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Prix Nobel : Syukuro Manabe et Klaus Hasselmann

(Temps de lecture: 4 - 8 minutes)

Le Prix Nobel de Physique 2021 a été attribué pour moitié, conjointement, aux climatologues Syukuro Manabe, un Américano-Japonais, et Klaus Hasselmann, un Allemand

, "pour la modélisation physique du climat de la Terre, pour en avoir quantifié la variabilité et prédit de façon fiable le réchauffement climatique" . C'est la deuxième fois qu' un Prix Nobel scientifique distingue les sciences du climat : le Prix de Chimie 1995 avait été attribué à P. Crutzen, M. J. Molina et F. S. Rowland pour leur étude du "trou d'ozone"(et le Prix de la Paix 2007 avait été attribué conjointement à l'ancien vice-président américain Al Gore et au Groupe d' experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, GIEC). L' autre moitié du Prix de Physique est attribuée cette année au physicien théoricien Giorgio Parisi.

Syukuro Manabe (Olivier Talagrand, membre du Club des Argonautes)

Après des études au Japon, Syukuro ('Suki') Manabe est venu aux États-Unis dans les années 1960. Il est entré au Geophysical Fluid Dynamics Laboratory (GFDL), un Laboratoire du gouvernement fédéral états-unien créé par J. Smagorinsky, et installé à l'époque à Washington (et plus tard à Princeton dans le New-Jersey). Utilisant les moyens offerts par les moyens de calcul puissants qui devenaient disponibles, S.Manabe a travaillé au développement de modèles numériques de simulation climatique. Ces modèles sont analogues aux modèles qui étaient déjà utilisés à l' époque pour la prévision météorologique ordinaire, et sont fondés sur les mêmes principes physiques de base (conservation de la masse, de l' énergie et de la quantité de mouvement, auxquels s' ajoutent les lois qui gouvernent l' émission et l' absorption du rayonnement électromagnétique). Mais ils sont destinés à être "intégrés" sur des durées beaucoup plus longues, et à étudier les variations du climat à long terme. S.  Manabe s' est dès le début intéressé à l' effet radiatif des gaz atmosphériques, et particulièrement de la vapeur d' eau (H20) et du dioxyde de carbone (CO2), deux puissants gaz à effet de serre. Il a procédé de façon méthodique, étudiant d' abord l' équilibre radiatif d' une colonne d' atmosphère, obtenant dès 1967 (avec R. Wetherald, son collègue au GFDL) la conclusion qu' un doublement du contenu atmosphérique en CO2 pourrait conduire à terme à une augmentation de la température au sol de l' ordre de 2°C. Il a ensuite étudié la circulation et le bilan radiatif d' une partie d' atmosphère d' aire limitée, d' une atmosphère entière, et enfin (en collaboration avec K. Bryan, un autre collègue du GFDL), d' une atmosphère couplée avec un océan. Les nouveaux résultats confirmaient les premières conclusions de Manabe. Celui-ci donnait ainsi une estimation quantitative plus précise, et fondée sur des bases physiques beaucoup plus solides, à des considérations formulées dès la fin du XIXième siècle par le chimiste suédois Arrhenius, puis plus tard par le Britannique Callendar. Aujourd' hui, plus de cinquante ans après les travaux initiaux de Manabe, on observe l' échauffement annoncé, et les ' projections' prévues, bien que sujettes encore à une marge d' incertitude, sont bien compatibles avec ses premières estimations.

Manabe a continué ensuite le développement de Modèles de Circulation Générale (MCG), y ajoutant, outre l'océan, une représentation détaillée des nuages et du cycle de l' eau, de la cryosphère, des échanges avec le sol, ainsi que de nombreux autres phénomènes intervenant dans la machine climatique. Il s'est intéressé entre autres aux âges glaciaires et aux variations passées du climat, simulées elles aussi de façon réaliste. On dispose maintenant de ' Modèles du Système Terre' simulant de plus en plus de processus, certains commençant à représenter les interactions entre le climat et l' économie.

S. Manabe a été un véritable pionnier dans le développement de la modélisation numérique du climat, et plus généralement dans les sciences du climat. Les modèles numériques du climat sont maintenant utilisés à de nombreux travaux de recherche et à de multiples applications. Ces modèles sont en particulier la source principale des 'projections' incluses par le GIEC, quant au climat à venir, dans ses rapports successifs.

Klaus Hasselmann (Claude Frankignoul, Sorbonne université, LOCEAN)

Dès le début des années 60, Klaus Hasselmann avait établi par des développements en série et des calculs très complexes le rôle fondamental des interactions non-linéaires entre ondes de surface dans la croissance de la mer de vent et la prévision de l’état de la mer. Ces articles novateurs m’avaient fasciné, aussi, lors d’une de mes longues visites au Woods Hole Oceanographic Institution, USA où il travailla en 1971 et 1972, ai-je été heureux qu’il m’ait invité à venir travailler quelque temps à Hambourg. J’ai passé plus de deux ans à Hambourg, de fin 1973 à 1976, au moment où il créait l’Institut Max Planck de météorologie et développait sa théorie novatrice sur la variabilité stochastique du climat. Alors que beaucoup de chercheurs tentaient à l’époque d’expliquer les variations du climat par des influences extérieures et déterministes comme des changements de rayonnement solaire et des rétroactions discutables, Klaus Hasselmann a démontré qu’il existait une importante variabilité “naturelle” du climat qui était due à l’impact des fluctuations journalières du temps (vent, température, pluie) sur l’océan, la glace de mer et les autres composantes “lentes” du système climatique qui intègrent ce forçage “stochastique”. Si ce dernier n’est guère prévisible au-delà d’une dizaine de jours, les variations naturelles du climat peuvent l’être à long terme car elles obéissent à leur propre dynamique et peuvent avoir un temps de réponse très long. Sa publication (Hasselmann 1976 : Stochastic climate models, Part 1 : Theory) est fondamentale et s’applique à de nombreux aspects de la recherche climatique, si bien que tous les jeunes chercheurs de nos disciplines devraient la lire. Comme l’article était très théorique, faisant l’analogie avec la marche aléatoire, le mouvement brownien et d’autres concepts de physique théorique, Klaus voulait le rendre plus accessible par des applications concrètes et même une illustration numérique. C’est ainsi que j’ai travaillé avec lui sur la variabilité naturelle de la température de surface océanique qui est bien représentée - loin de l’équateur - par un modèle simple qui est encore utilisé de nos jours sous une forme à peine plus sophistiquée (Frankignoul et Hasselmann 1977, Part 2) : la couche superficielle océanique a une grande inertie thermique et répond en intégrateur du forçage stochastique atmosphérique. En parallèle, il a lancé d’autres jeunes chercheurs sur des applications comme la variabilité naturelle de la température globale ou les variations de la couverture de glace en Arctique, suggérant toujours une approche fondamentale basée sur des modèles aussi simples que possible, même si ils demandaient des calculs approfondis comme ce fut le cas lorsque, avec Peter Müller, j’ai estimé la réponse de l’océan profond au forçage stochastique dû au vent. Cependant, après avoir montré pourquoi le climat fluctue et a toujours fluctué, Klaus Hasselmann a développé une stratégie pour mieux détecter un signal déterministe comme l’échauffement global en présence du «bruit » causé par cette variabilité naturelle du climat. C’est une méthode d’optimisation qui, à nouveau, a influencé de manière durable la recherche sur les changements climatiques. Il serait fastidieux de citer toutes ses contributions allant de méthodes d’analyse et d’optimisation statistique à l’interprétation des observations satellitaires et l’impact socio-économique des changements du climat ou au développement du modèle de climate du Max-Planck Institute qui est devenu l’un des meilleurs modèles utilisés pour la prévision climatique. Il a également joué un rôle essentiel dans différents programmes de mesure in-situ et dans l’organisation mondiale de la recherche sur le climat. Si Klaus Hasselmann a guidé et influencé de nombreux étudiants et chercheurs, il l’a fait pour contribuer à la connaissance, à la science, au progrès, le plus souvent sans même associer son nom aux travaux qu’il avait suscités. Pour moi, travailler avec lui a été une expérience stimulante qui m’a influencé tout au long de ma carrière. Son intelligence extraordinaire et sa rapidité d’esprit (et de parole) étaient parfois éblouissantes, mais pour ceux qui ont pu en profiter, c’était source d’inspiration continue. Et quelle surprise ne fut pas la nôtre lors du colloque tenu en 1991 en l’honneur de ses 60 ans quand, au lieu de parler de variabilité climatique pendant 15 minutes comme nous l’attendions, il nous a dévoilé que depuis plusieurs décennies il travaillait (surtout pendant ses week-ends) sur la physique fondamentale et avait développé une théorie des champs et des particules entièrement nouvelle. Son exposé dura deux heures. Ironiquement, pour celui qui a toujours utilisé des modèles et des concepts stochastiques, sa théorie, le modèle Metron, est un modèle déterministe qui vise à résoudre le paradoxe de la dualité onde-particule qui n’est qu’à moitié expliqué par la théorie quantique des champs. Le modèle Metron dérive des solutions du modèle toutes les propriétés des particules élémentaires et les constantes universelles comme la gravité, la masse, la charge électrique ou la supraconductivité. Construire comment obtenir ces solutions a demandé plusieurs années de manipulations algébriques, mais il n’a pas encore pu démontrer leur existence dans le cas général. Pourtant, cela ne le tracasse guère car, comme pour ses travaux fondamentaux sur climat, d’autres continueront surement dans cette nouvelle voie.

Adapté de «Klaus Hasselmann, le visionnaire», La Météorologie N° 115, 2021.

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