Les indices climatiques 2023
Le climat et son évolution sont devenus une préoccupation dominante des médias, et les grandes agences qui recueillent et analysent les données climatiques produisent de plus en plus rapidement des analyses climatiques complètes de l’année écoulée. C’est de ces analyses que proviennent la plupart des informations du bilan ci-dessous. Parmi les principaux sites, citons :
- Les services du programme européen Copernicus
- L'organisation Météorologique Mondiale
- Météo France
- La NOAA (National Oceanic and Atmosphéric Administration, USA)
- La NASA (National Aeronautics and Space Administration, USA)
Berkeley Global Temperature Report for 2023 - Global Carbon Project
Sommaire
Nouveau record de température moyenne globale
L’état du Pacifique intertropical : en 2023, El Niño
La cryosphère
Le niveau marin
Le contenu thermique des océans et le déséquilibre thermique de la Terre
Les émissions anthropiques de gaz carbonique
Évènements marquants en 2023 dans le monde
Et en France ?
Que peut-on dire pour 2024 ?
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Alors que la température moyenne des sept années précédentes n’avait pas dépassé celle de 2016, une année marquée par un épisode El Niño, on s’attendait à ce que l’année 2023 batte ce record, surtout si un nouvel épisode El Niño se développait, ce qui était probable. La température moyenne à la surface de la Terre s’est accrue considérablement de façon inattendue, dès le mois d’avril 2023, et sans attendre l’El Niño qui s’est déclaré à la fin du mois de mai et a encore accentué ce réchauffement. La brutale et très forte hausse de la température moyenne de la Terre n’est pas en dehors des prévisions, mais son ampleur a surpris et n’est pas encore totalement expliquée. Elle a provoqué un peu partout dans le monde de nombreuses canicules, et a fortement influencé la cryosphère, ainsi que les régimes de pluie et de sécheresse.
Nouveau record de température moyenne globale
La température moyenne globale en 2023 s’est établie à 14,98°C, soit 1,48°C au dessus de celle des années 1850 à 1900, tout près du seuil de 1,5°C fixé par les accords de Paris en 2015. Le décrochement par rapport aux années précédentes s’est fait sentir dès le mois d’avril, et s’est accru par la suite lorsqu’un épisode El Niño s’est établi dans le Pacifique équatorial à la fin du mois de mai. Le mois de juin a ainsi été le plus chaud jamais observé, et il en a été de même pour tous les mois suivants jusqu’à la fin de l’année (figure 1).
Figure 1 : la température moyenne à la surface de la Terre entre 60°N et 60°S en 2023 (en orange) s’écarte très nettement de celle de toutes les années précédentes. Source : Climate Reanalyzer
Le climat se réchauffe depuis les années 1970 au rythme d’environ 0,2°C par décennie et l’année 2023 met fin à une période de 6 ans d’apparente stabilité après 2016 (figure 2).
Figure 2 : évolution de la température globale moyenne annuelle depuis 1850 (anomalies par rapport à la moyenne du 20ème siècle). Source : NOAA
Ce réchauffement ne s’applique pas uniformément à la surface de la Terre : les pôles se réchauffent plus vite que les tropiques, et les terres émergées se réchauffent beaucoup plus vite que les océans. Le réchauffement est aussi beaucoup plus marqué dans l’hémisphère nord, où se trouve la plus grande partie des continents, que dans l’hémisphère sud largement dominé par les océans (figure 3).
Figure 3 : variation du réchauffement du climat selon les régions (source : Copernicus)
L’état du Pacifique intertropical : en 2023, El Niño.
L’appellation El Niño désigne un état de l’Océan Pacifique tropical caractérisé par un transfert vers les côtes américaines des eaux chaudes équatoriales habituellement localisées dans l’ouest, et par des vents alizés anormalement faibles. El Niño se développe en général au second semestre, et dure moins d’un an, après quoi il laisse la place pour 5 à 10 ans au régime alternatif, La Niña, durant lequel des alizés forts accumulent dans l’ouest du Pacifique tropical les eaux tropicales chaudes sur 200 à 300 m d’épaisseur.
Figure 4 : anomalies de température à la surface du Pacifique tropical en novembre 2023 (source : NOAA)
Les répercussions climatiques d’El Niño sont nombreuses, et en particulier, la vaste et intense anomalie positive de température qui s’est établie en 2023 le long de l’équateur sur une centaine de degrés de longitude a affecté fortement la température moyenne globale de la surface terrestre (figure 4). C’est la principale cause de la forte accélération du réchauffement climatique en 2023, comme cela l’avait été lors du précédent épisode en 2016.
La cryosphère
Les banquises
La banquise de l’hémisphère nord a atteint en septembre 2023 la deuxième superficie la plus réduite jamais observée. On remarque en particulier que le très stratégique « passage du nord ouest » a été très largement ouvert à la navigation cette année. La banquise de l’Antarctique a atteint en 2023 sa plus petite extension tout au long de l’année, en mars pour le minimum annuel et en octobre pour le maximum (figure 5).
Figure 5: évolution de la superficie des banquises polaires au cours de l’année 2023 par rapport aux années précédentes.
a) banquise arctique (sur la carte à droite, extension minimum en septembre 2023).
b) banquise antarctique (sur la carte à droite, extension maximum).
Source : WMO.
Glaciers
Comme c’est le cas chaque année depuis 1996, la calotte du Groenland a perdu de la glace en 2023. La fonte des glaciers a été intense cette année, à cause de températures anormalement élevées, mais les hauts plateaux du Groeland ont aussi bénéficié d’apports sous forme de pluie et de neige au printemps et au début de l’été (ceci correspond aux tendances attendues). Le bilan est une perte de 196 gigatonnes de glace entre septembre 2022 et août 2023. D’une façon générale, les températures élevées de 2023 ont eu pour conséquence une fusion accrue de la plupart des glaciers de montagne.
Le niveau marin
Avec le réchauffement du climat, le niveau des océans s’élève du fait de l’expansion de l’eau due à l’augmentation de leur température, et de l’accroissement de leur masse due à la fonte des glaciers et à celle des calottes glaciaires. La vitesse de cette élévation s’accroît peu à peu depuis qu’elle est mesurée en permanence par l’altimétrie satellitaire (figure 6).
Figure 6 : hausse du niveau moyen des océans depuis 1993 (source : WMO)
Comme c’est toujours le cas lorsqu’un évènement El Niño se produit, la hausse du niveau de l’océan est particulièrement forte dans le Pacifique équatorial est (environ +10 cm), compensée par une baisse dans l’ouest.
Le contenu thermique des océans et le déséquilibre thermique de la Terre
Le corollaire du réchauffement du climat est que la Terre reçoit davantage d’énergie en provenance du Soleil qu’elle n’en émet sous forme de rayonnement infra-rouge vers l’espace. Les océans et les surfaces émergées se comportent différemment : les premiers sont transparents, et la chaleur y pénètre en profondeur, puis est redistribuée dans l’ensemble des océans par la circulation océanique, notamment le mélange turbulent, tandis que les secondes échangent la chaleur reçue avec l’atmosphère. Les océans emmagasinent ainsi 93% du gain de chaleur dû à l’effet de serre.
Dans les océans, le contenu thermique est observé en permanence depuis 2000 par les bouées dérivantes Argo. Il s’est accru dans la plupart des bassins, et plus particulièrement dans tout l’Océan Atlantique, dans le Pacifique nord, et dans l’Antarctique entre 35 et 50°S (figure 7).
Quelques régions, d’une étendue beaucoup plus réduite, ont au contraire perdu de la chaleur : la région chaude du Pacifique tropical au sud-est du Japon, l’Antarctique au sud-ouest du Cap Horn, et l’est du Groenland. Remarquablement, les deux zones voisines de l’Atlantique nord et de l’est du Groenland, sont respectivement celle qui a le plus accumulé de chaleur et celle qui s’est le plus refroidie.
Figure 7 : gain de chaleur dans les océans entre la surface et 2000 m de profondeur de 1958 à 2022 (source WMO)
Le contenu thermique des océans s’accroît régulièrement depuis 1990, et 2023 marque un nouveau record (Figure 8).
Figure 8 : évolution du contenu thermique de l’océan entre la surface et 700 m de profondeur (source : NOAA).
Illustration de la capacité des océans à stocker la chaleur : la surface des océans se réchauffe environ deux fois moins vite que les terres émergées (Figure 9).
Figure 9 : évolution comparée de la température moyenne à la surface des terres émergées (en rouge) et à la surface des océans (en bleu). source Berkeley Earth.
Le déséquilibre thermique de la terre représente le forçage qu’exercent les gaz à effet de serre sur le système climatique. Sa mesure directe par l’observation du rayonnement émis et reçu au sommet de l’atmosphère est difficile, et l’observation du niveau des océans (dont l’augmentation est due à leur dilatation, et à la fonte des glaces, celle ci indiquant la chaleur de fusion) est un outil essentiel pour l’estimer. Ce déséquilibre tend à s'accroître depuis 2000 et a atteint ses plus fortes valeurs en 2022 et 2023 (figure 10), signe que le réchauffement du système climatique s’accélère.
Figure 10 : variations du déséquilibre énergétique de la Terre depuis 2000
(source https://www.columbia.edu/~jeh1/mailings/2023/Acceleration.2023.11.10.pdf)
Les émissions anthropiques de gaz carbonique
Après un léger ralentissement pendant la pandémie de COVID, les émissions de gaz carbonique sont reparties à la hausse, et on estime que celles de 2023 dépasseront celles de 2022 (Figure 11).
Figure 11 : croissance des émissions anthropiques de gaz carbonique depuis 1990. (le niveau présenté pour 2023 est une estimation provisoire).
Source : Global Carbon Project.
Remarque : une gigatonne de carbone équivaut à 3,7 gigatonnes de gaz carbonique.
Faute d’une diminution de ces émissions, la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère continue de croître (+2,4 parties pa million en 2023), et probablement davantage en 2024 comme c’est en général le cas l’année qui suit un épisode climatique El Niño (figure 12). Les principaux pays responsables de ces émissions sont l’Inde, et surtout la Chine. En revanche, les émissions en Europe et aux Etats Unis d’Amérique baissent, lentement.
Figure 12 : croissance de la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère depuis 2015.
Source : Global Carbon Project.
Évènements marquants en 2023 dans le monde (figure 13)
Figure 13 : évènements climatiques marquants en 2023 (source : NOAA)
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Canicules
Les épisodes caniculaires se sont multipliés en 2023, débutant dès le mois d’avril dans l’Asie du sud est, notamment au Cambodge et en Thaïlande, ainsi qu’en Espagne, au Portugal et au Maroc, et au Canada. En juin, une vague de chaleur frappe le sud des Etats-Unis, en particulier le Texas et la Louisiane. En juillet, la chaleur persiste aux Etats Unis, et frappe la France, l’Italie, la Grèce. Dans l’hémisphère sud, à peine l’hiver terminé, le Brésil, le Chili et l’Argentine sont frappés par des vagues de chaleur dès le mois d’août. -
Inondations
La Californie, ces dernières années plutôt soumise à la sécheresse, a reçu dès le mois de janvier des pluies et des chutes de neige en altitude très abondantes, qui ont conduit à des inondations record, qui se sont reproduites en mars. Entre temps, fin janvier, la ville d’Auckland en Nouvelle Zélande a été innondée après de pluies diluviennes. En mars, la côte est de l’Australie a subi des inondations, puis en avril, la côte est de l’Afrique du sud, et de nouveau en juillet, la côte est de l’Australie. En juillet également, au Kentucky aux Etats Unis des innondations ont causé la mort de 79 personnes. En août, c’est la Chine qui a souffert de très graves inondations après le passage du typhon Doksuri. En Septembre, le cyclone méditerranéen (médicane) Daniel a causé des inondations en Bulgarie, en Grèce, en Turquie et en Libye où il a causé de nombreux morts. Les parties basses du nord de la France ont été durablement sous les eaux en décembre. -
Sécheresse
Dès le mois de février, pourtant généralement mouillé en France, la sécheresse a commencé à se faire sentir. Dès le début de juillet, l’Italie a connu sa pire sécheresse depuis 70 ans. Dans beaucoup de régions du globe, la sécheresse a très fortement sévi. Cela a été le cas dans toute l’Afrique du nord ouest, en Espagne et au Portugal, en Asie centrale et au Moyen Orient, en Amérique centrale, au nord de l’Amérique du sud, et, de façon particulièrement sévère, en Argentine et en Urugay. -
Incendies de forêts
À la suite de la sécheresse en Espagne, des centaines d'incendies ont ravagé en avril les forêts dans les Asturies. Les incendies de forêts les plus frappants ont eu lieu au Canada à partir du mois de mai, occasionnant tellement de fumée qu’il a été recommandé à New York de ne pas sortir sans masque pendant quelques jours du mois de juin. L’île de Maui dans l’archipel de Hawaï a été dévastée par des incendies qui ont fait plus de 100 morts. Incendies aussi en août dans l’île de Ténériffe aux Canaries. En Grèce en juillet des incendies de forêt ont créé une situation catastrophique en pleine saison touristique. Des incendies nombreux ont aussi été détectés en Sibérie. Ces incendies sont émetteurs de gaz carbonique, et l’estimation pour 2023 s’élève à 2,17 GT de carbone. Toutefois, si cette estimation montre une forte hausse par rapport aux 10 années précédentes, due pour près d’un quart aux incendies du Canada, on note une diminution par rapport aux années 2003 à 2010 (figure14).
Figure 14 : émissions de carbone par les incendies de forêts depuis 2003, en mégatonnes de carbone
(source : Copernicus)
Et en France ?
2023 n’a pas été l’année la plus chaude jamais enregistrée en France, le record restant à 2022. Le régime des pluies a été très contrasté, avec une sécheresse très marquée au début de l’année et des passages de fortes dépressions en automne, qui ont largement arrosé le nord et le sud ouest et provoqué des inondations dans le département du Nord et sur les bords de la Charente. Le pourtour méditerranéen, et en particulier l’Aude, l’Hérault, le Gard, et surtout le Roussillon, ont continué de souffrir d’un très fort déficit de pluviométrie.
Voir le bilan complet établi par Méteo France.
Que peut-on dire pour 2024 ?
La hausse brutale de la température moyenne à la surface de la Terre dès avril 2023 a surpris, même parmi les scientifiques qui en ont aussitôt recherché les causes.La cause première est évidemment l’accroissement de la concentration en gaz carbonique de l’atmosphère, mais le réchauffement observé se situe à la limite supérieure de la marge d’incertitude des prévisions climatiques. L’occurrence d’un épisode El Niño en 2023 en explique certainement une part, comme ce fut le cas pour l’épisode de 2016, restée jusqu’alors l’année la plus chaude, mais cela ne suffit pas et d’autres facteurs ont du intervenir. Parmi ceux ci, l’éruption du volcan Hunga Tonga en 2022, qui a injecté une grande quantité de vapeur d’eau dans la stratosphère, a pu jouer un rôle : la vapeur d’eau est en effet un gaz qui renforce l’effet de serre. Mais cette éruption, comme toutes les éruptions, a aussi injecté dans la stratosphère des poussières qui, au contraire, réfléchissent le rayonnement solaire vers l’espace et contribuent plutôt à rafraîchir le climat. Enfin, la mise en application de l’interdiction des carburants contenant du soufre dans le transport maritime a entraîné une diminution des aérosols, notamment dans l’Atlantique nord et le Pacifique nord, or ces aérosols rafraîchissaient le climat en réfléchissant le rayonnement solaire.
C’est au cours de sa phase de déclin qu’un épisode El Niño provoque la plus forte hausse de la température moyenne à la surface de la Terre. Or, l’épisode de 2023 a débuté tard, et cette phase de déclin devrait se produire au début de 2024 : un nouveau record à attendre ?
Et en 2025 ?
Eh bien, il faudrait sérieusement diminuer nos émissions de gaz carbonique.
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