Yves Dandonneau
Novembre 2023
Lorsque cette visioconférence a débuté, la tempête Ciaran venait, quelques heures avant, de traverser le nord ouest de la France : alerte rouge. Cette tempête a été remarquablement bien prévue, et les recommandations à la prudence bien adaptées : un «sans faute» de Météo France. L’un des Argonautes, qui habite près du Golfe du Morbihan, s’est retrouvé bloqué chez lui par un pin tombé en travers du chemin qui mène à sa maison. Et au milieu de la réunion, un autre a appris que la toiture de sa maison à Brest avait été emportée par le vent ; il a donc du nous quitter.
Formation des fonctionnaires à la transition écologique
Entre les directives du gouvernement afin de lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité, et leur application locale dans des territoires très divers, les fonctionnaires ont un rôle important à jouer. S’ils sont peu ou mal informés, leurs actions perdront en efficacité, ou peuvent même aller à l’encontre du but recherché.
Le gouvernement français souhaite mettre en place une formation à la transition écologique, portée par les Ministères de la Fonction Publique et de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, et qui est en cours de définition. Nous pensons que celle-ci est nécessaire afin que les réformes indispensables soient appliquées, et parmi les Argonautes, certains s’y impliqueront. On sait déjà que cette formation, pour des raisons pratiques, sera organisée selon un découpage régional correspondant à peu près aux principaux pôles universitaires. Chaque zone a un chargé de mission relevant du CNRS, qui fournira une partie des intervenants, et un Conseil Scientifique Territorial. Un cahier des charges provisoire, ouvert aux suggestions, a été distribué aux formateurs. Tous les fonctionnaires devront avoir suivi 28 heures de formation. En Occitanie, il y aura trois conférences préparatoires de deux heures chacune à Montpellier, dont une sur le climat et une sur l’eau.
Toutes les fonctions publiques sont visées (soit 5,7 millions de fonctionnaires), y compris les territoires, l’hospitalier, et la justice. Par exemple, la récente annulation de 15 projets de bassins d’irrigation indique bien que la justice sera de plus en plus souvent sollicitée pour arbitrer des conflits liés à l’environnement et pour cela, devrait idéalement acquérir des connaissances de base dans ce domaine. Dans un premier temps (en 2024), ce seront les 25 000 hauts-cadres de la fonction publique qui seront visés. La formation "obligatoire" pour cette première "volée" consiste en 4 modules :
- 2 ateliers de mobilisation (type Fresque du Climat, si j'ai bien compris),
- 3 conférences de 2 heures dans chacune des catégories climat, ressources et biodiversité (au choix dans un ensemble proposé), une visite de terrain, un atelier de passage à l'action.
L’ensemble des fonctionnaires sera concerné en 2025-26. Le Conseil Scientifique national de cette formation sera assisté par les Conseils Scientifiques locaux. Cette formation ne part pas de zéro : entre autres, des documents de qualité ont été élaborés pour la Convention Citoyenne pour le Climat.
Enfin, sujet éminemment politique, nos pratiques, et les règles économiques et financières, qui conditionnent nos comportements (à moins que ce soit le contraire) ne sont pas, loin de là, optimales pour affronter la crise climatique. Les enjeux dans ce domaine seront ils présentés et débattus au cours des 28 heures de formation prévues ?
Et la formation des jeunes ?
Le changement climatique est enseigné dans les lycées depuis 2021. On peut toutefois regretter que l’ensemble des élèves ne reçoive pas toujours une formation de qualité en cette matière : celle ci est en effet confiée aux professeurs de sciences de la vie et de la Terre, discipline qui a été retirée du tronc commun et n’est donc suivie, de moins en moins et de façon très inégale, que par les élèves qui ont choisi une filière où elle est enseignée.
Le train du Climat et de la biodiversité est prêt
Ce train du climat qui a déjà sillonné la France à plusieurs reprises depuis 2015 afin de sensibiliser sur les actions possibles pour freiner le réchauffement climatique offrira dans les mois à venir, dans plusieurs gares, des occasions pour le public de dialoguer avec des scientifiques sur les questions que pose le changement climatique. Pour cette cession, les préoccupations sur la biodiversité s’ajoutent à celles sur le climat. Il sera fin novembre en Seine-Saint Denis à Saint Denis puis à Nantes, et à Brest. Le programme, qui n’est pas encore totalement financé, prévoit en tout 24 étapes et reprendra à partir de février 2024. Pour le public, il est conseillé de s’y rendre le matin, pour éviter l’affluence de l’après midi où les groupes d’écoliers sont nombreux. Et pour les scientifiques, Argonautes compris, ne pas hésiter à venir aider ceux qui encadrent cette tournée.
Le pouls de la société
Des scientifiques appellent à soutenir une action collective d’envergure, rassemblement de tous les acteurs, de tous les pays, pour entreprendre la transition écologique, à l’instar du «projet Manhattan» qui fut incroyablement rapide et efficace pour la mise au point de la première bombe atomique. Très bien. Cette idée avait déjà été avancée au niveau Européen en 2009, essentiellement sur le volet modélisation. Mais pourquoi avoir choisi un nom aussi funeste ?
Un ancien de la compagnie pétrolière Shell pour porter le dossier climat de l’Union Européenne ? C’est ce qu’ont validé les eurodéputés, et qui choque beaucoup ceux pour qui les compagnies pétrolières sont les ennemies numéro un de la lutte contre le changement climatique qui peuvent être utiles. Pourtant ces experts issus de l’industrie en sont aussi des acteurs incontournables. Ils possèdent des compétences techniques. Certains pourraient être appelés à devenir des formateurs pour les fonctionnaires.
Une importante levée de fonds a été lancée pour financer des projets de restauration forestière. Les investisseurs seront rémunérés par la vente des crédits carbone associés à ces restaurations. Cela évoque les nombreux scandales qui jalonnent l’histoire de ces crédits carbone, et le taux de rendement annoncé à plus de 8% fait planer un risque de financiarisation du secteur. Peut-on vraiment allier intérêts économiques et environnementaux ? La vigilance s’impose.
Records de chaleur en 2023
Les records de température un peu partout, et jusqu’à cet automne en France, font planer l’impression que quelque chose de nouveau s’est mis à l’œuvre dans le système climatique. Dans une étude récente, l’Université de Berkeley analyse les conséquences de divers évènements climatiques qui ont pu contribuer à cette hausse brutale de la température moyenne globale depuis avril 2023. Comme cela s’est passé en 2016, l’évènement El Niño qui vient de débuter causera un réchauffement de la surface de la Terre important, mais cet évènement n’a débuté qu’à la fin du mois de mai. Le cycle solaire a une influence, de plus ou mois 0,03°C, et nous sommes dans une phase du cycle où cette influence est positive. Cependant, sa contribution est faible.
Deux changements qui peuvent paraître anecdotiques sont aussi à l’œuvre. Le premier est l’éruption en 2022 du volcan Hunga Tonga, qui a projeté dans la stratosphère une grande quantité de vapeur d’eau. Cette vapeur d’eau y subsistera quelques années et y exercera un effet de serre accru, accentuant la hausse de la température. Cependant, comme toutes les éruptions volcaniques, celle ci a aussi injecté dans l’atmosphère des cendres, et du dioxyde de soufre, qui, comme cela s’est passé lors de l’éruption du volcan El Chichon en 1982, interceptent le rayonnement solaire et causent plutôt un refroidissement, susceptible de contrer l’effet de la vapeur d’eau. Le second est de nature législative : depuis 2020, le trafic maritime ne doit plus utiliser les fuels lourds, mais des fuels débarrassés du soufre. Il s’ensuit une baisse très sensible des aérosols dans les zones où ce trafic est intense (Atlantique et Pacifique nord), et une diminution de leur rôle d’écran vis à vis du rayonnement solaire. Ces mécanismes qui peuvent jouer un rôle dans la très forte augmentation de la température de la Terre sont cependant très modestes comparés à la cause principale : la hausse continue de la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère, responsable à elle seule, d’après cette étude, de + 0,2°C en dix ans. Cette augmentation rapide n’est pas encore complètement expliquée. Rappelons nous que vers 2010, la hausse de la température moyenne globale avait très fortement ralenti pendant plusieurs années : il a fallu deux ou trois ans pour que ce «hiatus», dû à la variabilité naturelle, soit expliqué.
Notons que les épisodes de canicule seront de plus en plus nombreux et de plus en plus longs avec le réchauffement du climat. Au delà de 35°C en atmosphère saturée en humidité pendant plusieurs jours, la santé des humains est menacée. Ce sont des conditions qui existent déjà pratiquement chaque année, en Inde et au Moyen Orient.
Le compteur du réchauffement climatique : le déséquilibre énergétique de la Terre
La Terre reçoit de l’énergie du Soleil, et émet un rayonnement vers l’espace. Si elle émet moins qu’elle reçoit, elle accumule de la chaleur et sa température moyenne globale augmente. Ce bilan positif, appelé EEI (Earth Energy Imbalance) s’établissait à environ 1 W m-2 en moyenne entre 2010 et 2020, mais est brusquement monté à 2 W m-2 en 2023. C’est une augmentation énorme, préoccupante, qui n’est encore pas bien expliquée. L’EEI est mesurée par le satellite CERES, et il n’est pas impossible que cette augmentation ait été causée par une dérive des instruments de ce satellite, ce qu’on s’efforce de vérifier. Outre la stabilité des instruments CERES, deux processus qui interviennent dans les flux radiatifs sont particulièrement difficiles à évaluer : les nuages et leur formation, et les aérosols. Ces derniers ont été mesurés par polarimétrie pendant plusieurs années par le satellite PARASOL mais celui-ci était expérimental et n’avait pas vocation à effectuer un suivi climatologique.
La justice vient d’annuler les projets de quinze retenues d’eau en Nouvelle-Aquitaine
Ces réserves, d’une capacité totale d’environ 3 millions de mètres cubes, devaient être installées dans la Charente, la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres ainsi que la Vienne, où le tribunal administratif a considéré que «le projet n’est pas associé à de réelles mesures d’économie d’eau». L’autorisation de faire ces bassines avait été basée sur une étude du BRGM à qui il n'avait pas été demandé de prendre en compte le changement climatique. On ne peut que regretter que certaines aides publiques aillent vers des activités nuisibles à la cause climatique. Cela montre bien l’intérêt de la formation des fonctionnaires. Les ressources en eau sont importantes pour l’agriculture, mais pas seulement pour le maïs, lequel est accusé par les détracteurs des «mégabassines» d’être très gourmands en eau dans le seul but de la production bovine. Le sujet mérite mieux que les blocages idéologiques qu’il suscite, et par ailleurs la situation évolue positivement : on mange de moins en moins de viande, de plus en plus local, et les fuites des réseaux d’eau potable sont peu à peu colmatées (la consommation d’eau douce a diminué).
C’est quoi un inversac ?
Prenons l’exemple du bassin de Thau, l’eau d’un étang est saumâtre, constituée, à la fois, d’eau salée et d’eau douce. Et sous la lagune, il y a une nappe phréatique, qui, elle, n’est constituée que d’eau douce. Lorsque cet écosystème fonctionne normalement, la pression de la nappe phréatique est plus forte que celle de l’étang, ce qui permet à l’eau douce de remonter dans le bassin, et de l’enrichir en eau douce. Un inversac, c’est quand le phénomène inverse se produit : lorsque le niveau de la nappe phréatique est beaucoup trop faible, l’eau saumâtre prend le dessus, et pénètre sous la terre sous forme d’un «biseau salé», et pollue la nappe d’eau douce. Cela se produit parfois, en cas de sécheresse prolongée, et sera de plus en plus fréquent avec la hausse du niveau marin et si les conditions de sécheresse s’accentuent .
Fonte des calottes polaires : le cas de l’Antarctique ouest
Tout comme le Groenland, le continent antarctique est une cuvette qui contient les glaciers, mais sa partie ouest flotte sur l’océan et n’est retenue que par des pointes rocheuses sur lesquelles elle repose. L’océan passe sous cette partie de la calotte, et comme il devient moins froid du fait du réchauffement global, la fonte des glaciers a tendance à s’accélérer, et le risque est que, à une échéance plus ou moins lointaine selon nos efforts pour contrer le réchauffement du climat, ce glacier ouest se détache du continent antarctique et nourrisse une forte hausse du niveau marin. Ce scénario est décrit par de nombreux articles scientifiques, souvent repris et amplifiés par les médias. Un article sur ce point est en préparation au Club des Argonautes.
Le puits de carbone dans les forêts à revoir à la baisse
Le taux de gaz carbonique dans l’atmosphère s’accroît à une vitesse de 2 ppm par an, mais ceci ne représente que la moitié environ de nos émissions : le reste est absorbé à parts à peu près égales par les «puits» océanique, et végétation terrestre. Davantage de gaz carbonique dans l’atmosphère favorise en effet la croissance des végétaux. Planter des forêts pour renforcer ces puits est donc une façon de lutter contre le changement climatique. Depuis quelques années, on constate que cette fixation de carbone par les végétaux devient de moins en moins efficace : l’Amazonie, souvent désignée comme le «poumon de la planète» a rejeté en 2022 plus de gaz carbonique qu’elle n’en a absorbé, à cause des feux de défrichement, mais aussi à cause de la sécheresse anormale qui a sévi ces dernières années. Les forêts tropicales ont le plus fort potentiel pour capturer le carbone, à cause de leur croissance rapide, mais du fait d’un déboisement intensif, leur bilan carbone est faible. Ce sont finalement les jeunes forêts boréales et tempérées qui jouent le mieux ce rôle de puits de carbone. En France, où la sécheresse a entraîné le dépérissement des forêts et des attaques d’insectes xylophages (les scolytes font de gros dégâts parmi les résineux), le bilan carbone des forêts diminue et s’est même annulé en 2022 où les incendies en ont détruit plus de 70 000 hectares. L’année 2023 est marquée par les gigantesques incendies du Canada, auxquels il faut ajouter ceux de Sibérie.
Pour restaurer leur rôle de puits de carbone des forêts, il faut que les replantations soient faites avec des espèces d’arbres adaptées au changement climatique, et que les surfaces plantées fassent l’objet d’un suivi. Il importe aussi que les coupes de bois soient faites sans arracher les souches et les racines, qui représentent la moitié du stock de carbone d’une forêt. En France, le respect de telles mesures est difficile car les forêts sont en majorité privées.
Sécheresse et température élevée accélèrent l’oxydation de la matière organique dans les sols. Ainsi, les sommets des pieux de bois sur lesquels est construite la cathédrale de Strasbourg sont exposés à l’air et pourrissent, car la nappe d’eau du Rhin s’abaisse.
Energie : nous en avons peu parlé
Bravo à l’équipe de la société AIRARO, où le Club des Argonautes a des membres correspondants, qui vient d’obtenir le soutien de la Banque Mondiale pour une étude de faisabilité de climatisation par l’eau de mer profonde en Caraïbe, projet observé avec attention par la Jamaïque qui pourrait elle aussi développer des sites climatisés par l’eau de mer profonde.
Un frein méconnu à l’implantation de champs d’éoliennes dans certaines régions (Limousin en particulier) est le manque de points de connexion suffisamment dimensionnés pour recevoir et distribuer un débit d’énergie important. La structure du réseau électrique français répond en effet prioritairement à celui des centrales nucléaires. C’est aussi le cas dans d’autres pays, où la création de ces points de raccordement ne suit pas le rythme rapide de développement des énergies renouvelables.
El Niño et le changement climatique.
Le phénomène El Niño se caractérise par un ralentissement des vents alizés dans le Pacifique et par un réchauffement marqué à l’équateur. La phase opposée est appelée La Niña : vents forts et équateur froid. Une étude par modélisation de cette alternance montre que le réchauffement climatique tendrait à favoriser des épisodes froids La Niña à répétition. Ceci expliquerait il les remous de l’histoire au petit âge glaciaire : les évènements El Niño y auraient été moins fréquents et ceci aurait affaibli les civilisations du bord de mer et permis aux Incas de dominer. C’est à eux que les conquistadors se sont confrontés lorsque ils ont conquis le Pérou.
Octobre 2023
C’est à Pérols sur Vézère, chez Bernard Pouyaud, qui nous a accueillis très chaleureusement, que cette 197ème réunion des Argonautes s’est tenue. La SNCF a innové à Pérols sur Vézère, desservi par la ligne d’Ussel à Limoges : après concertation avec les collectivités locales, le train ne s’y arrête que si un passager sur le quai fait signe au conducteur. Sinon, il poursuit son parcours.
Sur notre site web
Un article dresse un bilan de l’apport du satellite CALIPSO à l’étude du climat. La mission spatiale de Calipso vient d’être arrêtée après 17 ans de mesures en continu. Calipso, conçu pour observer les nuages et les aérosols, faisait partie d’une constellation de satellites qui ont fourni des observations colocalisées et quasiment simultanées sur les nuages, les aérosols, la chimie atmosphérique et d’autres éléments intervenant sur le cycle de l’eau et le bilan radiatif de la terre.
Les observations qui étaient effectuées par Calipso ainsi que celles d'Aeolus seront poursuivies par d'autres missions équivalentes : pour plusieurs aspects observés une relève est programmée avec EarthCare (ESA), qui sera lancé en 2024 et plus tard AOS (NASA).
Les forêts et leur rôle dans le climat nous donnent chaque mois matière à discussions. En effet, l’efficacité du puits de carbone qu’elles constituent est sensible aux épisodes de sécheresse, et aux incendies, liés au changement climatique. Nous publierons prochainement un texte sur ce sujet.
Séminaires, forums, congrès...
Début septembre se tenait comme chaque année le séminaire annuel du Centre Européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF). Signe que le service d’observation Copernicus archive et met rapidement à disposition les données sur la météo et le climat, les épisodes de chaleur du début de cet été ont pu être présentés et discutés. Un exposé sur l’avènement de l’intelligence artificielle dans la prévision météorologique a suscité beaucoup de questions. Le thème central de ce séminaire était les réanalyses. La nouvelle réanalyse atmosphérique ERA6, version perfectionnée de ERA5, devrait démarrer en 2024, et partira également de 1940. Le séminaire traitait aussi des réanalyses océaniques, continentales, hydrologiques, sans oublier la chimie pour l'atmosphère. Ces réanalyses nécessitent énormément de calculs, et ces calculs deviennent de plus en plus énergivores : la recherche météorologique et climatique devient ainsi un gros émetteur de CO2.
Le Syndicat des Énergies Renouvelables a tenu son 24ème colloque annuel. L’organisation au cours de ce colloque d’une table ronde réunissant des membres du Syndicat et des élus locaux est un signe encourageant de la pénétration des connaissances scientifiques dans les milieux des décideurs et des politiques.
La formation des fonctionnaires
La mise au point et l’application de mesures pour contenir le changement climatique et lutter contre ses conséquences devra s’appuyer sur des administrations et des décideurs capables d’en comprendre les enjeux. Sur ces questions, on constate en effet souvent une frilosité accrue, voire un recul, des autorités politiques. Localement, lors des discussions sur les mesures à prendre face au changement climatique, l’ordre préfectoral est souvent d’escamoter tous les sujets susceptibles de donner lieu à des conflits, par crainte de manifestations et de dérapages. Ces craintes guident l’action des préfets. On assiste aussi à des déclarations populistes qui minimisent les conséquences du changement dans le seul but de gagner des voix aux élections.
Afin de rendre l’administration plus efficace, le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques a préparé un plan de formation à la transition écologique des cadres de la fonction publique, pour lequel les directives sont en cours d’élaboration. Elle sera probablement dotée d’un conseil scientifique émanant des organismes dont relèvent les formateurs. Deux Argonautes (et peut être d’autres plus tard) feront partie de ces formateurs. Les personnels de la justice, qui ont de plus en plus souvent à statuer sur des plaintes pour des menaces d’atteinte à l’environnement (récemment à propos de «mégabassines»), ou pour inaction des états, seront eux aussi inclus dans cette formation. Hélas, les politiques qui par démagogie peuvent s’opposer à certaines mesures de la transition écologique, y échappent. Certains journalistes, en revanche, ont fait eux mêmes ce travail de formation et publient des articles de qualité.
Les banques ne devraient elles pas elles aussi suivre la formation à la transition écologique ?
D’après une enquête de The Guardian, les banques européennes ont continué de financer par le marché des obligations les compagnies pétrolières à hauteur de mille milliards d’Euros depuis les accords de Paris de 2016, et ceci malgré les incitations à limiter les prêts destinés à la production de pétrole, de gaz et de charbon. Pour les sept années écoulées, cette somme équivaut à 140 milliards d’Euros par an.
Il se trouve que depuis environ 10 ans, dans le cadre de sa politique dite "d'assouplissement quantitatif", la Banque Centrale Européenne a dépensé chaque année des centaines de milliards pour soutenir le cours de titres de dette publique de certains de ses États Membres. Pour l'essentiel, ces sommes ont été versées aux banques qui détenaient une large part des titres que la Banque Centrale Européenne recherchait. Gorgées de liquidités qu'elles ne tenaient pas à ré-investir sur les marchés financiers, les banques les ont placées à la Banque Centrale Européenne , qui rémunère de tels dépôts. Avec la hausse des taux d'intérêts décidée pour lutter contre l'inflation, la rémunération 2023 de quelques 3000 milliards de ces réserves bancaires, s’élèvera à plus de 140 milliards. Rien ne permet d'exclure que cette manne serve, comme au cours des sept années passées, au moins en partie, à financer de nouveaux investissements dans... le secteur pétrolier!
Que la politique monétaire de sauvegarde de l'Euro contribue, au moins indirectement... à financer des activités que l'UE s'est engagée à réduire, appelle une mise en cohérence des textes qui rendent possible une telle anomalie.
Climato-scepticisme, ou pied sur le frein ?
Alors que l’été 2023 a été fertile en records de chaleur, en pluies dévastatrices, et en incendies de forêts, le climato-scepticisme n’a jamais été aussi agressif, surtout sur les réseaux sociaux, mais aussi, plus insidieusement, dans certains médias. Ainsi, Mac Lesggy, l’animateur bien connu de l’émission E=M6, présente depuis le mois de septembre une «météo instructive» pour lutter contre les ‘contre-vérités’ sur le climat: commentant quotidiennement le bulletin météo, il critique souvent les mesures visant à réduire nos émissions de gaz carbonique, au titre que selon lui le changement climatique est inéluctable et qu’il faut non pas le freiner, mais seulement s’y adapter, poussant donc à l’inaction. Ceci conforte l’état d’esprit de beaucoup, qui ne nient pas la réalité du changement climatique dû à l’homme, mais veulent conserver leur mode de vie et rechignent à mettre en pratique des mesures de réduction de leurs émissions.
Malgré ces discours qui incitent à l’inaction, les émissions de gaz carbonique en France ont diminué de 4% au cours du dernier semestre, preuve que les mesures prises et les recommandations portent leurs fruits, que des gens, des entreprises, font un effort pour diminuer leurs émissions. C’est un encouragement à continuer jusqu’au zéro émissions.
2023 : les indices du changement climatique s’envolent
À lui seul, le phénomène El Niño qui a débuté au mois de mai 2023 est prometteur d’un record de température moyenne globale pour cette année, comme cela a été le cas lors du précédent événement en 2016. En outre, l’été boréal a été marqué par de fortes canicules en Europe et au Maghreb, en Chine et au Japon, et par un hiver austral extrêmement doux en Argentine. L’étendue de la banquise antarctique a été de loin la plus réduite jamais observée. Dès le mois d’avril, la température moyenne de la surface des océans a bondi de +0,1°C entre 60°S et 60°N et cette anomalie se maintient: 0,252°C de plus en septembre que lors des précédentes années records. Moteur principal de ces records, le déséquilibre énergétique de la Terre, qui reçoit plus d’énergie du Soleil qu’elle n’en émet vers l’espace. L’estimation de ce déséquilibre énergétique fait appel à de nombreuses mesures et processus et quels qu’en soient les auteurs est toujours affectée d’une assez large marge d’erreur, mais les résultats montrent que ce déséquilibre tend à s’accroître d’environ 0,5 Wm-2 en 2005 à 1 W m-2 en 2019. Une publication récente, à confirmer, le chiffre à 1,7 W m-2. Le déséquilibre énergétique de la Terre se creuse donc rapidement, ce qui devrait conduire à une accélération du réchauffement du climat. Les causes de cette accélération peuvent être bien entendu les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi les aérosols et leur interaction avec les nuages.
Pour surveiller l’évolution de ce déséquilibre, il est essentiel de maintenir et de développer les systèmes d’observations tels que le satellite CERES pour l’atmosphère, et le réseau de bouées ARGO pour le contenu thermique des océans.
La géoingéniérie : boite à outils ou boite de Pandore ?
Émettre moins de gaz carbonique, c’est bien. En retirer de l’atmosphère, ce serait encore mieux. Des projets de géoingénierie en ce sens réapparaissent de temps à autre dans les médias. Parmi eux, alcaliniser l’eau de mer pour en baisser l’acidité, et répandre du fer à la surface de certaines parties de l’océan afin d’y stimuler la croissance du phytoplancton. Les deux projets visent à diminuer la pression partielle de gaz carbonique à la surface de l’océan et à accroître le puits océanique de carbone.
Alcaliniser l’eau pour en élever le pH est ce qui se fait naturellement grâce à l’érosion des roches alcalines par l’eau de pluie, mais cette action est très lente, et ne s’accomplit qu’aux échelles de temps des ères géologiques. Pour l’accélérer, on broierait finement ces roches, qui sont très abondantes sur terre. Pour ce propos, on cite souvent les roches de la famille de l’olivine ou basaltiques, mais beaucoup de roches siliceuses conviendraient. Mais il en faudrait des quantités gigantesques, et broyage et transport devraient être réalisés en utilisant de l’énergie renouvelable.
La croissance du phytoplancton fixe du gaz carbonique sous forme de carbone organique ; elle demande des sels nutritifs, nitrates et phosphates. Ceux ci sont présents dans l’Océan Antarctique, dans le Pacifique équatorial, et dans quelques autres régions, où, pourtant, cette croissance ne s’effectue que très lentement. En cause, le manque de fer, dans ces régions éloignées qui reçoivent très peu de poussières continentales. D’où l’idée, comme il en faut peu, de saupoudrer la surface de l’océan avec de la rouille : «donnez moi un demi cargo rempli de rouille et je vous vous fais une ère glaciaire!» (John Martin, 1988). Contrairement au projet d’alcaliniser l’océan, cet apport de fer est possible à peu de frais. Des essais qui ont eu lieu au début des années 2000 n’ont pas été très concluants. Mais vu sa faisabilité, des entreprises proposent de se faire financer pour le mettre en œuvre.
La géoingéniérie : parfois boite à sous, hélas?
Forêts, puits et sources de gaz carbonique
Un étude récente basée sur des observations par satellite montre que le puits que constituent les forêts tropicales n’est plus effectif, et que ce sont les forêts tempérées et boréales qui jouent encore un rôle de puits. Les forêts tropicales étaient pourtant jusqu’à présent considérées comme ayant la croissance la plus rapide. Mais depuis quelques années, en raison pour une part de la déforestation, l’Amazonie émet plus de carbone qu’elle n’en absorbe. Le puits de carbone que constituent nos forêts en France a diminué de moitié environ depuis dix ans, le bilan de 2022 étant particulièrement mauvais à cause des incendies dans les Landes. Une part de l’explication est que ces forêts, avec les espèces qui les composent, ne sont plus adaptées au climat. Il faudra trouver de nouvelles espèces mieux adaptées. Chaleur et sécheresse ne sont pas forcément synonymes de forêts clairsemées, comme le montrent les forêts d’Afrique du nord qui, au contraire, sont denses et stockent beaucoup de carbone. Les épicéas, les auraucarias, les pins d’Alep, les cèdres du Liban, sont des espèces plus résistantes au nouvelles conditions climatiques, et sont candidates pour les replantations.
Nos comportements vis à vis de la forêt sont à améliorer. Les forestiers ont souvent des pratiques néfastes: au lieu de couper les arbres, on les arrache. Cela rend la replantation moins onéreuse. Or, il y a autant de carbone piégé dans le système racinaire que dans la partie aérienne des arbres. Le bois a plusieurs usages: l’utiliser pour la construction représente un stockage de carbone quasi définitif, tandis que le brûler pour le chauffage réémet son contenu en carbone dans l’atmosphère. De même, les incendies de forêts rejettent du gaz carbonique dans l’atmosphère et ils rejettent aussi en abondance des suies, qui sont des aérosols absorbants, qui contribuent à réchauffer le climat. Les arbres ont une durée de vie limitée. Ils ne stockent du carbone que lorsqu’ils grandissent. Vouloir absolument protéger les vieux arbres n’est pas forcément justifié au nom de la lutte contre le changement climatique, car la biomasse de ces vieux arbres ne s’accroît plus.
Les fuites de méthane associées à l’exploitation du carbone fossile
L’agence spatiale européenne vient de publier une carte des principales émissions de méthane (un gaz à effet de serre, 80 fois plus puissant que le gaz carbonique sur 20 ans). Plutôt que les zones de riziculture, ou d’élevage de ruminants (visibles tout de même en Inde et en Argentine), cette carte indique surtout des fuites liées à l’extraction du charbon (Chine, Australie, Afrique du Sud, Appalaches), du pétrole (Texas, Mer Caspienne) ou du gaz (Russie). L’exploitation du gaz de schiste aux États Unis émet beaucoup, mais on remarque que les zones pétrolières bien entretenues (Arabie, Norvège) n’émettent pas beaucoup, alors que les mines de charbon sont des sources importantes.
Les satellites européens de la série Sentinel permettent de détecter les fuites importantes de méthane, et cette carte récente a été élaborée grâce aux données du satellite Copernicus Sentinel 5P. Un autre satellite capable de détecter le méthane (MERLIN) sera lancé en 2024.
Changement climatique, davantage d’eau, plus de sécheresses ?
Lorsque la température s’élève de 1°C, la quantité d’eau que peut contenir l’atmosphère à saturation s’élève de 7%, conformément à la loi de Clausius Clapeyron, souvent citée, même par les médias. Nous avons dépassé ce stade de +1°C. Pour autant, est ce que les précipitations se sont accrues de 7% ? Au contact de l’océan, l’atmosphère contient bien 7% d’eau en plus, mais l’air ainsi saturé, repris par les vents, et en interaction avec les surfaces continentales, est soumis à la complexité de la dynamique du climat. L’augmentation des précipitations est en fait estimée à seulement 2% par degré, mais ne s’applique pas de façon uniforme: sécheresses prolongées et pluies diluviennes accompagnent le changement climatique. Ces phénomènes ont souvent lieu à petite échelle et sont mal décrits dans les données de réanalyse. Dans une étude récente basée sur la réanalyse ERA 5, les auteurs se basent sur l’hypothèse que si la surface qui reçoit un jour de précipitations diminue, alors, la fréquence des pluies diminue et leur intensité augmente. En croisant les statistiques sur les quantités de pluies cumulées et les surfaces touchées chaque jour, ils vérifient cette hypothèse dans les régions où des données de terrain optimales assurent la bonne qualité de la réanalyse. Alors que les phénomènes liés à l’eau ont très souvent un caractère ponctuel, cette étude montre qu’on peut malgré tout extraire des indicateurs du climat des résultats à grande échelle des réanalyses. À noter qu’on devrait pouvoir trouver ces caractéristiques à petite échelle dans les observations du satellite GRACE.
Gérer les ressources en eau
Les questions d’eau sont gérées par les SAGE (Service d’Aménagement et des Gestion des Eaux). Les discussions qui se tiennent dans les réunions de SAGE se passent au niveau des entités territoriales avec le biais suivant: l’eau coule d’amont en aval, et l’aval, généralement plus peuplé que l’amont, finit toujours par l’emporter. Ainsi, chaque année, chaque habitant du plateau de Millevaches donne 1/2 million de m³ d’eau aux habitants de l’aval. Autre exemple: le débit du Rhône en France aurait diminué: c’est difficile à affirmer, car la sortie du lac de Genève est contrôlée par la Suisse qui veut avant tout stabiliser le niveau du lac (en particulier pour que les infrastructures portuaires des propriétaires de yachts n’aient pas à se préoccuper de variations du niveau du lac Léman). En année de sécheresse, la Suisse garde l’eau, et le cours du Rhône en France en pâtit. On trouve des cas similaires avec l’eau du Jourdain, le Colorado qui n’apporte plus d’eau au Mexique, les retenues d’eau d’Anatolie...
Avec la montée des océans, les nappes d’eau douce proches de la côte se salinisent. Ainsi, en Floride, un pipe line est en cours de construction (il coûtera 140 millions de dollars) pour alimenter en eau non pas «douce» mais seulement moins salée, le site de prélèvement d’eau pour la ville de Nouvelle Orléans (qui se trouve en partie sous le niveau de la mer).
Puits océanique et végétation terrestre de carbone : vers un affaiblissement ?
Depuis plusieurs décennies, on observe que seulement la moité environ des émissions anthropogéniques de carbone subsistent dans l’atmosphère. L’autre moité se répartit entre l’océan, et la biosphère terrestre. Cependant, les nouvelles récentes concernant ces puits suggèrent qu’ils sont de moins en moins efficaces.
La pénétration du gaz carbonique dans l’océan est lente, et les quantités qui pénètrent sont très faibles par rapport à l’existant. On connaît bien les conditions de surface, proches de l’équilibre entre l’océan et l’atmosphère, mais pour connaître la pénétration dans l’eau profonde, il faudrait des mesures qui ne sont possibles qu’au cours de campagnes océanographiques : inventaire TTO dans les années 60, inventaire GEOSECS dans les années 70, WOCE dans les années 90. De tels inventaires sont extrêmement coûteux, et on se contente maintenant de quelques suivis mensuels à des stations de référence. On a donc une image trop peu détaillée de la situation. Le réseau de bouées automatique Argo ne mesure que le pH de l’eau, or, pour connaître le système des carbonates, caractérisé par le carbone inorganique total (c’est lui qu’on souhaite connaître), l’alcalinité, le pH et la pression partielle de CO2, on a besoin de connaître au moins deux de ces paramètres. Une étude récente qui met en évidence une diminution du puits océanique de carbone doit donc être examinée avec prudence.
Le puits de carbone dans la végétation terrestre semble lui aussi être en diminution: son efficacité dans les régions tropicales se réduit, et des incendies vastes compromettent celui des zones tempérées et boréales. Le Global Carbon Project suit année après année les émissions de carbone, et l’état des stocks de carbone dans les océans et le biosphère terrestre. Ses prochains diagnostics seront à examiner attentivement.
Divers
Le scénario européen CLEVER (Collaborative Low Energy Vision for the European Region) propose un cheminement ambitieux et réaliste pour la décarbonation en Europe. Il est inspiré de celui élaboré par l’association Négawatt. Le travail de Négawatt est à souligner pour son sérieux. Il est la démonstration que les associations peuvent réaliser des études utiles et inspirer l’action publique.
En se retirant, les glaciers offrent des surfaces libres pour la reconquête par des écosystèmes. Ces écosystèmes n’atteindront leur équilibre que beaucoup plus tard, dans plusieurs dizaines d’années. En attendant, il serait bon qu’au moins certains d’entre eux fassent l’objet de protection et d’étude.
Les forêts émettent quantité de substances qui donnent naissance à des aérosols. Ces aérosols sont actifs dans la condensation de la vapeur d’eau atmosphérique et la formation des nuages. Parmi ces substances, récemment étudiés, les sesquiterpènes.
Septembre 2023
Lors de sa création, le Club des Argonautes s’est concentré sur l’explication des mécanismes du climat, et aussi sur les arguments destinés à contrer les déclarations des climatosceptiques. Vingt ans plus tard, le changement climatique est devenu une réalité admise par une très forte majorité, et les invectives des climatosceptiques sont stériles. En témoigne un article paru dans «Climate» (et non pas dans «Journal of Climate !») qui attribue le changement climatique aux variations du rayonnement solaire : cet article, violemment contré par Gavin Schmidt, fera sans doute le buz chez les climatosceptiques dont la motivation principale est : «nous ne voulons pas changer de mode de vie». Le débat n’est donc pas sur la contestation de la science, et le site web des Argonautes va évoluer vers un blog présentant des articles généralement courts, sur des sujets divers liés au climat, et sur des résumés des discussions que nous avons chaque mois, autour des articles récemment parus, des décisions et prises de positions relatives au climat, et des événements climatiques remarquables.
Sur notre site web
L’une des dernières nouvelles publiées dans notre blog concerne des artefacts qui apparaissent parfois sous forme de Radars de précipitation : étranges rayons de vélo dans les cartes des échos des radars de pluie. Ces anomalies sont dues à des émissions liées à l’activité humaine dans des bandes de fréquence qui débordent sur celles des radars de pluie. Elles se manifestent par des rayons de plus d’une centaine de kilomètres autour des radars. Elles peuvent apparaître partout dans le monde et sur tous les sites web où les échos des radars sont livrés au public sans nettoyage préalable, On en a observé en particulier en Espagne, mais aussi en Argentine ou en Mer Baltique.
Bientôt sur notre site web
Des événements survenus à la fin de la dernière période glaciaire, faisant alterner des phases de réchauffement avec de brusques refroidissements, impliquant des modifications profondes de la circulation océanique dans l’Atlantique nord (ainsi, que l’abracadabrant scénario du film « le jour d’après ») attirent l’attention des chercheurs, et aussi celle du public, sur la réponse des courants de l’Atlantique nord au changement climatique. Les ramifications nombreuses de la circulation marine dans cette région complexe, et la difficulté d’y effectuer des observations, donnent lieu à une forte activité de recherche, que nous nous efforçons de suivre avec l’objectif de, prochainement, rédiger une synthèse à destination du public. Actuellement l’Atlantique apporte beaucoup de chaleur à l’Arctique, qui reçoit par ailleurs de l’eau douce du Canada et de Sibérie ; l’équilibre entre les deux sources est peu documenté. On observe actuellement une "atlantification de l'Océan arctique" liée au dipôle atmosphérique de l’Arctique, qui, positif de 2007 à 2021, a fait pénétrer moins d’eau de l’Atlantique vers l’Arctique. Si ce dipôle devient négatif, la pénétration des eaux de l’Atlantique vers l’Arctique y favorisera la réduction de la banquise. Caractéristique intéressante et peu connue des hautes latitudes : les eaux denses (et à ces températures proches de zéro, très salées) ont tendance à être attirées vers les pôles.
Consultation Citoyenne sur la Trajectoire de Réchauffement de Référence
Le Club des Argonautes a répondu à la Consultation Citoyenne sur la Trajectoire de Réchauffement de Référence, lancée au printemps dernier par le gouvernement. Les concepts de préservation du bien commun et de juste besoin doivent constituer le fil directeur de l’action publique. Il nous a paru essentiel de déployer les moyens à l’échelle locale, tout en recherchant la cohérence avec les réglementations nationales et européennes. Un grand nombre de dispositions réglementaires mises en place antérieurement sans considération de la menace que constitue le changement climatique, devront être systématiquement réexaminées en vue de supprimer les obstacles qu'elles constituent trop souvent. L’efficacité des mesures prises devra être évaluée en permanence. Le Haut Conseil pour le Climat (ou une structure équivalente) devrait être doté de compétences élargies pour cette évaluation permanente, et pour l’animation de toutes les réflexions stratégiques. La formation des fonctionnaires décidée récemment par la gouvernement sera très utile pour la mise en application des décisions.
Demain des fonctionnaires qui parlent «climat»
Le Club des Argonautes salue la décision du gouvernement français de former les fonctionnaires à la transition écologique. Nous espérons que ce projet sera doté de moyens humains et financiers suffisants et prendra de l’essor. Un niveau de connaissances adapté est en effet nécessaire pour que la conduite de cette transition ne soit pas encombrée par des réglementations anciennes, inadaptées, voire contradictoires : il doit s’agir d’une formation, et non d’une information.
Bravo Copernicus!
Le service Copernicus sur le changement climatique (C3S) a tenu sa sixième assemblée générale du 12 au 14 septembre. Copernicus, qui vient d’avoir 25 ans (au départ identifié sous les initiales GMES (Global European monitoring service), est resté pratiquement inconnu du grand public jusqu’à cette année où, les événements liés à des conditions extrêmes se bousculant partout dans le monde, les médias y ont quotidiennement fait référence. Copernicus est ainsi devenu le principal service d’observation et d’analyse du climat vers lequel on se tourne chaque fois que se produit une inondation, une vague de chaleur, ou tout évènement extrême, rôle qui était jusqu’à présent dévolu aux puissantes organisations américaines que sont la NASA ou la NOAA. Les Français ont joué un rôle moteur dans la mise sur pied de Copernicus, et il y a lieu de s’en féliciter.
Comme Jules Verne dans «Sans dessus dessous» mais sans le faire exprès
L’humanité a change l’inclinaison de la terre a force de pomper l’eau souterraine. Le réarrangement des masses d’eau conduit à une redistribution des masses et la rotation de la Terre en est affectée. Un article de Christian Bizouard explique que le pôle se déplace dans un cercle de 15 à 20 m de diamètre en réponse aux variations saisonnières de l’étendue des calottes polaires. Le mouvement de rotation de la Terre ralentit peu à peu, de telle sorte qu’il faut, de temps en temps, ajouter une milliseconde au temps passé. Surprise cette année : ce mouvement de rotation s’est accéléré ! Il faudrait donc retirer une milliseconde à cette échelle. On pense à la danseuse qui tourne sur elle même de plus en plus vite si elle rapproche ses bras de son corps… l’explication pour cette récente accélération de la Terre reste à trouver.
2023, année terrible
La multiplication en 2023 des épisodes caniculaires, des sécheresses, des incendies et des pluies diluviennes interpelle les scientifiques : que se passe-t-il avec le climat ? Est-ce à cause de l’événement El Niño qui a débuté au printemps dernier ? Ou à cause de l’énorme quantité de vapeur d’eau injectée dans la stratosphère lors de l’éruption du volcan Hunga Tonga ? Ce dernier point doit être minimisé, les émissions concomitantes de poussières et de composés sulfurés étant plutôt de nature à refroidir le climat. Les plus alarmistes parlent d’un climat qui deviendrait hors de contrôle, très au-delà des prévisions élaborées par les modèles climatiques. Il existe une forte variabilité interannuelle, et il y a une dizaine d’années, au contraire, la hausse de la température moyenne globale a marqué une pause, qu’on a nommée le «hiatus», dont l’explication a demandé un gros travail de recherche. Il faudra du temps pour analyser cette période et la comprendre, mais sans en attendre les résultats, il faut admettre que le changement climatique est bel et bien en cours, et que ce n’est pas anodin. Les processus complexes de la formation des nuages pourraient y jouer un rôle. Le déséquilibre du bilan énergétique de la Terre (c’est à dire : le réchauffement) semble avoir augmenté cette année, passant de moins de 1 W/m² à plus de 1,5 W/m² ! A suivre.
Fumée blanche pour les cargos
La mise en application des régulations interdisant l’usage de fuel riche en soufre dans le trafic maritime a conduit à une réduction des aérosols réfléchissants dans l’atmosphère, notamment dans le très fréquenté Atlantique nord, et par conséquent à une augmentation du rayonnement solaire incident contribuant au réchauffement du climat. Il faut toutefois noter que la plus grande partie des aérosols soufrés ne provient pas du trafic maritime, mais plutôt de la combustion du charbon. Les gaz de combustion émis par les centrales qui utilisent des hydrocarbures sont désulfurés. Le soufre ainsi récupéré fournit la plus grande partie de cet élément pour l’industrie, en particulier pour la production de plâtre.
La géo-ingénierie, miroir aux alouettes de la finance
On entend souvent parler de projets visant à retirer du gaz carbonique de l’atmosphère. Ces projets sont toujours extrêmement coûteux en énergie, et reposent évidemment sur des énergies non émettrices de gaz carbonique. Ils laissent hélas croire que le remède viendra de la technologie, et de la géo-ingénierie, plutôt que de la décroissance : retrait du gaz carbonique, ou décroissance? Le premier se prête à des projets industriels et à des financements importants, la seconde non : la partie n’est pas équilibrée.
La pluie sur commande ?
Alors que les essais de déclenchements artificiels de pluie dont nous avons eu connaissance (ou auxquels certains d’entre nous ont participé) ont tout au plus fait tomber la pluie en un endroit A plutôt qu’en B. On entend de plus en plus parler de l’usage de cette pratique en Chine, en Thailande, au Moyen Orient. Toutefois, il est très souvent question d’essais, moins souvent de résultats.
Qui prend les décisions en cas de sécheresse ?
Une des conséquences liées à la crise climatique est les épisodes récurrents de sécheresse. Que fait la puissance publique dans ce domaine ? Ce sont les SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux) qui gèrent localement les ressources en eau. Ils doivent se doter d’une gouvernance qui doit trancher entre, par exemple, la priorité des besoins urbains et celle de l’agriculture : pas facile, les prises de décisions sont souvent houleuses.
Un Argonaute au Kirghistan
Profond et doté de rives abruptes, le lac Issyk-Kul au Kirghiztan est vaste, endoréique, et sa surface varie peu. Il constitue un site de qualité pour la calibration du satellite SWOT (Surface Water and Ocean Topography) lancé il y a un an. Pierre Chevallier, Argonaute, a participé à son étude. Bien que situé à 1600 mètres d’altitude, il ne gèle jamais. Il ne reçoit pas d’eau de l’Océan Indien, étant majoritairement alimenté par les pluies associées aux vents d’ouest qui transportent l’humidité depuis l’Atlantique et la Méditerranée. Son étude hydrologique doit prendre en compte des aspects mal connus : la géologie des nappes phréatiques, et la part que joue l’irrigation des zones cultivées sur une partie de ses rives. Un suivi du lac a été réalisé du temps de l’empire soviétique, mais les données archivées sont éparses et non numérisées pour la plupart.
Inquiétude pour les forêts
Longtemps considérées comme un puits de carbone, les forêts soumises aux incendies, aux vagues de chaleur, aux attaques par les insectes xylophages aux coupes pour le bois de chauffage et aux épisodes de sécheresse, pourraient dès 2026 émettre davantage de gaz carbonique qu’elles n’en capturent. En France, la majorité des feux sont causés par la négligence humaine ou une action volontaire. Ce n’est pas le cas au Canada où ils sont la plupart du temps causés par la foudre. Les incendies au Canada ont fait reculer les forêts et émis de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère (290 MT à la mi juillet, certainement davantage à venir). C’est peut-être pire chaque année en Sibérie. Ces feux exceptionnels pourraient à eux seuls en 2023 représenter près de 10 % des émissions totales de carbone.
Les sources naturelles d’hydrogène
Des progrès du côté de l’hydrogène : on découvre de plus en plus d'émissions naturelles d'hydrogène. On en a découvert en grande quantité en Lorraine à 1000 mètres de profondeur, sous une couche de charbon, dans les mines de fer. La difficulté est de parvenir à le capter. Par ailleurs, on travaille sur le stockage de l’hydrogène dans des métaux, et particulièrement dans de l’hydrure de magnésium. Des équipes travaillent aussi sur une photolyse de l’eau qui produit de l’hydrogène.
«Donnez moi un tanker plein de rouille et je vous donne une glaciation» (John Martin, 1988)
Parmi les projets de géo-ingénierie destinés à extraire du gaz carbonique de l’atmosphère, on trouve l’idée de saupoudrer avec du fer certaines zones de l’océan où, bien que les nitrates soient abondants, le manque de fer limite la photosynthèse. C’est ce qui se passe naturellement dans la région des îles Tonga où le volcanisme sous marin apporte le fer nécessaire à la croissance des cyanobactéries diazotrophes. Le fer, très peu abondant dans l’eau de mer, est en effet indispensable pour la diazotrophie. Il est habituellement fourni par les retombées de poussières terrestres, et, dans cette zone éloignée des continents, par l’activité volcanique. La diazotrophie en mer ne donne pas lieu à des poussées de plancton rapides car son coût métabolique est élevé. En agriculture, les légumineuses (soja, haricots, luzerne…) ont sur leurs racines des bactéries diazotrophes et on les utilise dans les rotations de cultures pour enrichir les sols en azote.
Rouspétons !
On souhaiterait bien sûr que l’accès aux articles scientifiques publiés soit gratuit. C’est le cas pour les revues de l’European Geophysical Union, mais là, ce sont les auteurs qui paient, et fort cher. Une telle décision se heurte aux intérêts des éditeurs. Pourtant les reviewers font leurs évaluations sans être rétribués (une rétribution poserait d’ailleurs des problèmes de neutralité !). Les éditeurs commerciaux profitent du «publish or perish» qui devient de plus en plus réel avec la tendance qui s’est généralisée de joindre des articles aux thèses. On peut bien sûr choisir de publier des articles dans des revues bon marché, mais les auteurs souhaitent évidemment publier dans des revues à fort impact. Le «publish or perish» aboutit à une pléthore de publications mais n’augmente pas le nombre de celles qui apportent vraiment des connaissances nouvelles.
Avec l’IA, la fin de la météo ?
Plusieurs signalements ces dernières semaines font état de développements visant à appliquer l’intelligence artificielle à la prévision météorologique. Ceci est symptomatique de l’irruption de l’intelligence artificielle dans la prévision météorologique, où elle promet une rapidité de calcul accrue. L’intelligence artificielle peut compléter, plutôt que remplacer les systèmes utilisés jusqu’à présent. En effet elle nécessite une assimilation des données qui précèdent l’instant de la prévision, et ces données sont fournies par la prévision numérique classique. Les réseaux de neurones sont entraînés sur des sorties de modèles, et donc, le changement climatique impose que l’apprentissage soit fait en permanence pour tenir compte du changement en cours : on ne peut pas prévoir le temps qu’il fera en se basant sur les statistiques d’un climat qui change. Par ailleurs, peut on mettre dans les réseaux de neurones des contraintes physiques (conservation de la masse, de l’énergie, vorticité potentielle… ? Ce n’est pas encore au point. Il pourrait devenir utile de représenter des phénomènes à petite échelle dont la résolution demande beaucoup de calculs par des réseaux de neurones dédiés, qui seraient ensuite intégrables dans des modèles à grande échelle. Le même principe pourrait être appliqué à des opérateurs d’observation. Un risque tout de même est qu’avec ces outils on perde de vue et oublie ce qu’on a mis dans la «boite noire». Il est donc indispensables de ne pas perdre dans ces développements l’oeil du physicien.
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