Les indices climatiques 2021
Sommaire
El Niño – La Niña
La température moyenne globale
Le contenu thermique océanique
Le niveau des océans
La cryosphère
Le gaz carbonique
Événements remarquables
Conclusion
Le réchauffement causé par l’accumulation de gaz carbonique dans l’atmosphère est au centre des préoccupations concernant le climat, et s’est poursuivi en 2021, avec ses conséquences multiples. De plus, l’année 2021 se caractérise par des conditions La Niña prolongées dans le Pacifique équatorial (vents alizés intenses et eau de surface anormalement froide) qui ont des conséquences sur la plupart des indices climatiques.
El Niño/La Niña
Des vents alizés forts (La Niña) ou faibles (El Niño) dans la vaste région du Pacifique équatorial ont une influence sur le climat global. Lorsque les alizés (de nord-est dans l’hémisphère nord, de sud est dans l’hémisphère sud) sont forts, du fait de la force de Coriolis, ils entraînent l’eau chaude équatoriale de surface vers leur droite dans l’hémisphère nord et vers leur gauche dans l’hémisphère sud, c’est à dire vers l’ouest, tout en l’écartant de l’équateur, favorisant ainsi des remontées d’eau profonde (pompage d'Ekman) et mettant en place une langue anormalement froide. De telles conditions La Niña se sont maintenues durant toute l’année 2021, avec des températures inférieures d’environ 1°C à la moyenne le long de l’équateur (figures 1, 2), et, induite par l’accumulation de la couche d’eau de surface à l’ouest, un enfoncement de la thermocline d’une vingtaine de mètres (Figure 2).
Fig 1 : anomalies de température de surface dans le Pacifique tropical en décembre 2021.
Source : US National Oceanographic and Atmospheric Administration
Fig 2 : anomalie de température de surface (en haut), et pente de la thermocline (en bas)
de 1997 à 2021 dans la boite Niño 3-4 (cartouche à gauche).
Source : US National Oceanographic and Atmospheric Administration
La température moyenne globale
En 2021, la température moyenne globale à la surface de la Terre a été de 0,84°C plus chaude que la moyenne du 20ème siècle, mais moins chaude que celle de 2020, et en dépit du réchauffement global observé depuis le début du 20ème siècle, elle ne prend que la sixième place parmi les années les plus chaudes (figure 3).
Figure 3 : évolution de la température moyenne globale à la surface de la Terre de 1880 à 2021 (d’après la NOAA )
La croissance de la température moyenne globale présente une forte variabilité d’une année à l’autre. L’occurrence du phénomène El Niño dans le Pacifique équatorial, ou de son opposé La Niña, explique en grande partie cette variabilité. En effet, en situation El Niño, la température de l’océan y est élevée, alors qu’en situation La Niña, comme cela a été le cas en 2021, les vents y écartent les eaux chaudes de surface et font affleurer des eaux plus froides (figure 1). Les vastes dimensions de la région, comprise entre 5°N et 5°S, 160°E et 90°W, font que cette particularité locale a une influence sur la moyenne globale. La figure 4 montre que les occurrences du phénomène El Niño correspondent presque toujours à des accélérations de la hausse de la température moyenne globale.
Fig 4 : anomalies de la température globale moyenne mensuelle et occurrence de conditions El Niño. Les forts événements El Niño de 1997 et de 2016 correspondent aux records atteints par la température moyenne annuelle ces années là bien visibles sur la figure 3 (d’après la NOAA ).
Bien que 2021 ne se classe que sixième parmi les années globalement les plus chaudes, le mois de juillet y a été le plus chaud jamais mesuré. Dans certaines régions, des records de chaleur ont été enregistrés. En juin, la température a atteint des valeurs record en Sibérie, et un «dôme de chaleur» s’est établi sur le Pacifique nord est, entraînant une vague de chaleur à l’ouest des États Unis et au Canada (49,6°C enregistrés à Lyton en Colombie Britannique où des incendies gigantesques se sont propagés). La Grèce, la Turquie, les Balkans et l’Afrique du nord ont connu en été des périodes de très forte canicule. Des températures record ont été enregistrées en décembre dans les Montagnes Rocheuses aux États Unis et au Canada.
La hausse des températures a été particulièrement forte en Afrique de l’ouest et du nord, en Arabie et en Chine. Elle a été moins marquée en Europe du nord et en Sibérie, tandis que les régions polaires ont été plus froides que la moyenne (figure 5).
Fig 5 : tendances régionales du réchauffement en 2021 (source NOAA)
L’année 2021 a aussi été marquée par un printemps très précoce en Europe de l’ouest et au Japon, où la très symbolique floraison des cerisiers le 26 mars a battu le précédent record enregistré le 27 mars en 1409 (cet événement peut être dû au réchauffement global, mais il a aussi pu être favorisé par l’effet d’îlot de chaleur dû au développement de la ville). Après un démarrage rapide dû à cette douceur du climat, les cultures ont subi des gelées dévastatrices au mois d’avril : avec le changement climatique en cours, ce risque pourrait bien se répéter à l’avenir.
Le contenu thermique de l’océan.
Malgré des conditions anormalement froides dans l’Océan Pacifique, dues à des conditions La Niña, le contenu thermique des océans s’est accru d’environ 14 ZJ en 2021 (figure 6), soit une quantité d’énergie 23 fois plus grande que celle utilisée par l’homme en 2019. L’accroissement observé au cours des dernières décennies représente 93% de la chaleur emmagasinée par le système climatique terrestre du fait des émissions de gaz à effet de serre.
Fig 6 : évolution du contenu thermique des 2000 premiers mètres de l’océan (anomalie par rapport à la période 1981 – 2010). (Source CarbonBrief.)
Cette évolution est observée en permanence grâce principalement au réseau de flotteurs Argo. Les maximums de chaleur accumulée au cours de l’année 2021 se situent principalement à l’ouest de l’Océan Atlantique aux latitudes tempérées, et de part et d’autre de l’équateur dans l’Océan Pacifique ouest, suggérant un transfert vers des latitudes plus élevées de la chaleur emmagasinée près de l’équateur du fait des conditions La Niña qui ont régné en 2021 (figure 7).
Fig 7 : gain de chaleur dans les 2000 premiers mètres de l’océan au cours de l’année 2021
(Cheng et al. 2022).
Le niveau des océans
Le niveau des océans continue de s’élever, dépassant d’environ 9 cm à la fin de 2021 celui de 1991, année où a débuté sa surveillance par l’altimétrie satellitaire (figure 8). Cette élévation est due pour partie à la dilatation de l’eau de mer du fait de son réchauffement, et pour partie à l’augmentation de la masse des océans qui se fait aux dépens des nappes phréatiques terrestres, des glaciers et des calottes glaciaires.
Il est remarquable qu’avec l’outil satellitaire Grace et les mesures de température en profondeur par le système de flotteurs dérivants Argo, on est maintenant capable de combiner ces deux processus indépendants l’un de l’autre, pour retrouver le niveau marin avec une excellente précision (figure 8), ce qui indique la robustesse de cet indicateur.
Fig 8 : rôles respectifs de l’expansion thermique de l’eau et de l’augmentation de la masse des océans par apport d’eau douce dans la montée du niveau des océans. (Source : NASA)
La distribution globale des pluies est affectée par la situation climatique du Pacifique tropical : en période El Niño, les précipitations se font davantage sur les océans, tandis qu’elles ont lieu davantage sur les terres émergées en situation La Niña. C’est cette dernière situation qui a prévalu en 2021, et le stock d’eau sur les terres émergées devrait donc être anormalement élevé. Lorsqu’un retour à des conditions El Niño aura lieu, peut être en 2022, ce stock terrestre diminuera (par évapotranspiration et par l’écoulement des fleuves), il faudra s’attendre à une accélération particulièrement forte de la montée du niveau marin.
La cryosphère
La superficie de la calotte glaciaire de l’Arctique en 2021 a été très inférieure à celle de la période 1980 – 2010, mais a été légèrement supérieure à celle des années précédentes, tandis que celle de l’Antarctique évolue peu (figure 9). De la pluie est tombée sur les plus hauts sommets du Groenland le 15 août, ce qui n’avait jamais été observé auparavant.
Fig 9 : évolution de la superficie des calottes glaciaires polaires (Source : State of Global Climate 2021, WMO provisional report).
La masse des glaciers diminue globalement d’année en année, comme on peut le voir pour l’Antarctique (figure 10) et pour une sélection de 40 glaciers de montagne (figure 11).
Fig 10 : changement de masse de la calotte de glace de l’Antarctique, estimée par le satellite GRACE.
Fig 11 : évolution de la masse des glaciers d’après un lot de 40 glaciers de référence. (Source : World Glacier Monitoring Service).
Le gaz carbonique
Après une légère diminution causée par la pandémie du COVID-19, les émissions de gaz carbonique dues à la combustion du carbone fossile ont retrouvé leur niveau des années précédentes, avec un total estimé à 36,4 GT en 2021 (figure 12). Ces émissions représentent 89% des rejets de gaz carbonique, les 11% restants étant dus au changement d’usage des sols. 48% des émissions totales restent dans l’atmosphère, tandis que 29% sont absorbés par la biomasse terrestre et 26% par les océans.
Fig 12 : émissions de gaz carbonique par combustion de carbone fossile depuis 1990 (Source : Global Carbon Project)
La concentration en gaz carbonique de l’atmosphère à la station de référence de Mauna Loa (Hawaï) en décembre 2021 s’élevait à 417 parties par million (corrigée des variations saisonnières). L’accroissement par rapport à 2020 est de 2,5 parties par million.
Événements remarquables
Incendies
En été de l’hémisphère nord, des incendies catastrophiques se sont propagés en Grèce, en Colombie Britannique.
Précipitations - sécheresses
Une dépression qui a lentement traversé la Belgique et l’Allemagne y a déversé d’énormes quantités d’eau qui ont balayé des habitations, des infrastructures et fait 200 morts. L’Ouganda a aussi subi des inondations catastrophiques. La figure 13 montre que les cumuls annuels de pluie ont été anormalement élevés en Chine et dans les zones équatoriales. La sécheresse a été très prononcée au Canada, dans une grande partie du Brésil, autour de la Méditerranée, et au sud de Madagascar.
Fig 13 : anomalies de précipitations pour la période de janvier à septembre 2021. (Global Precipitation Climatology Centre (GPCC), Deutscher Wetterdienst, Germany)
Tempêtes tropicales et cyclones tropicaux
La saison des cyclones dans l’Atlantique tropical a été particulièrement active, avec 21 tempêtes dont 7 au niveau cyclonique, ce qui en fait la troisième année pour le nombre de tempêtes identifiées. Le Pacifique nord-est a subi lui aussi une activité cyclonique supérieure à la normale. Les nombres de cyclones dans l’Océan Indien, et dans le Pacifique sud-ouest sont restés conformes à ceux d’années normales, tandis que dans le Pacifique nord-ouest, il y a eu moins de cyclones qu’habituellement.
Conclusion
L’année 2021 ne s’inscrit pas dans le changement climatique en cours comme l’année de tous les records. Elle s’inscrit toutefois dans ce changement avec des températures élevées, nombre de records régionaux ou saisonniers, et une hausse du niveau marin qui ne ralentit pas.
À quoi pouvons nous nous attendre en 2022 ?
Le précédent record de la température moyenne globale date de 2016. Compte tenu de la tendance actuelle au réchauffement, il est très possible qu’il soit dépassé en 2022, surtout si un épisode El Niño se déclare dans les prochains mois.
La publication du 6ème rapport du GIEC a été très commentée, et le réchauffement global et ses conséquences sont devenus omniprésents dans les médias, les ONG qui s’occupent de l’environnement, et même les politiques poussés par les citoyens.
Cette pression aboutira-t-elle enfin à des mesures efficaces pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? La guerre en Ukraine et l'arrêt des fournitures de gaz à l'Europe par la Russie risquent de nous contraindre à de telles restrictions que nous le voulions ou pas.
Ce rapport souligne la menace, insuffisamment portée à la connaissance du public jusqu’à présent, que constitue le méthane, un gaz à effet de serre heureusement à courte durée de vie, mais 28 fois plus puissant que le gaz carbonique. Ce méthane est émis principalement par l’agriculture, et aussi lors de fuites sur les sites d'exploitation pétrolière & gazière, ou lors du transport du gaz naturel, et, de plus en plus, par les pergélisols des latitudes élevées que le réchauffement climatique déstabilise. C’est là aussi un élément du système climatique qu’il faudra suivre de près dans les prochaines années.