L’eau et le changement climatique
Pendant cette 201ème réunion du Club des Argonautes, nous avons beaucoup parlé d’eau, de pluies, et de ressources en eau.
Avec le réchauffement climatique en effet, un degré supplémentaire pour la température implique que l’atmosphère peut théoriquement contenir 7 % de vapeur d’eau en plus. Or, nous approchons du seuil de + 1,5 °C adopté lors de l’Accord de Paris. Mais ceci ne signifie pas que les pluies vont augmenter autant que la capacité de l’atmosphère à contenir de la vapeur d’eau. L’augmentation des pluies est estimée à seulement 2 % par degré de réchauffement. Le changement climatique devrait à la fois intensifier les pluies extrêmes et les inondations, et aggraver les sécheresses. Sur les continents, le cycle de l’eau est très fortement dépendant de caractéristiques locales : selon l’état du sol, une part plus ou moins grande s’infiltrera, ruissellera vers les rivières, ou alimentera les nappes phréatiques. Une partie sera reprise par l’évaporation, et tout spécialement par l’évapotranspiration du couvert végétal, puis recyclée. Un risque d’inondation plus ou moins grand ? Des épisodes de sécheresse plus longs ? La réponse dépend de la circulation atmosphérique, de la température de l’air, de l’état des sols et des cultures, et est donc régionale plutôt que globale.
Les conditions climatiques sont très variables d’une région à une autre, ou d’une saison à une autre. Ainsi, ces dernières années, la Californie a alterné des périodes de sécheresse intense avec des incendies ravageurs, et aussi des inondations à la suite de pluies torrentielles. En France, la sécheresse très marquée de début 2023 a été interrompue par un retour des pluies, et les nappes phréatiques, surveillées par le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), ont retrouvé un niveau normal. Ce n’est toutefois pas le cas dans le pourtour méditerranéen, et en particulier, dans le Roussillon où les nappes phréatiques sont restées basses, ce qui peut remettre en question les choix agricoles de cette région. La politique touristique aussi devra être revue : il y a très peu de neige sur les Pyrénées et le peu qui est tombé a fondu à cause de températures anormalement élevées. Cette sécheresse se prolonge en Catalogne espagnole où il faudra acheminer de l’eau, ce qui s’est fait par le passé, en 2008, par tanker. Un approvisionnement par canal depuis le Rhône avait alors été étudié (projet Aquadomitia) mais s’était heurté à la difficulté de franchir les Pyrénées, et aussi à la réticence des agriculteurs français concernés.
Des solutions pour faire face à d’éventuels manques d’eau
On s’équipe de plus en plus en réservoirs destinés à recueillir l’eau de pluie, en général pour des usages autres que l’eau potable : arrosage du jardin, chasse d’eau, lavage. Recueillie dans une région à l’abri des pollutions atmosphériques, d’origine agricole ou industrielle, l’eau de pluie est potable, mais lors de sa conservation, ou de son passage dans des tuyauteries, elle risque d’être contaminée. Les navires modernes disposent maintenant de systèmes de désalinisation de l’eau de mer, mais les anciens marins (et même les vieux océanographes) connaissaient bien cette difficulté. Si, dans une maison, le circuit d’eau potable distribuée par les services publics et le circuit d’eau de pluie récupérée ne sont pas strictement séparés, il y a risque de contamination de l’eau publique. C’est pourquoi il y a une réticence de la part des services publics à autoriser l’usage de l’eau de pluie. Face à une éventuelle pénurie d’eau et à la disponibilité d’eau de récupération, la logique serait de récupérer les eaux de pluie, ou les eaux usées, puis de les traiter pour les rendre potables ou, à condition d’avoir installé un double réseau d’utilisation, les réserver à d’autres usages. Cette réutilisation et double réseau de distribution se pratiquent de plus en plus, mais la France est moins avancée dans ce domaine que l’Allemagne, la Grande Bretagne, l’Italie ou l’Espagne.
Le risque de pénurie d’eau douce pousse à rechercher des aquifères jusque sous la mer : de tels aquifères existent, et se manifestent parfois par des sources d’eau douce sur les fonds marins. Avant d’utiliser ces réserves, il faut les étudier et s’assurer que leur exploitation ne va pas avoir pour conséquence un déplacement du « biseau salé » entre l’eau douce et l’eau salée, et une salinisation de la ressource.
La fonte des glaciers menace-t-elle l’approvisionnement en eau douce de certains pays, notamment au pied de l’Himalaya, ou des Andes ? On a pu entendre que l’Himalaya était le château d’eau d’un tiers de l’humanité, et ce tiers serait à terme privé d’eau douce du fait de cette fonte. Heureusement, cette crainte n’est pas fondée : même si les glaciers fondaient totalement, les moussons et autres apports d’eau en provenance des océans continueraient. Mais il en serait fini de cette ressource d’eau de fonte au printemps, avant l’arrivée de la mousson, au moment où la végétation a le plus besoin d’eau et où les précipitations sont faibles. Il y aurait de nouvelles saisonnalités des ressources en eau auxquelles il faudrait s’adapter. Le cas de la ville de Lima au Pérou et de ses dix millions d’habitants est particulier : sur ce versant ouest des Andes, il ne tombe que 50 mm d’eau par an et les glaciers qui fournissent l’eau sont alimentés par des précipitations qui viennent principalement de l’est, en provenance de l’Atlantique. A contrario le versant amazonien est très bien arrosé et une solution techniquement envisageable, mais très onéreuse, pourrait être d’opérer des transferts vers le versant pacifique.
Changement climatique : comment faire machine arrière ?
À un rythme qui s’est accru depuis le début de l’ère industrielle et qui, avec l’urgence de lutter contre le changement climatique, commence à peine à se ralentir autour de 37 milliards de tonnes par an, nos émissions de gaz carbonique ont ajouté à l’atmosphère plus de 900 milliards de tonnes de ce gaz à effet de serre. Le gaz carbonique est chimiquement très stable, et il n’est pas envisageable de lui retirer chimiquement ce rôle climatique, sauf à utiliser une énergie considérable, au moins égale à celle que nous a fourni le carbone fossile en brûlant. Bien sûr, il y a aussi les puits naturels, que sont la végétation terrestre et les océans, que l’on peut accompagner et aider, mais cela ne suffira pas. Il faudra de très gros moyens pour retirer ce gaz carbonique en excès dans l’atmosphère, et les compagnies pétrolières sont bien placées pour cela. Elles ont en plus la technologie et les gisements d’hydrocarbures épuisés où elles peuvent enfouir beaucoup de gaz carbonique. L’un des Argonautes a pu assister à un séminaire où une représentante de l’Agence Internationale de l’Energie a présenté un projet visant à enfouir 6 milliards de tonnes de gaz carbonique par an dans des gisements de pétrole épuisés (pourquoi ce chiffre ? On le trouve paraît-il dans certains scenarios du dernier rapport du GIEC.
Très bien : tout enfouissement de gaz carbonique est bon à prendre. Mais qui paiera ? Pour des quantités aussi importantes, on aimerait que l’initiative ne relève pas d’une aubaine financière et soit contrôlée par les états, afin d’éviter des dérives telles que les fraudes sur le marché des crédits carbone, ou les plantations de forêts censées piéger du gaz carbonique, mais totalement inefficaces faute de réelle volonté. Peut on faire confiance à des compagnies pétrolières dont l’enrichissement a perturbé le climat et qui s’enrichiraient encore en en corrigeant les effets ? Laisser faire le marché paraît dangereux alors qu’on a besoin d’actions bien conduites et coordonnées si on ne veut pas aggraver la crise climatique. Que les états prennent la direction de ces actions, et créent si besoin la monnaie nécessaire.
Du côté de l’intelligence artificielle, toujours du nouveau
La prévision météorologique par intelligence artificielle agite beaucoup Météo France, ainsi que la plupart des services chargés des prévisions dans les autres pays. L’intelligence artificielle est attractive en raison de la rapidité du calcul, et elle a montré qu’elle pouvait fournir d’excellentes prévisions. Les séminaires à ce propos se multiplient, auxquels des Argonautes ont pu assister. Les prévisions par modèles physiques et celles par intelligence artificielle ne s’excluent pas l’une l’autre : les modèles physiques de prévision météorologique peuvent incorporer des modules d’intelligence artificielle pour certains processus, et des contraintes physiques peuvent être imposées à l’intelligence artificielle. Un problème se pose : il faut entraîner l’intelligence artificielle sur des données. Il y a pour cela les «réanalyses» qui sont une représentation de l’évolution du climat basée sur les sorties des modèles rappelées à la réalité par les observations météorologiques. La réanalyse ERA 5 couvre les 40 dernières années. Mais au cours de ces 40 ans, le climat a évolué. Peut on baser des prévisions météo sur des données qui ne seraient plus de mise ? Il faudra trouver un compromis entre un apprentissage de l’intelligence artificielle sur une longue durée, gage de statistiques plus étendues, ou sur une durée plus courte, gage d’une meilleure adaptation à l’actualité.
Incontestablement, l’intelligence artificielle permet de gagner du temps de calcul. Faut il en attendre des progrès dans les prévisions ? On n’ira pas de toute façon jusqu’à prévoir le temps au-delà d’une certaine durée, qui dépend des caractéristiques climatiques locales. Au cours de cette durée en effet, des modifications mineures peuvent naître, se développer, devenir dominantes et orienter l’évolution du temps dans une direction autre.
Tenter de prévoir l’imprédictible, et alerter
Si la prévision des séismes demeure extrêmement difficile, celle des éruptions volcaniques progresse : elle se base sur l’observation des ondes sismiques, et sur les déformations de la surface du sol dans la zone du volcan. Il reste alors à prévenir la population locale et à en préparer l’évacuation, ce qui peut poser des difficultés, d’une autre nature. Ainsi, lors d’une éruption du volcan Mérapi en 2010 en Indonésie, pour alerter avec plus d’efficacité, il a été demandé à un chamane de lancer l’ordre d’évacuation. 350 000 personnes ont suivi cet ordre et ont ainsi échappé au danger. Les seules victimes ont été 353 habitants d’un village isolé qui n’ont pas pu être prévenues à temps, et le chamane lui même, qui, se considérant comme le gardien de la montagne, est resté sur place.
Ce recours à des instances «non scientifiques» se pratique aussi dans certains cas pour des catastrophes météorologiques. Ainsi, au Bangladesh, des alertes pour les crues du Bramapoutre ont été relayées par les mosquées.
L’association Christian Le Provost Océanographe prend le large
Christian Le Provost a apporté à l’océanographie une contribution déterminante, en développant un modèle de marée qui a permis l’estimation des courants marins par altimétrie satellitaire. Rappelons l’enjeu : de la même façon qu’on calcule les vents en utilisant les gradients de pression atmosphérique, il est théoriquement possible de calculer les courants marins à partir des variations du niveau marin. On était techniquement capables au début des années 90 de mesurer ces variations avec une précision suffisante. La principale difficulté venait de ce que les variations du niveau marin recherchées sont de l’ordre de quelques centimètres de hauteur, alors que partout dans l’océan les mouvements de marée induisent des mouvements quotidiens de plusieurs dizaines de centimètres. Pour calculer les courants, il fallait donc retirer l’influence des marées, et pour cela, les connaître. C’est ce qui a été rendu possible par le modèle de marées développé principalement par Christian Le Provost. Sa mort en 2004 a affecté tous ses collègues, parmi lesquels plusieurs faisaient partie du Club des Argonautes. Une association «Christian Le Provost Océanographe» a été fondée, qui depuis organise à intervalles réguliers des journées pour la diffusion des connaissances océanographiques à Saint Brieuc. Le Club des Argonautes a contribué à cette fondation et en a hébergé le site internet. Depuis 2008, l’Académie des Sciences a lancé le Grand Prix Christian Le Provost qui récompense tous les deux ans un jeune chercheur pour ses travaux en océanographie. Et depuis 2023, l’association «Christian Le Provost Océanographe» dispose de son propre site internet: https://christianleprovostoceanographe.fr . Bon vent !