à Damien Desbruyères pour ses travaux sur les transports de chaleur par l’Océan Atlantique entre les régions équatoriales et l’Arctique. Ce prix lui sera décerné aux journées de Saint Brieuc le 19 avril prochain.
Rêves et écrits sur le futur : nous avons lu
Le ministère du futur par Kim Stanley Robinson, Bragelonne, 552 p., 2023
https://www.bragelonne.fr/catalogue/9791028120863-le-ministere-du-futur/
Ce passionnant roman de science fiction, certainement nourri d’une très vaste documentation, nous conduit d’une Terre au bord du désastre climatique au milieu du XXIème siècle, à l’amorce une situation apaisée et durable. Les solutions et les crises traversées pour y parvenir incluent la création d’une agence dédiée de l’ONU, la généralisation de pratiques non polluantes, des opérations de géo-ingénierie, une révolution monétaire, et même des actions terroristes.